Culture / Politique

Hollande par Depardon: dis-moi quel photographe tu choisis...

Si les portraits officiels ne reflètent presque jamais le style des photographes qui les ont réalisés, le choix du photographe ne doit rien au hasard et participe également de la symbolique que le pouvoir a voulu attacher à ce rituel.

Raymond Depardon et le portrait officiel de François Hollande, le 4 juin 2012. REUTERS/Philippe Wojazer
Raymond Depardon et le portrait officiel de François Hollande, le 4 juin 2012. REUTERS/Philippe Wojazer

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La photographie officielle du nouveau Président de la République française est un jeu de codes et de symboles qui doit généralement peu à la personnalité du photographe et beaucoup à la symbolique du pouvoir. Sylvain Maresca expliquait, en novembre 2011:

«En d’autres termes, il s’agit de brosser un portrait à la fois conforme aux normes et à l’idéal de la fonction.»

François Hollande sera-t-il assis comme François Mitterrand ou debout comme tous les autres Présidents de la Ve République? Portera-t-il l'habit, un costume, ou pourquoi pas, un jean pour montrer sa volonté d'être un homme «ordinaire»? Arborera-t-il fièrement les décorations qui symbolisent sa fonction? Sera-t-il photographié dans la bibliothèque de l'Elysée ou dans les jardins, avec ou sans drapeaux? Posera-t-il sa main sur la constitution, Les Essais de Montaigne ou un iPad? Doit-il regarder les Français dans les yeux comme Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ou adopter un regard lointain, comme tourné vars un horizon que nous ne pouvons encore imaginer, comme Charles de Gaulle ou Georges Pompidou?

Cet article étant publié après la divulgation de la photo (décidément, la photographie officielle du Président de la République est bien le genre photographique le plus difficile), vous avez déjà la réponse à ces questions existentielles, mais force est de constater qu'à l'exception notable de la photographie officielle de Valéry Giscard d’Estaing par Jacques-Henri Lartigue, les photographies officielles de nos Présidents s'inscrivent dans une problématique qui laisse peu de place à la créativité du photographe et qui relèverait plutôt d'un jeu des ressemblances et des différences avec le célèbre portrait, connu de tous les écoliers, de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud (1701).

Mais si ces images ne reflètent presque jamais le style des photographes qui les ont réalisées, le choix du photographe ne doit rien au hasard et participe également de la symbolique que le pouvoir a voulu attacher à ce rituel.

Jean-Marie Marcel, le portraitiste du général de Gaulle, était déjà en retraite et par son travail de portraitiste comme par son âge s'inscrivait davantage dans la période de la libération que dans les années 1960. Son père, Gabriel Marcel, était un philosophe existentialiste chrétien dont la pensée était sans doute beaucoup plus proche du Général que de Jean Paul Sartre. Sa photographie n'en symbolise pas moins la modernité parce que c'est la première photographie couleur d'un Président, tout comme en 1871, Adolphe Thiers avait été le premier président à utiliser la photographie pour son portrait officiel.

La légende familiale veut que mon frère, aujourd’hui disparu et âgé alors de 14 ans, ait servi de mannequin test à son assistant Jean Mainbourg (en studio et non à l'Elysée malheureusement) qui allait utiliser pour la première fois des flash électroniques avec des parapluies pour pouvoir réaliser ce portrait en couleur.

François Pages qui réalisa en 1969 le portrait officiel de Georges Pompidou travaillait habituellement pour Paris-Match. Ce choix illustre l'âge d'or du photojournalisme à la française. Les agences Gamma, Sygma et Sippa viennent d'être créées. Paris-Match est encore un grand magazine d'information. En utilisant un photographe de presse et non plus un portraitiste, Georges Pompidou inscrit son portrait dans une modernité que l'on ne retrouve d'ailleurs guère dans l'image.

La photographie de Valéry Giscard d'Estaing par Jacques-Henri Lartigue en 1974, est jusqu'à présent la seule image qui manifeste une réelle rupture avec la tradition du portrait officiel. Elle fit d'ailleurs couler beaucoup d'encre en son temps. C'est la seule image cadrée à l'horizontale et la seule image dont l'idée aura été imposée par son auteur.

Mais le parcours photographique de Jacques-Henri Lartigue est en lui-même très symbolique. L'essentiel de sa production ne s'inscrit pas dans un cadre professionnel. C'est un hobby qu'il a découvert à l'âge de 6 ans et avec lequel il a documenté, avec génie, une classe sociale riche et oisive héritée du XIXe siècle (au travers de photographies de sa famille et de ses amis) qui allait disparaître progressivement entre les deux guerres.

On peut d'ailleurs se demander si ce n'est pas leur origine sociale qui a permis à ce Président et à ce photographe de faire fi de la tradition. Sarkozy a choisi Le Fouquet’s pour célébrer son accession au pouvoir, Valéry Giscard d'Estaing a choisi Jacques-Henri Lartigue pour réaliser son portrait officiel. 

Gisèle Freund, qui réalisa en 1981 le portrait de François Mitterrand, est également une légende de la photographie. D'origine allemande, sociologue et photographe, engagée politiquement, elle a réalisé un grand nombre de portraits d'intellectuels et d'écrivains. Dans un pays où la consécration politique ne saurait se concevoir sans prétentions à l'écriture, elle est le photographe idéal d'un Président qui a choisi de poser avec dans ses mains Les Essais de Montaigne.

Bettina Rheims photographia Jacques Chirac en 1995. C'était un choix assez inattendu pour débuter une présidence qui s'explique probablement par les liens amicaux qu'elles entretenaient avec Jaques Chirac. Photographe de mode et de publicité, reconnue par le marché de l'art, ses nus ont été souvent des objets de scandale.

Autant les photographies de Jacques-Henri Lartigue avaient en 1974 quelque chose de délicieusement surannées, autant celles de Bettina Rheims sont à l'image de la publicité de la mode et des arts de son temps. A un tel point d'ailleurs que c'est le seul auteur que j'ai du mal à associer symboliquement avec son Président. Mais c'est peut-être parce que je connais mal Jacques Chirac.

Philippe Warrin, l'auteur de la photographie officielle de Nicolas Sarkozy en 2007, est un photographe people.

Ami de Cecilia Sarkozy, il a déjà réalisé de nombreux reportages sur le couple avant l'élection, et ce choix est très symbolique des premières années de la présidence Sarkozy. Jusque d'ailleurs dans son exclusion des photographes attitrés du Président, lorsque Cécilia Sarkozy s'en est allée vivre de nouvelles aventures.

Raymond Depardon pour François Hollande, ça a comme un arrière goût de campagne présidentielle.

Depardon est l'antithèse de la photographie people (comme d'ailleurs de la photographie de Bettina Rheims). Ce qu'il aime c'est photographier «les temps morts», «le temps faible». Les paysans dans la durée, la France éloignée des autoroutes et des nationales, le désert. Dans son film Une partie de campagne réalisé en suivant Valéry Giscard d'Estaing lors de la campagne qui allait le mener à la présidence, il a même réussi l'exploit de faire de Giscard un homme presque ordinaire.

Thierry Dehesdin

Photographe, il est exposé jusqu'au 22 juillet au musée français de la Carte à Jouer dans le cadre de l'exposition «Les nouvelles couleurs de l'industrie».

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