France

François Hollande et la problématique corse

L'Assemblée de Corse travaille sur des sujets capitaux: langue, fiscalité, résidence et nouvelles institutions. Jusqu'à présent, l'Etat refuse le dialogue.

<a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ajaccio_Grand_H%C3%B4tel_Continental.jpg">Ajaccio (Corse-du-Sud, France) - L'ex-Grand Hôtel Continental, siège actuel de la Collectivité territoriale de Corse</a> / leecohen via Wikimedia Commons
Ajaccio (Corse-du-Sud, France) - L'ex-Grand Hôtel Continental, siège actuel de la Collectivité territoriale de Corse / leecohen via Wikimedia Commons

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Tous les analystes de la situation insulaire sont littéralement happés notamment par l’actualité –la violence, le devenir de la SNCM–, la construction du Padduc (plan d'aménagement et de développement durable de la Corse) ou le sort des Arrêtés Miot, les évolutions institutionnelles; les exégètes de la pensée gouvernementale supputent les différentes politiques possibles. A telle enseigne, que l’opinion est désorientée, ballotée entre des problèmes factuels certes importants, des scénarii improbables tandis que la gravité de la crise économique et ses répercussions sociales assaillent et traumatisent la population. Le climat est anxiogène, l’avenir incertain.

Sans une nécessaire clarification, le pire est à craindre. En effet, après cinquante ans de contestations, pacifiques et violentes, l’île est dans une situation très préoccupante sur tous les plans: de la démocratie, de la crise et du développement, des infrastructures, de l’insécurité aggravée par la prolifération des crimes impunis; de surcroît, la situation politique corse est instable et remplie d’aléas.

Il est capital de souligner que nous sommes à l’épicentre d’une période décisive qui se déroulera pendant les prochaines semaines. L’Assemblée de Corse élabore son Padduc et elle a précisé le socle de cette démarche: le peuple corse. La mention n’est pas anodine; elle est essentielle, même si cette affirmation n’a aucun caractère normatif. Faut-il rappeler que l’Assemblée de Corse avait demandé la reconnaissance notre peuple en 1988? L’Etat y avait répondu par le mépris, le silence...

Aujourd’hui, la Commission des Affaires législatives et réglementaires de l’Assemblée de Corse travaille sur des sujets capitaux: la coofficialité de la langue corse qui a été approuvée par 36 élus sur 51, sans aucune opposition, donc à l’unanimité des votes; mais aussi sur les arrêtés Miot, sur la demande de compétence fiscale en matière de droits de succession, sur la notion de résidence, et sur les nouvelles institutions de la Corse.

Vraisemblablement, une majorité se dégagera sur ces différents sujets avec des amendements sans doute; ces différents sujets imposent une évidence: ils ne peuvent être réglés –après un débat préalable en Corse et peut-être un référendum à l’issue– que par l’acceptation de l’Etat qui serait contraint d’accepter une révision de la Constitution française, compte tenu que les principales revendications ne peuvent être satisfaites dans le cadre actuel.

Mais il faut insister sur le fait que ces revendications sont centrales et doivent être posées, non pas en préalable, mais comme des priorités. Elles sont vitales pour la Corse et on ne peut leur substituer des ersatz ou les contourner par des manœuvres dilatoires. La terre est aliénée massivement de même que  le patrimoine bâti; l’île est submergée au point de vue démographique et ne peut plus intégrer les nouveaux arrivants comme elle l’avait toujours fait dans son histoire.

Aujourd’hui, le dialogue est mort-né; en effet, le président de la République, le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur ont déjà fait connaître leur opposition totale ou en partie à ces différentes revendications, avant même d’attendre des décisions de l’Assemblée de Corse. Il s’agit d’un déni de la démocratie, d’un choix autoritaire unilatéral, d’une opposition totale aux règles qui régissent le droit français et plus encore international: la parole appartient d’abord et surtout au peuple. Un constat consternant mais irréfutable s’impose: l’Etat a, à ce jour, refusé le dialogue.

Feindre de croire que ce refus de prise en compte d’exigences démocratiques de la Corse serait sans conséquence et qu’une partie biaisée, avec des faux-semblants, peuplée de simulacres ou de projets secondaires pourrait quand même s’engager. C’est un devoir impérieux, réfléchi, argumenté de prévenir l’Etat que le chemin qu’il suit actuellement conduit à une impasse et que la situation de la Corse deviendrait alors ingérable.

Il appartiendrait, au cas où cette hypothèse funeste deviendrait une réalité que le peuple corse, tant dans l’île que dans la diaspora, tous les élus, toutes les forces vives, procèdent à une analyse concertée de la situation, fixent des objectifs, arrêtent une stratégie. Car il n’existerait pas d’autres moyens que la lutte organisée et le recours à tous les moyens de droit (Union européenne, ONU), à la conscience internationale, pour imposer à l’Etat la reconnaissance du peuple corse, son droit à l’existence et à la maîtrise de son destin, dans le cadre d’une démarche garantissant équitablement le respect des intérêts légitimes des parties. Ceci ne pourrait se faire que dans une refondation de la relation entre la France et la Corse et dans le cadre euro-méditerranéen.

Nous sommes déjà toutes et tous face à nos responsabilités, individuelles et collectives. Il faut suivre attentivement le déroulement de la séquence actuelle et ne pas se fourvoyer sur des voies de garage. Le peuple corse –Corses d’origine et Corses d’adoption– sera bientôt face à un choix décisif: soit il démissionne et il disparaîtra rapidement, soit il relève la tête, s’organise, se mobilise massivement et il arrache inévitablement une issue politique équitable, conforme à l’histoire et au droit. Je n’ai aucun doute sur son choix et sur l’issue favorable de l’épilogue.

Docteur Edmond Simeoni

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