France

Mariage pour tous: j’ai décidé de choisir

Il y a quelques mois, j’avais un avis assez favorable au projet, et la manifestation du 13 janvier m'a poussé à choisir définitivement mon camp.

La manifestation contre le projet de loi d'ouverture du mariage aux couples de même sexe, le 13 janvier 2013 à Paris. REUTERS/Benoît Teissier.
La manifestation contre le projet de loi d'ouverture du mariage aux couples de même sexe, le 13 janvier 2013 à Paris. REUTERS/Benoît Teissier.

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Il y a quelques mois, j’avais déjà un avis assez favorable sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, même si je m’efforçais d’être pragmatique et mesuré. Je déplorais un certain terrorisme intellectuel à gauche, qui voudrait que l’on embrassât sans concessions le camp du pour, sous peine d’être taxé d’homophobie. Je dénonçais également les outrances verbales des opposants à la loi.

Le temps a passé, tout le monde en a parlé. À la veille des débats parlementaires, le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat public a été épuisé. Tout a été dit et redit sur le sujet.

Les opposants comme les soutiens constituent des groupes hétérogènes, qui couvrent chacun l’intégralité du spectre politique. Des opinions se sont infléchies ou au contraire renforcées. La mienne a progressivement évolué.

Avoir le courage de ses opinions

Il y a encore trois ou quatre ans, j’aurais poussé des cris d’orfraie à la simple évocation d’un tel projet, et j’en ai poussé. Question de religion et d’éducation. Mes parents sont des gens intelligents, cultivés et surdiplômés. Ils ont foulé les cinq continents, rencontré toutes sortes de gens; ça ne les a pourtant jamais empêché de penser et de dire en toute conviction que «les homos devaient brûler en enfer».

Comme d’autres enfants, j’ai pensé comme eux. Sans réfléchir, j’ai dit comme eux. Cela me paraissait normal. Évident.

Puis j’ai grandi, j’ai quitté la maison, j’ai voyagé à mon tour, j’ai rencontré d’autres gens. Homos, hétéros, peu importe, tous avaient pour partage la valeur de tolérance (ce mot d’ailleurs, comme s’il s’agissait d’accepter du bout de l’esprit une chose qui ne quittera jamais tout à fait la marge du naturel) et m’en ont imprégné. Nul n’est parfait ici bas; loin de moi l’idée de blâmer mes parents —eux aussi sont le produit d'une éducation—, mais je sais ce que je ne dirai jamais devant mes enfants par crainte de les voir un jour le répéter.

La position que je tenais il y a quelques mois était sans doute équilibrée, mais c’était une posture, une manière un peu hautaine de se placer au-dessus de la mêlée. Pour avoir grandi dans une famille où une telle loi ne pourrait être évoquée au dîner qu’en des termes acrimonieux, je comprends parfaitement que l’on puisse être contre.

Il faut cependant avoir le courage de ses opinions ; Roselyne Bachelot nous l’a appris au moment du Pacs; Franck Riester, seul député UMP ouvertement pour le projet de loi, nous le montre aujourd’hui. Dans cette bataille, après tout ce que j’ai pu lire, voir et entendre, après l’immense mobilisation du 13 janvier contre la loi menée par Frigide Barjot, j’ai décidé de choisir une fois pour toute mon camp et je ne suis pas le seul.

En défense du mariage pour tous

Je n’entrerai pas particulièrement dans les considérations d’opportunité de la loi. Tous les partisans ont déjà expliqué qu’elle devait se faire, sinon sur la base de l’égalité, du moins d’un point de vue pratique afin de reconnaitre juridiquement des situations de fait et protéger conjoints et enfants.

Tous les opposants en ont fait autant. Je ne prétends pas plus à l’exhaustivité; simplement, je voudrais m’attarder sur un certain nombre de points qui me paraissent à cette heure essentiels.

1. On nous a dit que la société n’était pas prête

Pourtant, à l’heure du divorce, de la loi de 1905, de l’IVG, de la peine de mort et a fortiori du Pacs, la société ne semblait pas être prête. Sans doute ne l’était-elle pas, mais qui aujourd’hui pourrait songer contester ces avancées?

On pourrait prendre la température d’un patient toute la journée, il viendra bien un moment où l’on sera obligé de lui administrer de quoi tempérer sa fièvre. Les pouvoirs publics doivent savoir impulser et décider. Comme le Général de Gaulle disait: «On peut toujours décider; l’intendance suivra» —ainsi, je dis qu’on peut légiférer et le peuple s’y fera.

Le gouvernement ne doit pas céder à la pression de la rue. D’ailleurs, le précédent gouvernement ne se vantait-il pas d’être resté «droit dans ses bottes» lors des manifestations contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy? Pourquoi l’UMP s’attendrait-elle à ce que le gouvernement Ayrault refuse de faire montre de la même force de caractère? En Vème République, le gouvernement n’est pas limité par la volonté du peuple; il l’est par le droit uniquement.

2. On nous a dit qu’il fallait passer par un référendum

Certes, la Garde des sceaux, Christiane Taubira, a écarté cette idée saugrenue dont la constitutionnalité paraît plus que douteuse, mais certaines demandes politiquement motivées savent creuser bien profond leur sillon en raison de leur grossière démagogie.

D'abord, il est risible de voir les responsables UMP réclamer avec véhémence le référendum qu'ils ont eux-même repoussé d'un revers de manche lors d'une réforme d'égale importance, celle des retraites.

Ensuite, on sait tous que lors d’un référendum de ce type, on ne répond que rarement à la question posée. En France plus qu’ailleurs, le référendum prend souvent des allures de plébiscite électoral.

Le peuple pourrait fort bien, par pur mécontentement à l’endroit de la politique actuelle du président de la République, voter non, en guise de sanction. Laquelle serait d’autant plus cinglante qu’il s’agit d’une mesure-phare du quinquennat.

C’est ce qui motive la droite, qui espère sans doute rejouer la démission du Général de Gaulle —qui choisit de partir après le référendum raté de 1969, quoique rien ne l’y obligeât constitutionnellement. Il ne faudrait pas trop se fier aux sondages apparemment engageants pour le «oui»; ce ne sont que des sondages, justement.

Notons enfin que le Conseil constitutionnel a déjà décidé qu’il appartient au seul législateur de définir les conditions du mariage. La droite, dont on aurait pu espérer une plus grande déférence vis-à-vis des institutions, demande qu’on les bafoue; elle veut priver le Parlement de sa légitimité à légiférer.

En démocratie représentative, la République passe par le Parlement. Je suis loin de nourrir une sympathie particulière pour François Hollande et son équipe, mais la droite se livre ici à une tentative de dévoiement de la démocratie que je réprouve fortement. Il y a des règles; il faut savoir s’y tenir.

3. On ne nous a pas assez dit que la violence homophobe avait explosé

Les commentaires haineux et homophobes partout distillés m’ont profondément indigné. Les manifestants du 13 janvier s’en sont donné à cœur joie. Certes, ce ne fut plus du niveau de «Les pédés au bûcher», mais on disait tout de même que «L’homosexualité relevait d’un désordre», que le projet allait transformer les hommes et femmes en «singes» et qu’il fallait dire très fermement «Non à l’OGM humain» (un florilège ici). Si chacun est libre de ses opinions, le climat que certains opposants ont installé est lui particulièrement nauséabond.

Certains élus de droite ont une part de responsabilité dans la libération de cette parole homophobe et elle a des conséquences réelles. Il ne faudrait pas croire qu’on puisse employer à longueur de journées une certaine rhétorique sans que cela ne marque durement la société.

Je discutais il y a quelques jours avec un jeune militant UDI, qui me racontait comment, dans son coin de Sarthe, l’insécurité grandit jour après jour pour les homosexuels. C’est dans leur banalité que ses descriptions ont été le plus glaçantes.

Le nombre d'agressions physiques homophobes a littéralement explosé. L’insulte fuse plus librement: on se donne du «Sale pédale» et du «Grosse gouine dégueulasse» sans même y penser.

À quoi fallait-il s’attendre? Après tout l’exemple vient d'en haut: quand un élu de la Nation s’autorise à prétendre, à la tribune de l’Assemblée nationale, que les enfants élevés par les familles homoparentales sont des terroristes et des assassins de masse en puissance, s’imagine-t-on une seule seconde ce que peuvent se dire Raoul et André au café du coin de la rue? Il faudra du temps pour réparer des consciences abîmées par ce déferlement sordide.

Les familles homoparentales ne feront pas mieux ou pire

Il faut dire également que cette loi n’abîmera pas plus le mariage qu’il ne l’est déjà. Probablement, dans cinq ans, un couple homosexuel marié sur deux aura divorcé. Comme les autres.

Là où certains voient le droit d’un enfant à avoir un père et une mère, je vois d’abord et simplement le droit d’un enfant à avoir des parents. De nombreux enfants aujourd’hui ont un père et une mère, certes, mais nul parent digne de ce nom. Est-ce à dire qu’il n’y a pas (ou qu’il n’y aura pas) d’abandon, de laxisme, de violences, d’abus sexuels ou d’infanticides dans les familles homoparentales? Non. La nature humaine étant ainsi faite qu’il y a en chacun de nous le meilleur et le pire, il y en aura sans doute. Comme dans les autres.

Les parents homosexuels contribuent (et contribueront) eux aussi à alimenter la fabrique du crétin qu’est devenue l’Éducation nationale. Ils élèvent (ou élèveront) sans doute leurs enfants comme on les élève aujourd’hui, dans le culte doltoïen de l’Enfant-roi; ils leur offriront un ordinateur ou un portable deux fois trop tôt, leur passeront tous leurs caprices. Ou ils leur donneront une éducation stricte et attachée à certaines valeurs. Leurs enfants deviendront de petits ingrats insolents ou des jeunes filles et jeunes hommes bien. Certains seront homosexuels, d’autres ne le seront pas. Comme les autres.

Bref, les familles homoparentales ne font (ou ne feront) ni mieux ni pire que les autres. Elles font (ou feront), c’est tout.

Et puis que quelqu’un nous parle un peu d’amour! Nous ne sommes plus, grâce au ciel, à l’époque où l’on vendait fille dotée contre fief et prestige, pour qu’elle allât s’atteler à la production d’héritiers mâles; où l’on réglait des conflits personnels en mariant ses enfants.

L’on ne se marie plus guère aujourd’hui que parce que l’on s’aime (d'un amour que l'on choisira ensuite de partager ou non avec des enfants), ou pour d’autres raisons moins avouables, mais en tout cas parce qu’on l’aura choisi. Du reste, nombreux sont les homosexuels qui ne le choisiront pas. Alors oublions les missels, les images d’Épinal et célébrons l’amour, le bonheur et, surtout, le choix. Que les parlementaires, maintenant, s'expriment.

Yann Solle

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