Économie

Une augmentation de la dette publique nuit-elle à la croissance?

Ce n'est pas si simple.

<a href="http://www.flickr.com/photos/59937401@N07/5857336815/">Money Laundering</a> / <a href="http://www.2012.taxbrackets.org/">Images of Money </a> via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">Licence by</a>
Money Laundering / Images of Money via FlickrCC Licence by

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Dans This time is different, eight centuries of financial folly (Ed. Princeton University Press, 2009), Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, s’appuyant sur une analyse historique (huit siècles et soixante-six pays), ont cherché à mettre en évidence l’existence d’une relation systématique entre croissance du PIB et niveau de la dette publique.

A partir des données, ils estiment, entre autres, que la relation est faible pour des ratios de dette inférieurs à 90% du PIB et qu’au-delà de ce seuil, la croissance ralentit de manière significative. En effet, au-delà de ce seuil, le taux de croissance médian chute d’environ 1% et la moyenne diminue davantage (environ 4%). Ce résultat vaut aussi bien pour les pays développés que les pays en développement.

Quelle conséquence pour la politique économique?

Fin 2011, des pays tels que l’Italie (120,1%) la Grèce (165,3%) ou encore les Etats-Unis (99,36%) avaient un ratio de dette publique supérieur au seuil de 90% du PIB. A l’inverse,  pour d’autres pays comme la France (85,8%) ou encore l’Allemagne (81,2%), le ratio était inférieur au seuil mais s’en rapprochait. A la lumière de ce qui précède, quelles solutions s’offrent aux gouvernements de ces pays pour une croissance supérieure à celle qu’ils connaissent actuellement?

A en croire les conclusions de Reinhart et Rogoff, les pays du premier groupe devraient s’employer à réduire leur ratio de dette publique pour qu’il descende en dessous du seuil de 90% puisqu’actuellement le niveau de leur ratio de dette pénaliserait leur taux de croissance. Tandis que les pays du second groupe devraient s’attacher à contrôler la hausse de leur ratio de dette publique, à travers une politique rigoureuse c’est-à-dire une politique budgétaire qui soit de nature à ne pas faire augmenter plus rapidement la dette publique en valeur nominale que le PIB nominal.

Causalité ou corrélation?

Sauf que ce n’est pas si simple. En effet, peut-on déduire des conclusions de Reinhart et Rogoff qu’une augmentation de la dette publique cause un ralentissement de la croissance?

En fait, pour expliquer le fait que des niveaux de dette élevés sont corrélés avec des taux de croissance faible, les deux chercheurs s’appuient sur la théorie de l’équivalence ricardienne reformulée par Robert Barro. Ce dernier montre que toute politique de relance, financée par le déficit et donc par la dette, a des effets négatifs sur la croissance via un effet d’éviction.  

En effet, anticipant une augmentation future de leurs impôts pour financer le déficit présent, les ménages, rationnels, décideraient d’épargner une partie supplémentaire de leur revenu, pour eux et leurs enfants. C’est l’anticipation des remboursements futurs nés de l’accumulation de dette publique qui fait que les ménages augmenteraient leur taux d’épargne. Cela freinerait la demande et donc la croissance présente. En fait, les deux auteurs semblent voir une causalité qui va de la dette vers le ralentissement de la croissance.

Ce n’est pas la thèse de Yeva S. Nersisyan et L. Randall Wray dans leur article Un excès de dette publique handicape-t-il réellement la croissance? (Presses de Sciences Po, 2011). Les deux auteurs proposent une autre explication: pendant une récession, le solde public devient automatiquement négatif, du fait qu’en temps de récession, toutes choses étant égales par ailleurs, les recettes fiscales perçues par l’Etat diminuent. Cela entraîne mécaniquement une hausse du ratio de dette publique. En fait, c’est le déficit conjoncturel qui se creuse.

Ainsi, en prenant les taux de croissance moyens pour différents niveaux de dette, une corrélation négative existe. Autrement dit, «la causalité ne va pas de la dette vers le ralentissement de la croissance, mais en sens inverse». L’exemple récent de la récession française permet d’illustrer cela. En effet, elle ne peut pas s’expliquer par la hausse de la dette publique. Cette dernière est passée de 63,7% du PIB en 2006 à 79,2% du PIB en 2009, en partie du moins car le budget devenait automatiquement déficitaire.

Et les effets keynésiens?

Au-delà du seuil de 90% du PIB, Reinhart et Rogoff estiment que la dette publique réduit la croissance: les effets ricardiens l’emporteraient donc sur les effets keynésiens. En effet, «il s’agit de réfléchir à un arbitrage entre des effets keynésiens et ce que les économistes appellent “l’équivalence ricardienne”» (Jean-Marc Daniel, Réduire notre dette publique, septembre 2011, p. 14, note publiée par la Fondapol).

Une politique budgétaire a des effets keynésiens si une hausse de la dépense publique, qui correspond à une augmentation de la demande globale, entraîne un regain de croissance. Mieux, dans une optique keynésienne, une augmentation du déficit se traduit en une hausse du PIB qui induit une baisse du ratio de la dette publique, et ceci via l’effet multiplicateur. A l’inverse, en présence d’un effet ricardien, tout accroissement de la demande publique est accompagnée d’une diminution de la demande privée et in fine du PIB.

Des études menées par l’OCDE concluent qu’à court terme ce sont les effets keynésiens qui l’emportent, tandis qu’au bout de quelques années, les effets ricardiens finissent par l’emporter (Ibid. – Réduire notre dette publique [p.26]). C’est peut-être la raison pour laquelle Reinhart et Rogoff, qui ont mené une étude sur le long terme, n’ont expliqué leur relation qu’à travers l’équivalence ricardienne.

Julien Monardo

Article également publié sur Trop Libre, blog de Fondapol

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