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Après Boston, les Etats-Unis tentés de coopérer avec la Russie contre le terrorisme

Les attentats de Boston vont très certainement nécessiter une plus intense coopération entre la Russie et les Etats-Unis. Cela ne doit toutefois pas se faire au détriment des droits de l’homme, toujours bafoués dans le Caucase russe.

Vladimir Poutine et Barack Obama, en juin 2012 à Los Cabos. REUTERS/Jason Reed
Vladimir Poutine et Barack Obama, en juin 2012 à Los Cabos. REUTERS/Jason Reed

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Les attentats de Boston, certes terroristes mais d’un genre particulier, vont rendre nécessaire la coopération antiterroriste entre les Etats-Unis et la Russie, mais celle-ci ne doit pas fournir une carte blanche à Vladimir Poutine, dont la politique de répression est en grande partie responsable de la dérive djihadiste de l’opposition nord-caucasienne à la politique russe.

Ces attentats ont choqué à juste titre l’opinion publique américaine, qui s’est souvenue de la tragédie du 11-Septembre, même si les deux attaques ne sont comparables ni par leur nature, ni par leur intensité. Toujours en cours, l’enquête ne semble avoir du mal à trouver des preuves tangibles de l’existence d’un lien fort entre les frères Tsarnaev et la rébellion djihadiste qui perdure dans le Caucase, malgré le calme relatif qui règne dans en Tchétchénie.

A vrai dire, l’acte de ces deux jeunes s’apparente davantage à une action isolée, reflétant plus le nihilisme des deux jeunes apprentis terroristes marqués par la tragédie de leur peuple que le début d’une véritable intégration des Etats-Unis dans les objectifs des djihadistes tchétchènes et autres caucasiens. Ainsi, dans toutes ses actions, et même dans ses déclarations, l’Emirat du Caucase, ce groupe terroriste qui regroupe tous les djihadistes opposés à Moscou, a toujours visé les forces de l’ordre russe, et toutes celles qui collaborent avec elle, désignées de collaborateurs ou apostas. Toutefois, il y a eu de nombreux actes terroristes aveugles visant des civils, mais ils ont toujours eu lieu en Russie, et depuis, 2007, l’Emirat du Caucase ne s’attaque plus à des civils.

Une «bonne» nouvelle pour Poutine

Et pourtant, authentiquement terroristes liés à la cause tchétchène ou pas, les attentats de Boston vont très certainement nécessiter une plus intense coopération entre la Russie et les Etats-Unis, d’autant plus que les organes de sécurités russes avaient averti leurs homologues américains sur le profil suspect de l’aîné. D’ailleurs, le président Poutine a clairement invité les Etats-Unis dans son interview télévisée du jeudi 25 avril, à renforcer la coopération antiterroriste russo-américaine. Et il est effectivement dans l’intérêt des populations civiles, qui doivent être protégées contre de tels actes barbares, que les autorités des deux pays coopèrent dans ce domaine.

Toutefois, cette coopération, difficile au demeurant, tant Moscou et Washington n’ont pas la même définition du terme terrorisme, ne doit pas se faire au détriment des droits de l’homme toujours bafoués dans le Caucase russe.

En effet, même s’il ne le montre pas clairement –car comment peut-on se réjouir d’un acte terroriste même s’il touche votre rival sur la scène internationale–, Vladimir Poutine en réalité semble se réjouir de cette attaque de Boston qui lui permettra sans doute d’inviter les Etats-Unis à adopter sa propre définition du terrorisme, qui dans le Caucase s’applique à tous ceux qui s’insurgent contre les injustices de l’ordre russe, un ordre imposé dans cette région par la force, depuis le XIXe siècle. De même, Vladimir Poutine va pouvoir dire que l’administration américaine avait tort de critiquer la politique russe dans le Caucase dont la violence et les atteintes aux droits de l’homme avaient suscité l’indignation des Etats-Unis.

De même, il fera très certainement l’amalgame entre la situation dans le Caucase et celle en Syrie, où il y a effectivement des éléments djihadistes caucasiens qui ont rejoint les forces anti-Bachar mais dont le nombre ne doit pas être exagéré, car il est bien en deçà de ce que prétend Vladimir Poutine. L’administration américaine, tout en coopérant avec les Russes sur ce sujet important et sensible, devrait garder à l’esprit les réalités suivantes.

Le terrorisme tchétchène est avant tout une réaction à la politique coloniale et répressive qui a démarré au XIXe siècle, comparable à celle qui a été menée contre les Amérindiens. Le pouvoir soviétique n’a pas réparé ces injustices, malgré les promesses initiales, bien au contraire. Ainsi, les purges staliniennes ont fait périr dans les années 1930 plus de 50.000 personnes, en 1944 le peuple tchétchène est entièrement déporté en Asie centrale, Kazakhstan et Kirghizstan (où a vécu la famille Tsarnaev) provoquant la mort du tiers de la population.

Ne pas faire d'amalgames

A cette terreur russe et soviétique, s’est rajoutée celle de la Russie post-soviétique, sous les ordres de Eltsine et de Poutine, qui respectivement en 1994 et 1999 ont mené la première et la deuxième guerre de Tchétchénie. Le bilan de ces deux guerres a été de 200.000 morts. Ces deux président sont personnellement responsables de la radicalisation et de la djihadisation de la contestation tchétchène, qui au départ était nationaliste et séculière, comparable à celle qu’ont connu tous les autres peuples de l’ex-URSS.

Par ailleurs, dans sa répression du terrorisme tchétchène, sur lequel on ne peut pas et ne doit pas la critiquer, la Russie de Poutine commet parfois plus de dégâts qu’elle ne prétend éviter. Dans l’abominable prise d’otages du théâtre de Moscou en 2002, comme dans la encore plus horrible prise d’otages de l’école de Beslan, la brutalité des forces de l’ordre a tué des centaines de civils qu’elles voulait pourtant sauver.

Au final, oui les Etats-Unis devraient coopérer avec la Russie pour contenir un éventuel débordement de la mouvance djihadiste sur le sol américain, mais les vraies racines du terrorisme tchétchène et caucasien sont en Russie même et dans la gestion sécuritaire des problèmes que connaissent les républiques nord caucasiennes dont les peuples ont toujours le sentiment que l’ordre russe s’inscrit dans la continuité d’une logique coloniale qui remonte au XIXe siècle.

Au final, les attentats de Boston vont permettre à Poutine de justifier sa politique de terreur dans le Caucase, et son alliance avec le régime de Bachar el-Assad, deux questions sur lesquelles Washington doit maintenir sa différence avec Moscou si elle veut rester fidèle aux valeurs qui guident sa politique étrangère.

Bayram Balci

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