Temps de lecture: 9 minutes
Conformément à un engagement de campagne de François Hollande, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault souhaite permettre le «mariage pour tous», ouvrant ainsi le droit pour les couples homosexuels de se marier et d'adopter.
Ce sujet cristallise de nombreuses oppositions, principalement à droite, tandis que plusieurs députés de gauche jugent le gouvernement trop timoré en refusant, pour le moment, la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels.
Cet article a pour but de donner un point de vue sur ces questions sans se laisser enfermer dans la question de la situation des couples homosexuels. En effet, ce débat doit être l'occasion de débattre du mariage, de l'adoption et de la procréation médicalement assistée (PMA) dans leur globalité.
Ces sujets sont extrêmement complexes et sensibles, comme toutes questions de société, elles touchent à la frontière entre la vie publique et la vie privée, pour ne pas dire à l’intime.
Preuve en sont mes multiples évolutions sur ces questions, en ayant été successivement favorable au mariage et à l'adoption, défavorable au mariage mais favorable à l'adoption, défavorable aux deux et aujourd'hui favorable au mariage mais défavorable à l'adoption.
1. Le mariage comme ferment de stabilité dans les unions
Prenons les questions dans l'ordre en commençant par le mariage. La question de fond à se poser est: en quoi l'union de deux personnes concerne-t-elle la société? Pourquoi accorder un certain nombre d'avantages, notamment fiscaux, aux couples mariés?
Le mariage civil est par essence une institution non totalement libérale en ce qu'elle est sous-tendue par une certaine vision de la société pour laquelle la stabilité des unions conjugales et des familles est un élément essentiel pour la stabilité de la société elle-même.
L’Etat envoie ainsi deux messages principaux aux individus qui composent la société: la vie conjugale est préférable à la vie célibataire (ce qui justifie le quotient conjugal dans le calcul de l'impôt sur le revenu) et une fois un mariage contracté, il faut tout faire pour le pérenniser (il suffit ici de se référer aux articles du code civil qui sont lus à chaque mariage dans les mairies). Pour simplifier ces deux idées, l'Etat encourage les unions conjugales stables dans le temps.
Si l'on adhère à ces principes, ce qui est mon cas, alors on doit s'inquiéter de la diminution du nombre de mariage ces dernières années et de l'augmentation du nombre de divorces. On doit défendre l'idée que le divorce est loin de constituer un acte anodin et que c'est une procédure qui doit être suffisamment longue pour permettre à chacun des conjoints de bien réfléchir à ce qu'ils font et ne pas prendre une décision sur un coup de tête.
Bien entendu, le mariage a une autre vocation dont je n'ai volontairement pas parlé jusqu'ici: il est l'unité de base pour la construction d'une famille avec l'accueil d'enfants. Là encore, l'Etat encourage la procréation au sein des unions conjugales par des mécanismes comme le quotient familial ou les allocations familiales, considérant que donner naissance et élever des enfants est bénéfique pour l'ensemble de la société.
Cependant, je pense qu'il est important de ne pas lier totalement la question du mariage et celle de la procréation. L'ordre dans lequel j'ai ici présenté mes arguments montre que l'on peut être favorable au mariage entre des personnes ne pouvant pas procréer, en particulier les couples homosexuels. Je récuse donc l'idée selon laquelle la question du mariage, de l'adoption et de la PMA soient totalement liées, elles sont, au moins pour partie, indépendantes.
Au nom de l'importance pour la société des unions conjugales stables dans le temps, il me semble ainsi tout à fait légitime et souhaitable d'accorder le droit de se marier aux couples homosexuels. Cela d'autant plus que ces unions sont aujourd'hui nettement plus précaires et instables que les unions hétérosexuelles.
Bien entendu, ce mariage civil étendu n'implique pas l'obligation pour les différentes religions de reconnaître ces unions: le mariage civil est quelque chose de distinct du mariage religieux et il est même fâcheux que l'on emploie le même terme pour désigner un acte juridique et un acte symbolique. Il serait donc souhaitable de profiter de cette réforme du «mariage pour tous» pour appeler union civile ce qui est dénommé mariage civil jusqu'à maintenant.
La mise en place de cette union civile pour tous doit également nous amener à nous interroger sur la pertinence du Pacs. En effet, ce dernier a été mis en place pour répondre à la situation des couples homosexuels, mais on constate dans les faits qu'il est très majoritairement contracté par des couples hétérosexuels qui y voient une forme de «mariage light». Le Pacs étant un lien moins solide que le mariage civil, il a contribué à affaiblir cette institution essentielle pour l'équilibre de la société. Il y aurait donc une certaine logique, si l'on adhère toujours aux principes énoncés plus haut, à ce que l'instauration de l'union civile pour tous se traduise concomitamment par la disparition du Pacs. Bien entendu, cela nécessite de traiter à part un certain nombre de cas de Pacs contractés hors concubinage, par exemple entre frère et sœur, en particulier pour des problèmes d'héritage.
Si je rejoins la position du gouvernement sur le mariage homosexuel, mon argumentation s'en distingue assez significativement. En effet, nulle part je ne mets l'accent sur la question de l'égalité entre les couples homosexuels et hétérosexuels. Si l'union civile doit être ouverte à tous, ce n'est pas pour répondre à une revendication (de la communauté homosexuelle en l’occurrence) mais parce j'estime que la société dans son ensemble y a intérêt.
Si c'est l'argument de l'égalité qui est mis en avant, alors le cardinal Barbarin et Christine Boutin ont raison de dire que le mariage homosexuel ouvre la voie au mariage polygame. Si tous les modes de vie sont égaux, au nom de quoi viendrait-on interdire à trois personnes qui vivent ensemble et s'aiment sincèrement le droit de se marier? Ne serait-ce pas là commettre un préjugé du même ordre que d'être hostile par principe au mariage homosexuel? Les progressistes d'aujourd'hui ne seront-ils pas considérés comme de dangereux conservateurs dans quelques années?
On peut, en revanche, s'opposer clairement à la polygamie en faisant valoir que ce mode de vie, s'il est librement consenti (ce qui est rarement le cas), n'est pas propice à la stabilité des unions car il introduit la présence d'un tiers et rompt ainsi les relations de symétrie et de réciprocité qui peuvent exister au sein d'un couple.
2. L'adoption
L'adoption est un sujet intéressant en ce qu'il cristallise les débats et passionne les foules quand bien même il est statistiquement extrêmement rare. En effet, on compte moins de 5.000 adoptions par an en France, pour près de 25.000 demandeurs dont le dossier est validé. Par ailleurs, plus de 80% de ces adoptions concernent des enfants étrangers et il faut savoir que beaucoup de pays étrangers refusent par principe l'adoption par des parents homosexuels.
Que les choses soient donc claires: que l'adoption homosexuelle soit autorisée ou pas, cela ne changera rien, dans les faits, pour plus de 99% des homosexuels. Seules certaines célébrités pourront certainement accéder ainsi à la parentalité.
Il me semble surtout que l'on se méprend profondément sur la nature de l'acte d'adoption. L'adoption vise à permettre aux orphelins d'être accueillis dans des familles pour permettre leur épanouissement et leur donner une chance de réussir dans la société. Le principal bénéficiaire (même si le mot est mal choisi) de l'adoption c'est d'abord et avant tout l'orphelin, pas les personnes qui adoptent.
Au fil du temps, on a fait de l'adoption l'une des réponses (bien que marginale au plan statistique) au désir d'enfant et ce désir d'enfant est progressivement devenu un droit à l'enfant. La question essentielle, la seule qui mérite à mes yeux d'être posée dans ce débat sur l'adoption, est la suivante: ce droit à l'enfant est-il légitime?
Si on le considère comme tel, alors il faut effectivement ouvrir l'adoption aux couples homosexuels, poursuivant ainsi le mouvement qui permet aux couples stériles et aux célibataires d'adopter.
Il faut même pousser le raisonnement jusqu'au bout: dès lors que le nombre de demandeurs excède très largement le nombre de bénéficiaires, il faut réserver en priorité l'adoption aux personnes ne pouvant avoir d'enfants, c'est-à-dire aux célibataires, aux couples stériles et aux couples homosexuels.
Si l'on considère, au contraire, que le droit à l'enfant n'est pas totalement légitime, qu'il peut même être dangereux à terme parce qu'il place la société en situation de responsabilité de «fournir» des enfants à des couples qui en expriment la demande, alors il faut s'opposer à l'adoption par les couples homosexuels.
Par soucis de cohérence, cela implique de revenir également sur la possibilité pour les célibataires d'adopter. Je pense même qu'il y aurait une certaine logique à réserver l'adoption aux couples mariés ayant déjà au moins un enfant. Cela permettrait de revenir au sens premier de l'adoption que j'ai décrit plus haut et qui consiste à se soucier avant tout de l'orphelin et de l'accueillir dans les meilleures conditions possibles, c'est-à-dire avec des parents mais aussi un ou plusieurs frère et sœur.
Si je rejoins, cette fois, la position majoritaire des responsables politiques de droite, j'aimerais me distinguer de l’argumentation qu'ils emploient le plus souvent. En effet, beaucoup s'opposent à l'adoption homosexuelle au nom de l'équilibre dans la construction de l'enfant, qui serait plus aisément assuré avec des parents hétérosexuels qu'homosexuels.
Ce débat, qui a tendance à vite déraper, voit s'affronter des études psychologiques aux conclusions diamétralement opposées, dont je pense qu'il n’y a rien à attendre. En effet, l'équilibre d'un enfant s'explique par une multitude de facteurs, l'orientation sexuelle des parents n'en étant qu'un parmi d'autres, et certainement pas le plus essentiel. N'étant pas possible de multiplier les expérimentations, «toutes choses égales par ailleurs», il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d'identifier l'influence de ces différents facteurs.
S'opposer à l'adoption homosexuelle au seul titre que cela pourrait fragiliser l'enfant, c'est alors rentrer dans une acceptation dangereuse du principe de précaution qui pourrait ensuite s'étendre à d'autres facteurs.
Imagine-t-on réserver l'adoption aux classes sociales les plus aisées? Au niveau d'études des parents? A la présence ou non de grands-parents? Chacun de ces éléments peut entrer en ligne de compte au moment de l'examen des dossiers par l'administration, mais il serait très dangereux d'en faire des conditions sine qua non.
3. La procréation médicalement assistée (PMA)
Les députés socialistes qui s'opposent à la ligne trop timorée du gouvernement ne s'y sont pas trompés: derrière le sujet de l'adoption dont l'enjeu est finalement assez faible, se cache le sujet de la PMA et de son ouverture aux couples homosexuels.
En effet, en France, chaque année, près de 50.000 enfants naissent grâce aux techniques de PMA, soit dix fois plus que le nombre d'adoption. Il faut toutefois relativiser ce chiffre qui ne représente qu'environ 2% du nombre total de naissance.
Si l'on défend le mariage et l'adoption homosexuels au nom de l'égalité des droits et de la reconnaissance du droit à l'enfant, comme le fait le gouvernement, alors il n'y a effectivement aucune raison de s'opposer à la PMA pour les couples homosexuels. Cette position est totalement illogique et ne peut constituer qu'un entre-deux insatisfaisant.
En revanche, si l'on ne reconnaît pas la légitimité du droit à l'enfant, alors il convient de s'interroger en profondeur sur la question de la PMA, qu'elle concerne les couples homosexuels ou hétérosexuels. S'il peut sembler légitime que la médecine vienne assister un couple éprouvant des difficultés à procréer grâce à des techniques permettant à un spermatozoïde du père de féconder un ovule de la mère, les techniques de PMA qui font appel à un donneur de gamète extérieur au couple posent des problèmes plus redoutables.
Bien entendu, on ne peut qu'être touché par la détresse de couples, hétérosexuels ou homosexuels, désirant un enfant mais ne pouvant pas en avoir, mais il faut bien comprendre dans quelle voie cela peut engager la société.
A mesure que l'on s'éloigne de la procréation naturelle, l'on s'approche de la nécessité pour la société d'organiser la procréation puis peut-être un jour de «produire» des enfants pour des couples qui en font la demande.
Qui peut assurer que dans quelques années, après le droit à l'enfant, ce n'est pas le droit à l'enfant sans avoir à passer par l'étape de la grossesse qui s'imposera? Et quelle réponse la société devra-t-elle apporter à des couples désirant obtenir un fils plutôt qu'une fille, un brun plutôt qu'un blond? La question de la PMA faisant appel à un donneur extérieur me semble ainsi, au moins indirectement, liée à celles des mères porteuses, de l'eugénisme et peut-être même du clonage reproductif.
La classe politique, au nom d'une saine application du principe de précaution, n'a pas le droit d'ignorer ces relations, elle doit prendre du recul et comprendre où peut nous conduire la logique du droit à l'enfant si elle est poussée à son terme.
Conclusion
L'importance pour l'équilibre de la société de la stabilité des unions conjugales et les dangers que peut présenter la logique du droit à l'enfant constituent les deux principes essentiels qui m'amènent à être favorable au mariage (ou plutôt à l'union civile) mais défavorable à l'adoption et à la PMA pour les couples homosexuels.
Je conçois que l'on puisse être en désaccord avec cette position qui pourra être qualifiée de conservatrice. Elle me semble raisonnable et fondée et ne traduit ni hostilité ni agressivité à l’égard de qui que ce soit.
Il me semble en tous cas important qu'un vrai débat de fond continue à avoir lieu sur ces sujets avant qu'une loi ne soit votée: il faut toujours agir avec beaucoup de tact et de précaution quand on touche au code civil.
En contrepartie, ce qui sera décidé par le Parlement devra ensuite être appliqué par tous. Il n'est pas question que des maires, en tant qu'officiers d'état civil, fassent jouer une quelconque clause de conscience pour refuser d'appliquer la loi républicaine.
Vincent Le Biez