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2014: l'année du changement pour la Chine

Le pays enclenche une réforme économique de très grande envergure. Voici les six secteurs qu’il faudra observer en 2014.

REUTERS/Edgar Su
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Ce qui a défini la Chine en 2013? Ce sont les avis radicalement opposés qu'a inspiré l'état (présent et futur) de son économie.

L'économie chinoise a certes atteint les 9.000 milliards de dollars à la fin 2013, mais son ralentissement est manifeste. Pourra-t-il être contrôlé dans la sérénité? La chute sera-t-elle au contraire abrupte et déstabilisante?

Les opinions divergent. Voilà plusieurs années que certains analystes (comme Nouriel Roubini) parlent d'un «risque significatif d'atterrissage difficile pour la Chine d'après 2013». De son côté, Justin Lin, économiste en chef de la Banque mondiale estime que la Chine pourra maintenir ses 8% de croissance pendant plusieurs décennies –mais il fait figure d'exception jusque dans le camp des optimistes.

En 2014, l'atterrissage se fera en douceur –mais cela dépendra en grande partie de la façon dont Pékin mènera ses réformes économiques structurelles. Cela dépendra aussi de l'ampleur des perturbations que ces réformes infligeront à l'économie générale.

Les bouleversements de grande ampleur sont toujours mal accueillis par ceux qui profitent du statu quo. Le gouvernement chinois estime néanmoins que le temps de la réorganisation est venu –de manière à échapper à de potentiels goulots d'étranglement économiques. Parmi ces goulots: le piège du revenu moyen (la difficulté des pays modérément développés à atteindre l'élite des économies à haut revenu).

Voilà pourquoi la réforme économique fait figure d'objectif central à l'heure où la Chine entre à bride abattue en 2014 –l'année du cheval. Les dirigeants chinois ont souvent appelé le gouvernement à «retrousser ses manches» et à faire avancer les choses.

De ce point de vue, 2014 fera figure d'année charnière: entre réformes et croissance économique, l'Empire du milieu parviendra-t-il à trouver le bon équilibre? Voici six secteurs qu'il conviendra d'observer:

1. Le ralentissement économique est bien réel, mais est-il entièrement nocif?

En 2014, les experts s'affronteront à nouveau au sujet de cette décélération. A partir de quel stade la Chine va-t-elle commencer à pâtir du ralentissement économique, et quelle sera la cause première de cet inévitable phénomène?

Une chose est relativement sûre: la politique macro-économique serait plus «pro-réforme» que «pro-croissance». En novembre 2013, le Premier ministre Li Keqiang a déclaré que la Chine pouvait se contenter d'une croissance du PIB de 7,2% –un chiffre inférieur à 7,5%, l'objectif fixé pour l'année 2013– pour maintenir son rythme et créer assez d'emplois pour absorber les nouveaux arrivants du marché du travail (soit douze millions de personnes). 

«Stabiliser la croissance tout en allant de l'avant» demeure la devise de la politique macroéconomique en 2014. Ceci indique clairement que les décideurs politiques préfèrent mettre en place un contexte favorable aux réformes plutôt que de faire ronfler le moteur de la croissance. Si les stratèges du pouvoir fixent un objectif de croissance officiel (comme le veut la tradition), ils cibleront sans doute pour 2014 un taux de croissance compris entre 7% et 7,5%; pendant ce temps, le vaisseau de l'Etat changera de cap pour s'attaquer aux réformes économiques.

2. La dette locale explose et le gouvernement souhaite la faire baisser

Quelle est la véritable ampleur de la dette locale chinoise? Selon l'Académie chinoise des sciences sociales (un think tank gouvernemental de premier plan), elle s'élevait à environ 3.300 milliards de dollars à la fin 2012; le consensus des acteurs économiques tablait quant à lui sur un chiffre tournant autour des 3.000 milliards de dollars.

A la fin décembre 2013, le gouvernement chinois a fini par communiquer un chiffre officiel en publiant les résultats de son –très attendu– audit national: précisément 2.950 milliards de dollars. Un chiffre légèrement en deçà des prévisions –mais qui demeure déconcertant: il trahit une hausse de près de 70% depuis la fin 2010, date du dernier audit. (On estime que la dette publique chinoise représente 53,3% de son PIB. Et elle a beau monter en flèche, elle demeure beaucoup moins élevée que celle des Etats-Unis et celles de nombreux pays européens.)

Même si le gouvernement central finit par reconduire une large partie de la dette, les gouvernements locaux auront tout de même besoin de nouvelles sources de revenus pour assurer leurs dépenses et leurs investissements. Voilà pourquoi les réformes fiscales font également partie des priorités de 2014.

L'accumulation des dettes s'explique en partie par le fait que les gouvernements locaux ont emprunté auprès de banques publiques (mais aussi à d'obscures structures de placement) pour maintenir leurs investissements dans des infrastructures ainsi que dans d'autres projets immobiliers. S'ils continuent à recourir aux banques d'Etat pour financer leurs projets, une bonne partie de ces financements pourrait alimenter des investissements locaux non productifs –qui iraient alors allonger la liste des dettes plombant déjà leur bilan annuel.

Officiellement, Pékin se dit optimiste quant à sa capacité à maîtriser la dette. Mais s'il ne parvient pas à mettre au point un plan d'attaque clair et rapide pour reprendre le contrôle de la situation (et pour s'assurer que la dette ne limite pas la croissance à l'avenir) sa crédibilité sera certainement mise à mal en 2014. Face au marché, Pékin doit prouver qu'il considère la dette comme un problème de premier ordre, et quoi doit être réglé dans les plus brefs délais –faute de quoi les investisseurs pourraient bien finir par douter de la solidité de l'économie chinoise. 

3. La fin du douzième plan quinquennal approche 

Le plénum de novembre 2013 a été résolument axé sur la réforme. Il a capté l'attention de la majorité des observateurs internationaux, qui semblent ne pas avoir tenu compte du douzième plan quinquennal, plan d'action de grande envergure sensé guider les politiques macro-économiques de 2011 à 2015. Ce dernier fixe de nombreux objectifs énergétiques et environnementaux. Parmi eux figure notamment un ambitieux appel à une réduction de 16% de l'intensité énergétique et à une réduction de 17% de l'intensité des émissions de gaz carbonique.

La Chine entre dans la quatrième année de ce plan; nous allons donc certainement assister à un effort concerté visant à atteindre nombre de ces objectifs. Sous la précédente administration, l'ancien Premier ministre Wen Jiabao s'était donné pour mission de respecter l'objectif de réduction de l'intensité énergétique pendant les dernières années du onzième plan quinquennal.

A l'époque, de nombreux observateurs pensaient que Pékin reviendrait vite à ses politiques «pro-croissance», favorables aux industries. Wen a au contraire fait pression sur l'industrie lourde, ce qui a ralenti l'activité économique dans plusieurs régions à forte concentration industrielle. (Il va sans dire que les objectifs ont été atteints, du moins si l'on en croit les chiffres officiels.)

En 2014, une impulsion similaire pourrait de nouveau mettre à mal l'industrie lourde: Li Keqiang et le président Xi Jinping ont fait des questions environnementales une priorité. Loin d'avoir reculé, la pollution et les dommages environnementaux ont progressé depuis le dernier plan quinquennal.

Si les décideurs politiques estiment que la Chine risque de passer à côté de ses objectifs-clés (intensité énergétique, réduction de la pollution) il faudra s'attendre à la mise en place de réglementations environnementales et énergétiques plus strictes visant à restreindre l'activité industrielle et à limiter l'utilisation du charbon. Dans le même temps, la Chine renforcera certainement le rôle des énergies plus propres, comme le gaz naturel, pour remplacer le charbon.

4. La zone de libre-échange de Shanghai va devoir faire ses preuves

A la fin du mois de septembre dernier, le gouvernement de Shanghai a inauguré sa plus grande zone de libre-échange, et ce avec le plein appui de plusieurs hauts dirigeants. Les entreprises étrangères et les investisseurs lui ont réservé un accueil mitigé. De nombreux observateurs ont été déçus par le faible nombre des politiques concrètes qui ont suivi la mise en place de la zone: celle-ci était pourtant sensée servir de tremplin à un important projet de libéralisation économique.

Quoi qu'il en soit, la zone n'a pas disparu. Les dirigeants chinois comptent en faire un modèle pour les prochaines réformes financières majeures sur le reste du continent. Et de nombreux observateurs y voient une étape importante dans la transformation de Shanghai en pôle financier international capable de rivaliser avec Hong-Kong.

A la fin décembre, la Banque populaire de Chine (la banque centrale du pays) a déclaré qu'elle lancerait officiellement, lors des trois prochains moins, plusieurs des réformes pilotes les plus importantes dans la zone. Parmi elles figurent celles permettant d'expérimenter avec la libre circulation des capitaux, la fixation des taux d'intérêt par le marché, et une monnaie facilement convertible. Si ces réformes sont couronnées de succès, la banque affirme qu’elles pourraient alors s'étendre aux autres régions, et ce sur une période d’environ une année. Si une réforme fonctionne à Shanghai, attendez-vous à ce que les hauts dirigeants autorisent sa mise en application dans le reste du pays.

5. L'urbanisation: un moteur de la croissance à la fois incontournable et contesté

On estime que dix millions de Chinois vont, chaque année, quitter la campagne pour s'établir dans les cités et les communes du pays au cours des décennies à venir. De ce fait, l'urbanisation demeure l'une des clés de voûte de la croissance chinoise et de la stratégie gouvernementale qui vise à rééquilibrer l'économie (en délaissant les investissements pour privilégier la consommation intérieure).

A la fin 2013, les décideurs politiques de premier plan ont donné l'impression de privilégier une urbanisation «axée sur l'être humain», par opposition à l'urbanisation axée sur l'infrastructure. Attendez-vous à un regain d'intérêt pour les politiques sociales –création d'emplois, protection sociale– et à une refonte du hukou, système d'enregistrement de la population qui empêche aujourd’hui nombre de migrants ruraux de s'installer en zone urbaine.

Les projets axés sur l'humain marquent une rupture avec la précédente politique. Ils vont lancer un débat des plus houleux sur les composantes centrales du plan d'urbanisation peu avant l'Assemblée nationale populaire.

Ce rendez-vous politique d'importance aura lieu en mars prochain. En consultant le plan d'action complet –mais sans doute assez vague– qui sera rendu public en marge de l'Assemblée, les entreprises et les investisseurs pourront se faire une première idée de la manière dont ils pourraient profiter de cette nouvelle impulsion visant à accélérer un processus d'urbanisation légèrement remodelé. 

6. La campagne anti-corruption passe à la vitesse supérieure

Avec la publication du plan d'action anti-corruption 2013-2017 (il définit les moyens de lutter contre la corruption systémique), Pékin envoie un nouveau message visant à prouver qu'il considère la lutte contre les pots-de-vin comme un objectif majeur. Par ailleurs, la période visée laisse entendre que la lutte anti-corruption va s'intensifier pendant le reste du mandat de l'administration actuelle –de manière à faire avancer les choses avant la mise en place d'une nouvelle équipe en 2017.

Il faut sans doute tabler ici sur une offensive menée tambour battant, et ce tout au long de l'année 2014. Cette offensive pourrait aboutir à l'arrestation de Zhou Yongkang, le plus féroce des «tigres» (c'est ainsi que Xi Jinping surnomme les hauts responsables corrompus). Cet ancien membre du Comité permanent du bureau politique, la plus haute instance dirigeante de Chine, serait visé par une enquête; on lui reprocherait des décisions prises pendant sa carrière au sein de l'industrie pétrolière, puis au sein de l'élite politique chinoise.

Quelle que soit l'issue de l'affaire Zhou, la campagne anti-corruption permettra de faciliter la réforme progressive de ce même secteur tant qu'elle concentrera ses efforts sur le secteur public. Cette campagne fait partie intégrante des réformes économiques: elle permettra de faire disparaître certains obstacles –les intérêts personnels– en écartant du pouvoir ceux qui pourraient s'opposer au changement.

En 2014, les réformes seront donc beaucoup plus politisées qu'à l'accoutumée. Après tout, la réussite ou l'échec d'une réforme s'est toujours décidée au niveau politique –pas au niveau économique.

Damien Ma
Chercheur au Paulson Institute

Traduit par Jean-Clément Nau

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