Économie

Taxe Google: ce que ne vous disent pas les patrons de presse

Pourquoi taxer la firme américaine de la manière dont le propose une partie de la presse française est absurde. Par Christophe Carron, Johan Hufnagel et Guillaume Ledit.

Capture d'écran.
Capture d'écran.

Temps de lecture: 4 minutes

Taxer Google? C'est l'idée développée par une partie de la presse française et européenne en quête de financement.

Ce lundi 29 octobre, le patron de Google, Eric Schmidt, est à Paris pour rencontrer François Hollande.

Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture et de la Communication, était l'invitée ce lundi matin de la matinale de France Inter. «Le moteur de recherche doit-il payer l'équivalent d'un droit d'auteur aux journaux dont il met en avant les contenus?» lui demande Bruno Duvic.


Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de... par franceinter

«C'est la crise de la presse dont on parle. La presse va mal. Le lectorat s'affaiblit, le lectorat papier s'affaiblit. Pourtant les gens ont toujours envie et s'informent beaucoup. Ils vont chercher ces informations sur Internet, et notamment à travers des moteurs de recherche qui génèrent une grande partie de leur publicité grâce à l'orientation qu'ils font vers des sites de journaux. Donc, là aussi, c'est normal que ces grands sites agrégateurs de contenus, ces moteurs de recherche participent au financement de la presse, puisqu'ils font circuler sur leur réseau des liens vers des sites de presse.»

François Hollande serait également favorable à cette taxe, selon Le Figaro.

Nous publions la tribune écrite notamment par Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate.fr, parue ce week-end dans le quotidien Libération dans le cadre d'un dossier sur la «taxe Google». Pour un point de vue opposé à celui-ci, vous pouvez également lire la tribune de Philippe Jannet «Oui, Google capte la valeur créée».

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Les éditeurs de presse français contre l’ogre américain Google. La France et ses génies contre le softpower (pouvoir de persuasion) américain. En fait, une manipulation très réussie de l’opinion et du gouvernement qui ne correspond en rien à la réalité. Elle vise juste à prolonger artificiellement des modèles économiques à bout de souffle et des groupes de médias détenus pour la plupart par des géants du capitalisme, français cette fois, de Dassault à Niel en passant par Arnault, Rothschild, Pinault et Perdriel.

Ainsi, l’Association de la presse d’Information politique et générale (IPG), qui regroupe tout ce que Paris compte de dirigeants de la presse papier, voudrait taxer la firme californienne et ses 138 millions d’euros de chiffre d’affaires en France en 2011.

Dans un projet de loi remis au gouvernement, Nathalie Collin, coprésidente du groupe Perdriel (Le Nouvel Obs notamment), envisage de réformer le droit d’auteur pour créer un droit voisin sur l’indexation des contenus en étendant le Code de la propriété intellectuelle aux articles de presse publiés en ligne. Concrètement, le moteur de recherche devrait rémunérer les éditeurs de presse pour chaque mise en avant de leur contenu sur son service Google Actualités, voire sur Google tout court.

L’IPG n’hésite pas à évoquer une «mission d’intérêt général du référencement», ou, quand Google menace de ne plus référencer les sites de presse français comme il l’avait fait avec les éditeurs belges, une «censure».

Or, taxer Google de cette manière est une idée absurde. Ces éditeurs pointent la situation de monopole du moteur et lui collent un quasi-procès d’abus de position dominante. C’est presque exact.

Une mauvaise foi déconcertante

La qualité du moteur, l’absence de concurrent et la méconnaissance de l’Internet par la plupart de nos concitoyens ont laissé à Google un boulevard dans lequel il s’est engouffré. Aujourd’hui, il représente plus de 90% des recherches sur Internet en France. Mais en 2012, le moteur de recherche est de plus en plus concurrencé par les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter pour accéder à l’information. Et là où Google était souvent vu comme LE point d’entrée à l’Internet, il doit désormais compter aussi avec les portables et les tablettes.

La mauvaise foi des patrons de presse français est de plus déconcertante. Vouloir taper la plus grande régie publicitaire du monde au portefeuille peut se comprendre. La presse est en crise et certains des milliardaires qui possèdent les titres les plus en vue dans ce combat feront tout pour ne pas avoir à investir pour la sauver. Il faut donc trouver des solutions pour survivre, d’autant que les lecteurs boudent les kiosques et que les aides de l’Etat –500 millions d’euros par an comme le rappelait le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil)– devraient servir à autre chose qu’à remplir des caisses de journaux incapables de se transformer et de s’adapter au monde tel qu’il est.

Mais si Google est en position dominante, à qui la faute? Combien de formations pour journalistes s’intitulent «écrire pour Google», combien de missions confiées aux experts du SEO (Search Engine Optimization, techniques d’optimisation pour les moteurs de recherche), et à quel prix, dans le seul but d’être plus gros que le voisin? Donner accès à son contenu, via Google, en respectant certaines des règles du moteur n’est pas honteux. Après tout, si les lecteurs l’utilisent comme un kiosque, il serait stupide de refuser d’aller à leur rencontre. A ce petit jeu, nos confrères de l’Obs, du Huffington Post, du Figaro ne sont pas les plus mauvais. Bien au contraire. Vouloir reprendre un jour ce qu’on a donné la veille s’apparente à de la pure mauvaise foi.

Alors oui, c’est vrai, Google gagne indirectement de l’argent avec le contenu des éditeurs. Il ne le vole pas. Si le moteur s’est rendu célèbre pour son slogan «don’t be evil», il n’est pas non plus la version immatérielle du Bisounours.

Google n'a pas besoin de la presse pour survivre

Google gagne de l’argent en nous offrant des services gratuits qu’il monnaye par ailleurs. S’ils sont pertinents pour les utilisateurs, c’est parce qu’ils lui fournissent aussi du contenu. En échange, Google «range», indexe des milliards de pages en espérant que cela réponde à nos attentes de lecteurs/utilisateurs. Et pour mieux vendre sa publicité.

Les promoteurs de cette loi semblent croire que l’Internet que Google indexe, c’est eux. Or Internet, et Google, n’ont pas besoin du contenu produit par la presse pour survivre (mais la presse a aussi besoin d’être trouvée pour survivre).

Les milliers d’articles d’informations référencés par le moteur ne sont qu’une infime portion des contenus du Web, lui-même infime portion d’Internet: combien de blogs, combien de tweets, de fils de discussion dans les forums, pour un article de presse? Combien de sites d’informations ne sont pas issus de la presse papier? Quid des sites des radios, des télévisions, des sites étrangers? Et la plupart des sites de médias agrègent du contenu trouvé sur Internet pour augmenter leur trafic, et par là même leurs revenus publicitaires.

Vers une nouvelle sidérurgie?

Créer une nouvelle usine à gaz juridique et fiscale ne réglera aucun des problèmes auxquels la presse, française ou pas, est confrontée.

Le réflexe pavlovien de la presse installée d’aller quémander encore et toujours à l’Etat des subsides pour survivre est une fausse solution et ne répond à aucun des enjeux auxquels nous sommes confrontés à l’ère d’Internet.

La presse française ferait mieux, plutôt que de souligner encore sa terrible dépendance à l’égard du pouvoir politique, d’utiliser ses talents de lobbying pour réclamer une véritable réforme de la fiscalité sur les multinationales. Et d’investir réellement et massivement dans une vraie modernisation et la naissance de nouveaux modèles. Sinon, c’est le destin de la sidérurgie qui la guette.

Christophe Carron (journaliste), Johan Hufnagel (rédacteur en chef, cofondateur de Slate.fr) et Guillaume Ledit (journaliste et cofondateur d’Owni.fr)

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