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Une chose est rassurante, quand on entend parler Jean-François Copé et d’autres, c’est que la classe politique française fait preuve, comme à son habitude, d’une constance dans l’autisme parfaitement consternante. On sait d’ores et déjà le destin de cette polémique, que le temps médiatique fera bien vite s’évaporer, comme toutes celles de son espèce.
Mais une fois encore, on glosera sans fin sur les effets; personne (à l’exception de quelques-uns) ne s’intéressera réellement aux causes. Qui parlera du malaise (je devrais écrire le mal-être), de la misère rampante et de l’isolement moral et social qui accablent les populations vivant dans les quartiers montrés du doigt par Copé? Qui parlera de la démission de la République devant son échec persistant à intégrer une trop large part de ses enfants, à leur inculquer ne serait-ce qu’un semblant de sentiment d’appartenance nationale?
Employer le terme de «racisme anti-blanc» n’a aucun sens en l’occurrence. Bien entendu, il existe, comme tous les autres racismes. Mais ce que Jean-François Copé essaie de nous faire voir à travers ce prisme est, à mon avis, une réalité bien différente.
Ce n’est pas tant de «racisme anti-blanc» que de ressentiment qu’il est ici question, celui de ces jeunes issus de l’immigration, sans repères ni perspectives, qui ont l’objective impression de ne pas bénéficier ni des mêmes chances ni de la même considération que les autres, et le ressentent comme une douloureuse trahison. Ce ne sont donc pas les blancs qu’ils finissent par haïr, mais la Mère Patrie elle-même.
Désarroi et envie
J’écoutais il y a quelques jours, dans le métro parisien, la conversation de deux jeunes Maghrébins. L’un d’eux disait:
«La France, je m’en tape. Ils nous excluent, ils nous prennent de haut, ils ne nous donnent aucune chance, pas de boulot. Pour eux, nous serons toujours des citoyens de seconde zone, si même nous sommes des citoyens, des gens originaires de, et ils s’attendent à ce qu’on aille bien tranquillement chanter la Marseillaise? Mon cul!»
Ces jeunes sont en pleine crise d’identité, ils ont le sentiment de n’appartenir à rien de plus grand qu’eux, la profonde conviction d’être chez eux des étrangers. C’est pourquoi ils se raccrochent, la plupart du temps, à une vision fantasmée des pays d’origine de leurs parents, dont ils ne savent strictement rien; et quand ils s’y rendent avec l’espoir de trouver là-bas un foyer, ils sont rejetés précisément parce qu’ils y sont des étrangers.
Et parce que l’homme est un être grégaire, ils recherchent comme ils le peuvent un groupe dans lequel s’insérer: les uns se tournent alors vers les gangs et la délinquance, les autres vers les imams et l’intégrisme religieux, d’autres encore trouvent refuge dans un communautarisme exacerbé jusqu’à l’ethnocentrisme. Et le reste? Ils essaient de ne pas baisser les bras, de s’en sortir, mais combien y parviennent?
Qu’ils se montrent donc hostiles à ce que Copé nomme «les Gaulois», certes. Mais ce n’est pas par volonté d’extermination ou par désir de domination (les fondamentaux du racisme, faut-il le rappeler), c’est par désarroi et par envie. L’envie qu’ils ont d’être regardés eux aussi comme des Français à part entière, sans qu’on leur cherche toujours la petite bête.
L’envie qu’ils ont d’être reconnus pour leurs talents et leurs capacités. L’envie qu’ils ont de réussir, d’avaler les barreaux de l’échelle sociale et d’élever des enfants en étant capable de leur dire: «Sois fier de ton pays, mon fils.»
Le «racisme anti-français», expression effarante
Entendons-nous bien, rien de tout cela n’excuse la violence physique ou verbale. Mais quand on voit d’autres que Copé, au Front National en particulier, employer l’expression encore plus effarante de «racisme anti-français» (preuve s’il en fallait que le mot, à force d’être employé à tort et à travers, finit par être totalement vidé tout sens), comme si «français» c’était une race, et qu’on ne pouvait être français qu’en étant blanc, en s’appelant Dupont et en mouillant d’un verre de rouge sa tranche de jambon, on se dit que la merde ne fait que fermenter et que la société est en bonne voie d’imploser.
La République crève lentement du poison de la division qu’elle s’est elle-même instillé, et à présent, on entend certains jeunes de ces quartiers stigmatisés parler de «refaire la Révolution», avec tout ce qu’une telle assertion implique. Cela devrait donner à Jean-François Copé et à ses affidés une idée du péril qui gronde et qu’ils ne font qu’aviver en refusant d’ôter leurs œillères pour s’attaquer au cœur du vrai problème.
Manifeste pour une droite décomplexée, dit-il? Eh bien, si c’est ça la droite aujourd’hui, j’ai sincèrement honte d’être de droite.
Yann Solle