France

Les banlieues vues de droite

Camille Bedin développe l'idée suivante: la jeunesse des quartiers défavorisés célèbre davantage les valeurs d’une droite libérale que les réalisations de la gauche sociale.

<a href="http://www.flickr.com/photos/bakou67/4603919493/">Port Cergy - No Way</a> / Bakou67 via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Port Cergy - No Way / Bakou67 via FlickrCC License by

Temps de lecture: 3 minutes

Camille Bedin, l'auteure de Pourquoi les banlieues sont de droite, est diplômée de Sciences Po et de l’Essec, deux établissements qui ont innové –non sans polémique– en matière de discrimination positive et d’égalité des chances.

Le premier est célèbre pour sa politique de conventions ZEP, qui permet aux élèves de ces lycées d’intégrer la Rue Saint-Guillaume par une procédure dérogatoire. Le second, d’ailleurs implanté dans une de ces «banlieues» (en l’espèce, Cergy), s’investit également dans les nouvelles problématiques sociales, de la prise en compte de la diversité au soutien à l’entrepreneuriat social.

Au cours de sa scolarité et par la suite, Camille Bedin a investi son temps et son énergie pour faire du soutien scolaire et «coacher» quelques jeunes issus de milieux moins favorisés que le sien. Elle a ainsi créé plusieurs associations afin que ce type d’engagement s’étende.

Parallèlement, elle milite à l’UMP, dans les instances nationales mais aussi, sur le terrain, à Nanterre. C’est donc sur ses engagements concrets, sur des tranches de vie, mais aussi sur ses analyses et synthèses («à la Sciences Po» pourrait-on dire), qu’elle fait reposer ses constats et propositions.

Des jeunes de droite?

L’ouvrage laisse de côté les multiples polémiques autour de la politique de la ville, de sa géographie prioritaire et de ses effets limités pour se concentrer sur sa thèse inédite: les jeunes des quartiers (gardons cette appellation) s’ils ne sont pas affiliés à la droite, partageraient nombre de ses valeurs. Ainsi, la liberté est pour eux plus importante que l’égalité, de même que l’accomplissement individuel prime sur l’égalitarisme.

Cette valorisation de l’individu et de la réussite –que l’on ressent notamment à travers les paroles et clips de rap– peut d’ailleurs verser dans l’«hyperindividualisme». Mais c’est une autre histoire. Le point important tient dans cette vérité, qui n’est pas celle des urnes mais des idées: la jeunesse des quartiers défavorisés célèbre davantage les valeurs d’une droite libérale que les réalisations de la gauche sociale.

Le divorce idéologique entre la gauche et les banlieues

Pourquoi les valeurs de la gauche ne séduisent-elles pas la jeunesse de ces quartiers défavorisés? Selon l’auteure, elle aurait abandonné les quartiers populaires. Rien n’est moins sûr. L’on pourrait plutôt soutenir l’inverse: ce sont les quartiers populaires qui, progressivement, désertent la gauche. Malgré quelques tentatives pour recoller les morceaux –avec, par exemple, le collectif «gauche populaire»– la messe semble dite. Du point de vue des aspirations et comportements, ce sont les valeurs de droite qui irriguent et orientent les esprits.

La droite absente

Pour autant, les partis de droite ne sont pour rien dans les affinités intellectuelles que les jeunes des quartiers semblent entretenir, de loin, avec eux. Pire, ils n’en auraient pas pris acte.

La militante qu’est Camille Bedin appelle donc à reconquérir politiquement ces territoires dont la droite serait, selon ses termes, «peureusement» absente. Soulignons que la droite dont parle la secrétaire national de l’UMP exclut clairement le Front national.

Les banlieues, laboratoire de l’innovation politique

Contrairement aux idées reçues, les banlieues sont loin d’être la priorité absolue de l’action publique. Ne serait-ce qu’en raison du fait qu’elles n’accueillent qu’une proportion réduite de la population française: moins de 8% des habitants vivent dans une zone urbaine sensible (ZUS). Elles ont pourtant l’intérêt, rappelle Camille Bedin, d’être une sorte de concentré des problèmes sociaux contemporains (sclérose de l’école républicaine, dualité du système de protection sociale, faillite de l’intégration). D’où l’importance d’y innover et d’innover à partir d’elles.

Pour une implantation de la droite dans les banlieues

Camille Bedin formule un ensemble de propositions pour que les programmes des partis de droite rencontrent les aspirations des jeunes des quartiers.

Il s’agit notamment de restaurer l’autorité, le respect des règles et le mérite individuel parmi des populations qui en ont le plus besoin. A l’école, l’auteur préconise, en particulier, un retour à l’uniforme ou, au moins, à un «code vestimentaire». La suggestion est excellente. Et on se demande bien pourquoi elle n’est pas davantage débattue. L’ouvrage appelle à juste titre à la responsabilisation des familles, notamment des pères, trop souvent absents.

De même, Camille Bedin suggère une révision profonde de l’action publique afin de débureaucratiser la politique de la ville. Un programme de droite, d’inspiration libérale, pourrait ainsi proposer de décentraliser et de confier aux villes, aux quartiers et aux établissements les responsabilités et le pouvoir qu’ils n’ont pas aujourd’hui.

Un ouvrage tourné vers la pratique

Par sa construction et du fait du public qu’il vise, l’ouvrage de Camille Bedin n’est pas théorique mais pratique et politique.

L’on pourra y pointer certaines insuffisances –par exemple sur l’islamisme, ou encore même sur l’appellation banlieue qui ne correspond pas à la réalité urbaine de la majorité des quartiers sensibles. On trouvera cependant dans ces pages une certaine fraîcheur intellectuelle (qui n’est pas de la naïveté) et des propositions solides pour convaincre et agir plus efficacement.

Julien Damon

Article également paru sur Trop Libre, blog de Fondapol

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