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Benghazi: il y a les bons et les mauvais blasphémateurs

Les assassins sont les gens qui ont du sang sur les mains, pas les provocateurs qu’ils prétendent dénoncer au lance-roquettes.

L'intérieur du consulat américain de Benghazi, après l'attaque du 11 septembre - Esam Al-Fetori / Reuters
L'intérieur du consulat américain de Benghazi, après l'attaque du 11 septembre - Esam Al-Fetori / Reuters

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Il y avait les bons et les mauvais chasseurs des Inconnus, il y a maintenant les bons et les mauvais blasphémateurs des «gens de bien» (je n’ose pas dire «bien-pensants», une expression désormais aussi connotée et vide de sens que «point Godwin» et «pensée unique»).

Qu’un obscur réalisateur fabrique, avec trois dollars et autant de bouts de ficelle, une vidéo un peu crétine sur le prophète Mohamed et qu’elle serve de prétexte à des fanatiques pour assassiner quatre personnes au terme de l’attaque à la roquette d’un bâtiment diplomatique, et c’est une déferlante de condamnations horrifiées… du cinéaste en herbe.

Les islamistes, vous comprenez, sont de petits animaux fragiles à l’épiderme tendre qu’il convient de ne pas provoquer, sauf à se voir reprocher le sang que l’on croyait pourtant avoir vu couler sur leurs mains. Le réalisateur concerné qui, non content d’être médiocre et mal intentionné, possèderait les deux passeports les plus détestables du bréviaire progressiste (américain et israélien), est donc ce que nous pouvons appeler un «mauvais blasphémateur» [il serait en fait copte et d'origine égyptienne, indique le Washington Post]. Un sale type directement responsable de la mort violente d’un ambassadeur.

Et puis nous avons les «bons blasphémateurs» qui, s’ils irritent un ayatollah ou une bande de barbus à grands couteaux, le font dans le cadre de l’autoroute bien balisée de nos certitudes. Salman Rushdie? Un grand écrivain, un intellectuel ultimement meilleur musulman que les jeteurs de fatwas. Charlie Hebdo? Le phare de notre tradition nationale de la gaudriole anticléricale, dont les provocations tiennent davantage de la stimulation des neurones que de l’agression du divin.

En fait, on distingue le bon blasphémateur du mauvais blasphémateur en ce qu’il ne blasphème vraiment qu’à regret, que pour faire réfléchir. Le bon blasphémateur est essentiellement un type bien, éclairé et n’insultant les cieux que dans les limites du bon goût ―comme lorsqu’il enferme un crucifix dans un bol d’urine, par exemple, et nous force ainsi à nous pencher sur l’insondable vacuité de l’expérience humaine (ou quelque chose dans le genre, je ne me souviens plus de l’argument).

Le mauvais blasphémateur, lui, est plutôt un pasteur évangélique qui prêche dans une baraque en bois du fin fond des Amériques et crame un coran sur YouTube. Un méchant illuminé dont les ouailles pourraient facilement se serrer dans une cabine téléphonique, mais n’en sont pas moins capables de mobiliser la rue arabe d’un claquement de doigts. Un Robert Redeker qui écrit des tribunes dans Le Figaro (argh!) et trouble le sommeil d’un croyant un peu fruste.

Sur Rue89, mais c’est juste un exemple, il y en a d’autres, on sait manifestement séparer le bon grain de l’ivraie (Matthieu 13, 36-43: c’est une citation, pas un blasphème). Dans un papier titré «L’ambassadeur US tué à Benghazi à cause d’un film de série B anti-islam», Pierre Haski renvoie cinéastes médiocres et provocateurs et assassins fanatiques dos-à-dos, dénonçant la symétrie de leur action et au final, dédouanant les seconds pour mieux charger les premiers.

Je n’ai, moi-même, pas de sympathie excessive pour les blasphémateurs. Je respecte la foi et je ne brûle pas plus de coran que je ne compisse de petits Jésus en bois. Mais je me refuse à me faire le censeur de qui que ce soit, parce que la liberté d’expression n’est pas un machin à géométrie variable que l’on ne sortirait de son tiroir que lorsqu’elle semble servir sa cause, a fortiori lorsqu’une attaque d’ambassade et son cortège de morts procède davantage de la stratégie d’un groupe d’islamistes déterminés commémorant le 11-Septembre que d’une réaction spontanée à «un film de série B anti-islam».  

Et surtout, je me refuse à établir la moindre symétrie entre mauvais goût et assassinat. Et tant pis si ça me met mal avec les «gens de bien» (ça ne sera pas la première fois).

Hugues Serraf

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