France

Le grand écart de la jeunesse française

Le chômage ne cristallise pas l'ensemble de ses soucis: elle doit aussi faire face à une société qui lui demande d’être flexible alors qu'elle ne l’est pas avec elle.

Des jeunes passent leur baccalauréat, le 18 juin 2012 à Strasbourg. REUTERS/Vincent Kessler.
Des jeunes passent leur baccalauréat, le 18 juin 2012 à Strasbourg. REUTERS/Vincent Kessler.

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François Hollande a mis l’accent sur la jeunesse tout au long de sa campagne électorale. L’ancien leader du PS s’inscrivait ainsi dans la croyance selon laquelle une élection présidentielle ne se gagne pas sans les jeunes. Croyance fausse, du reste, puisque Nicolas Sarkozy devint président en 2007 malgré le fort soutien des moins de trente ans à Ségolène Royal. On se souvient du discours adressé aux jeunes par François Hollande à Strasbourg ou encore de sa déclaration place de la Bastille, le 6 mai dernier: «Je suis le président de la jeunesse de France.»

En dénonçant le chômage des jeunes, premières victimes de la crise économique, il cherche à allier derrière lui également leurs parents et grands-parents, qui sont légitimement inquiets pour eux. «La jeunesse est la condition de notre propre réussite, parler de la jeunesse, c’est rassembler toutes les générations», affirmait-il ainsi lors d’un colloque organisé par Le Monde à Bordeaux, fin 2011. D’où la réforme phare qu’il prépare: le contrat de génération.

S’attaquer au chômage des jeunes est une intention louable. D’ailleurs, des dizaines de rapports ont été écrits en ce sens depuis la fin des années 1970. Mais n’est-ce pas s’attaquer uniquement à la partie émergée de l’iceberg? En effet, le faible sentiment d’appartenance des jeunes à la société française, qui s’exprime notamment par une défiance envers les institutions (le monde politique, les entreprises, la police, les médias…), est sans doute encore plus urgent à prendre en compte. Or, de quoi se nourrit-il? De quatre injonctions paradoxales.

Quatre injonctions paradoxales

La première pourrait se résumer ainsi: «Passe ton master d’abord… avant d’être déclassé.» En effet, l’inflation scolaire montre ses limites quand c’est le déclassement qui attend les diplômés à la sortie. Recruter 60.000 enseignants supplémentaires? Pourquoi pas? Mais la priorité serait assurément de revoir le système d’orientation scolaire.

Deuxième injonction paradoxale: «Faites ce que je dis… mais pas ce que je fais!» Les jeunes grandissent dans une société qui se nourrit de doubles discours. L’État fait par exemple le grand écart entre les lobbys (et l’argent) de l’alcool ou du tabac, d’un côté, et la politique de prévention, de l’autre.

De même, alors que les professeurs exigent le silence de leurs étudiants pendant les cours afin de se concentrer, les entreprises entassent leurs jeunes recrues dans des open space bruyants. Le cannabis constitue encore un cas de figure où l’hypocrisie est poussée à son comble: le trafic est illégal mais la consommation est largement tolérée du fait de la cécité bienveillante des pouvoirs publics, qui en font une sorte d’interdit autorisé.

Troisième injonction paradoxale: comme le souligne malicieusement Louis Chauvel, le slogan «Sois responsable, mais tais-toi!» s’est substitué au «Sois jeune et tais-toi!» de Mai 68. Tandis que certains militent pour abaisser la majorité pénale à 16 ans, le RSA n’existe quasiment pas avant 25 ans. Les exigences de responsabilités ne fonctionnent donc pas dans les deux sens! Tant que les jeunes font calmement la fête sans rien revendiquer, tout va bien.

La plus grande farce sociétale reste néanmoins l’injonction à s’insérer malgré la précarité qui est avant tout réservée aux nouveaux entrants. Les employeurs leur demandent pour débuter de disposer au préalable d’une première expérience professionnelle: comment faire? Les propriétaires leur demandent de ne plus être en période d’essai pour louer un appartement: comment se loger entre temps? La société civile leur reproche de ne pas s’engager, mais comment mener des projets quand on ne sait pas de quoi son avenir sera fait?

Affaiblissement du sentiment d'appartenance

On pourrait multiplier ainsi les exemples pour montrer comment la précarité impose un mode de vie qui n’est pas en adéquation avec notre modèle d’intégration sociale. La société demande aux jeunes d’être flexibles, mais la société ne l’est pas avec eux.

Le chômage des jeunes est donc loin de cristalliser l’ensemble des soucis auxquels doivent faire face les plus jeunes d’entre nous. Nul ne peut se résigner devant l’affaiblissement du sentiment d’appartenance à la société que produisent les quatre tiraillements évoqués ci-dessus.

Certes, les jeunes sont généralement plus souples que leurs aînés, mais est-ce une bonne raison pour leur demander de faire le grand écart? Si François Hollande entend véritablement être «le président de la jeunesse de France» comme il le proclamait le soir de sa victoire, il lui faudra aller bien au-delà du contrat de génération! 

Denis Monneuse

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