Culture

Michel Hazanavicius à Hollande: Ne sacrifiez pas le cinéma

Le réalisateur de «The Artist» s'adresse à François Hollande, pour l'inviter à ne pas détricoter le système français de financement des films.

Michel Hazanavicius aux Academy Awards à Hollywood le 26 février 2012. REUTERS/ Mike Blake.
Michel Hazanavicius aux Academy Awards à Hollywood le 26 février 2012. REUTERS/ Mike Blake.

Temps de lecture: 5 minutes

Après s'être battu pendant des mois pour préserver l'exception culturelle, et encore déchiré par le débat sur la convention collective, le monde du cinéma vient d'apprendre que le gouvernement entendait couper dans le budget du ministère de la Culture, notamment sur le cinéma. Si les préconisations du rapport Queyranne, sur la modernisation de l'action publique, sont suivies, les recettes du CNC seront plafonnées à 550 millions d'euros et l'existence du crédit d'impôt international, qui incite à tourner des films en France plutôt qu'à l'étranger, est aussi remise en cause.

Michel Hazanavicius, président de la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs, très présent sur tous les fronts politiques du cinéma, s'adresse à François Hollande dans une lettre ouverte. Il lui demande de ne pas sacrifier l'industrie cinématographique, si utile sur le plan économique et social pour la France.

La lettre a été publiée en PDF, nous la republions ici pour poursuivre le débat sur l'état actuel du cinéma. Pour comprendre l'ensemble des enjeux, lire aussi:
» Pourquoi nous sommes pour la nouvelle convention collective du cinéma français Lettres ouvertes de cinéastes et techniciens
» Convention collective: un scénario catastrophe pour la production des films français par Jean-Michel Frodon
» Pourquoi l'«Exception culturelle» est un combat légitime par Jean-Michel Frodon
» Exception culturelle: comment la France défend mal une bonne cause par Eric Le Boucher
 

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Monsieur le Président,

Nous venons d'apprendre avec stupéfaction que le budget consacré à la culture serait à nouveau en baisse et que les préconisations du Ministre du Budget, soumises dans quelques jours à l’arbitrage du Premier Ministre, incluraient une réduction drastique du budget du Centre national de la cinématographie.

Pourquoi devons-nous être en permanence les témoins d’actes qui viennent systématiquement contredire vos engagements?

Il est très surprenant qu’au lendemain d’une victoire politique du gouvernement sur la Commission Européenne pour le respect de l’exception culturelle, les moyens permettant de mettre en place cette politique utile et ambitieuse soient refusés.

C’est d'autant plus surprenant que ce projet budgétaire s’appuie sur un seul rapport, celui de Monsieur Queyranne, qui témoigne d'une incompréhension flagrante du rôle et du fonctionnement du CNC.

De l'importance du CNC

Nous tenons à vous rappeler que le CNC permet de maintenir l’équilibre sans cesse menacé entre la dimension artisanale de la création cinématographique et sa dimension industrielle. Il concourt à la vitalité du cinéma français et du cinéma européen. Il coordonne les efforts de tous les secteurs de l’audiovisuel pour préserver et développer les emplois qui, rappelons-le, sont intimement liés à la capacité de concevoir, de produire, de distribuer, de vendre et de lutter ensemble pour le maintien et l’épanouissement du cinéma.

Le CNC nous est envié par bien des pays qui n’ont pas pu, comme le nôtre, se doter de cet organisme puissamment efficace, essentiellement financé par le fonds de soutien, et dont la qualité redistributive et régulatrice est incontestable. Elle n’est d’ailleurs pas contestée, si ce n’est par les tenants de l’ultralibéralisme.

Ces missions sont toutes génératrices d'emplois. Elles sont le socle historique du cinéma Français, et, concourent aussi à l’épanouissement du cinéma européen.

Si ces redistributions budgétaires étaient opérées, la politique de soutien cinématographique défendue par tous les Présidents de la République successifs, jusqu’à votre prédécesseur, serait profondément remise en cause. Cela fragiliserait considérablement un secteur industriel qui a toujours donné des gages de réussite tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières.

Déjà, l’année dernière, un prélèvement de 150 millions d’euros a été fait sur les fonds du CNC. Dans le cadre des efforts demandés à tous face à la «crise», un effort de solidarité important a été consenti par notre secteur vivant et bénéficiaire. Ce prélèvement devait être exceptionnel. C’est sur la foi de cette promesse qu’il a été accepté sans trop de réticences.

Une «politique de chiffres»

Aujourd'hui, prenant appui sur le rapport Queyranne, une ponction supplémentaire de 100 millions d’euros sur le fonds de roulement du CNC serait à nouveau effectuée, remettant en cause votre promesse et engendrant des conséquences immédiates sur l'ensemble de notre secteur:

- à titre d'exemple, elle remettrait complètement en question le plan de numérisation des œuvres, nuisant gravement à la diffusion du patrimoine et donc à la pérennisation de la création et de la production. Vous n’ignorez pas que l’apport du CNC est fondamental pour déclencher les investissements privés des ayants-droits. Bientôt le public se verrait interdire l’accès à des centaines de milliers de films, invisibles pour le plus grand nombre et relégués dans l’oubli;

- par voie de conséquence, un grand nombre d’emplois générés par cette entreprise seraient menacés, en premier lieu dans les laboratoires cinématographiques qui sont déjà, comme vous le savez, dans une situation extrêmement critique.

Jugeant sans doute cette nouvelle ponction insuffisante, le rapport Queyranne voudrait également plafonner le budget du Centre à son niveau de 2008!

Cette mesure n’obéit à aucune réflexion politique, si ce n’est à une politique des chiffres qui consiste à vouloir récupérer des fonds par tous les moyens, au risque de détruire un système vertueux et de mettre en péril un secteur artistique ainsi que son économie.

Maintenir des tournages en France

Le rapport préconise par ailleurs la disparition du crédit d’impôt international. Sa rentabilité pour l’Etat et les collectivités a pourtant été démontrée puisqu’un euro de dépense génère pour eux deux euros de recettes fiscales et sociales. C’est une réelle aberration budgétaire et c’est courir le risque de faire partir à l’étranger les personnels qualifiés (notamment dans l’animation) qui sont fort appréciés, et demandés, par les grandes productions étrangères (américaines notamment). Ils constituent un pôle d’attraction et un précieux potentiel sur lequel la création française peut s’appuyer.

Un film français qui se délocalise, ou qui ne peut se réaliser, c'est entre 100 et 200 emplois qualifiés qui se perdent. C'est une PME qui ferme. Pourquoi envisager de détruire cette entreprise centenaire qu'est le cinéma?

Monsieur Montebourg se glorifie de la création d'emplois par l'installation d'Amazon en France, mais la subvention reçue par la société n’offre que peu de contrepartie. L’exceptionnelle bienveillance fiscale dont elle bénéficie lui permet d’échapper à l’impôt. Pourtant les emplois qu’elle génère sont de nature précaire et sont bien loin de compenser ceux qui ont disparu avec le changement des modes de distribution.

Une politique floue

L’action de votre gouvernement devient de moins en moins compréhensible pour notre secteur et cela nous consterne.

Faut-il croire que le gouvernement a décidé de substituer à une politique réfléchie sur le long terme une politique à court terme de soustraction et d’addition, inconsciente des effets redoutables qu’elle pourrait induire aussi bien pour la création, l’innovation et le rayonnement culturel que pour l’industrie du cinéma et pour ceux qu’elle emploie?

Nous mesurons combien votre mission est complexe dans une France en difficulté, mais nous ne pourrions comprendre que vos choix soient ceux du sacrifice de la culture et du cinéma.

Il y a un peu plus d’un an maintenant, vous rappeliez «l’originalité du financement du cinéma français», et déclariez que «le rôle du Centre national du cinéma devait être préservé, garanti, ainsi que ses ressources». Ce discours, comme celui de Nantes, nous avait rassurés sur vos convictions et nous vous avons accordé notre entière confiance.

C'est la raison pour laquelle nous nous adressons directement à vous. Nous comptons sur votre soutien pour que les arbitrages relatifs aux crédits pour la culture et pour l’audiovisuel public (qui vont être opérés dans les prochaines semaines avant les débats sur le prochain projet de loi de finances 2014) soient positifs et n’aillent pas dans le sens d’une destruction de ce que nous avons si difficilement et efficacement construit au cours des années.

Nous aurions beaucoup de mal à comprendre pourquoi, après avoir si brillamment sauvé l'exception culturelle, vous laisseriez détruire notre secteur, sur la foi d'un rapport qui n'a visiblement compris ni nos enjeux, ni notre rôle social. Vous avez sauvé la règle du jeu, ne laissez pas vos coéquipiers vous faire perdre la partie.

Soyez assuré, Monsieur le Président, de notre plus haute considération.

Michel Hazanavicius

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