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Le FMI maintient la corruption au Cambodge dans l’ombre

Si le message du FMI sur la corruption doit aller au-delà de simples discours, Christine Lagarde doit le transmettre à la fois publiquement et en privé chaque fois qu'elle rencontre les dirigeants des pays les plus corrompus du monde.

Hun Sen, le Premier ministre cambodgien montre son bulletin de vote aux dernières élections générales, en juillet 2013. REUTERS/Damir Sagolj
Hun Sen, le Premier ministre cambodgien montre son bulletin de vote aux dernières élections générales, en juillet 2013. REUTERS/Damir Sagolj

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«La tolérance zéro pour la corruption est primordiale. L'État doit être le serviteur et non le maître du peuple», a déclaré Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, plus tôt cette année. Mais lors de sa visite au Cambodge début décembre, identifié comme le deuxième pays le plus corrompu en Asie de l'Est et le plus corrompu de la région ayant des relations officielles avec le FMI, elle n’a rien dit de la sorte.

Le dernier indice de perceptions de la corruption de Transparency International, publié lors de la visite de Mme Lagarde, a classé le Cambodge juste derrière la Corée du Nord en Asie de l’Est, 160e sur les 177 pays étudiés. La Banque asiatique de développement a de même constaté que la corruption continue d'être le «sujet principal de préoccupation pour l'amélioration de l'environnement des affaires et de la gouvernance au Cambodge». Cela n'est pas nouveau. En 2005, James Wolfensohn, alors président de la Banque mondiale, avait déclaré que le Cambodge était confronté à trois défis majeurs: «la corruption, la corruption, la corruption

Le FMI reconnaît que la corruption menace l'intégrité du marché, fausse la concurrence et met en danger le développement économique, tout en sapant la confiance du public en son gouvernement. Pourtant, la directrice générale du FMI a omis de mentionner ce fléau, même indirectement, lors de sa première visite au Cambodge en tant que directrice du FMI. Mme Lagarde a souligné la croissance inclusive, en reconnaissant les inégalités flagrantes dans le pays, et a encouragé un plus grand investissement dans l'éducation et l'emploi. Mais elle a ignoré le détournement des ressources de l'État qui siphonne les fonds désespérément nécessaires pour l'éducation et d'autres services publics essentiels.

Mme Lagarde n'a pas non plus reconnu publiquement d'autres problèmes de gouvernance cruciaux qui nuisent à l’économie, aggravent la corruption et approfondissent les problèmes sociaux et politiques. Les tribunaux du Cambodge restent contrôlés par le Parti du peuple cambodgien (PPC) au pouvoir, faisant de l’État de droit, un rêve encore lointain autant pour les Cambodgiens que pour les investisseurs.

Elle n'a pas mentionné ce que même les diplomates habituellement prudents soulignent régulièrement : la crise de l'accaparement des terres qui profite au Premier ministre Hun Sen, à d'autres responsables gouvernementaux et à leurs acolytes. Il ne s’agit pas d’un petit problème dans un pays qui demeure essentiellement agraire.

Le silence de Mme Lagarde sur ces questions est encore plus évident du fait que son voyage a coïncidé avec une crise politique après une élection profondément viciée et manipulée par le parti au pouvoir. Juste avant son arrivée, une coalition de groupes nationaux et internationaux indépendants d’observation des élections a décrit des irrégularités électorales graves qui auraient pu changer l'issue d'une élection serrée et auraient provoqué un nouveau vote dans de nombreux pays.

Elle aurait pu rencontrer les dirigeants de l'opposition politique pour discuter de leurs propositions économiques. Au lieu de cela, le FMI a agi comme si tout cela n'existait pas lorsque Mme Lagarde a rencontré Hun Sen lors de son 10.550e jour (plus de 28 ans) au pouvoir et a partagé publiquement sa conviction que le gouvernement de Hun Sen est résolu « à établir une base solide de bonne gouvernance.»

Si le FMI pourrait soutenir que les élections sont au-delà de son mandat, il peut difficilement rejeter la corruption. La corruption ronge tous les secteurs du pays. Lorsque j'ai visité le Cambodge cette année, des parents m'ont expliqué que leurs enfants ne pouvaient passer leurs examens que s'ils payaient des frais supplémentaires «sous la table» à leurs enseignants très mal payés. Un employé du gouvernement dont le salaire était payé par le secteur privé, ce qui est problématique en soi, a décrit l’expression horrifiée sur le visage de son supérieur quand il a demandé un relevé des taxes payées. Il ne pouvait que supposer qu'elles étaient allées dans la poche de son patron.

Le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme au Cambodge, Surya Subedi, a constaté que la corruption est généralisée à tous les niveaux du système judiciaire. Les juges s'appuient sur ​​le clientélisme et la protection politique pour la sécurité de leur emploi, ce qui compromet leur indépendance.

Une étude récente du gouvernement des États -Unis sur le climat d'investissement au Cambodge a fait écho aux préoccupations au sujet de la corruption au sein du système judiciaire, en affirmant: «Les entrepreneurs, à la fois locaux et étrangers, ont identifié la corruption, notamment au sein du système judiciaire, comme le plus grand effet dissuasif pour l'investissement au Cambodge

Le Cambodge a connu l'un des taux nationaux les plus élevés de déforestation de 2000 à 2012, selon une étude récente. Et alors que la loi forestière du Cambodge interdit l'exploitation forestière du bois de rose, des documents d'importation chinois fournis au journal The Cambodia Daily auraient révélé que 36.000 mètres cubes de bois de rose ont été transportés en provenance du Cambodge entre 2007 et 2012.

La Banque asiatique de développement a également souligné les liens informels persistants  entre le parti au pouvoir, les moyennes et grandes entreprises, et les niveaux supérieurs de gouvernement. Elle a reconnu les risques élevés de problèmes en matière de politique d’achats, citant des spécialistes de la passation des marchés qui soupçonnent que les organismes d'appel d'offres se livrent à un large éventail de pratiques douteuses, notamment une attente de pots de vin de la part des entreprises qui remportent des marchés publics.

Au cours des dernières années, le gouvernement a mis en œuvre des réformes superficielles et inefficaces pour lutter contre la corruption. Mais ces réformes parcellaires ont également comporté une loi sur la divulgation des actifs qui criminalise paradoxalement la divulgation publique des biens des fonctionnaires du gouvernement, tandis que la nouvelle Unité anti-corruption est essentiellement une unité de relations publiques pour le gouvernement, qui n'a ni le pouvoir ni l'indépendance de s'attaquer à la corruption à haut niveau.

Mme Lagarde a raté une occasion importante au Cambodge de mettre en évidence les problèmes de gouvernance, mais elle peut corriger cela en s’exprimant à son retour au siège du FMI. Si le message du FMI sur la corruption doit aller au-delà de simples discours, Mme Lagarde doit le transmettre à la fois publiquement et en privé chaque fois qu'elle rencontre les dirigeants des pays les plus corrompus du monde.

Jessica Evans

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