France / Politique

Pour la suspension du droit de vote aux Français de l’étranger

Alors que le débat sur le droit de vote des immigrés aux élections locales est encore ouvert, la vraie question qu’il faudrait se poser est plutôt: pourquoi maintenir le droit de vote aux Français vivant à l’étranger?

Dans un bureau de vote du sud de la France, en mars 2011. REUTERS/Robert Pratta
Dans un bureau de vote du sud de la France, en mars 2011. REUTERS/Robert Pratta

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«Accepter le vote des étrangers, c'est la porte ouverte au communautarisme. Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la nourriture halal dans les repas des cantines, ou réglementent les piscines à l'encontre des principes de mixité», a déclaré Claude Guéant le 2 mars à Velaine-en-Haye, près de Nancy lors d'un meeting de soutien à Nicolas Sarkozy. Le Sénat avait examiné en décembre 2011 une proposition de loi visant à accorder le droit de vote aux étrangers extracommunautaires. Une initiative qui, comme prévu, n’avait pas été approuvée lors de son passage à l’Assemblée nationale mais qui a ravivé un (très) vieux débat politicien entre la droite et la gauche.

Selon un sondage paru en novembre 2011, 61% des Français sont favorables à l’instauration de ce droit qui ouvre la voie à une vraie réflexion sur la nationalité, la citoyenneté et le système de représentation démocratique. Car cette question en cache une autre bien plus intéressante: le droit de vote des Français de l’étranger. Si les représentants politiques ne doivent plus être élus uniquement par des personnes de nationalité française, mais par les citoyens vivant en France (c’est l’hypothèse raisonnable d’une telle revendication), pourquoi continuer à accorder le droit de vote à des Français qui ne résident plus sur le territoire? 

Principe de réciprocité

Remarquons d’abord que cette prémisse initiale (séparer nationalité et citoyenneté) existe déjà en ce qui concerne l’Union européenne. Depuis quelques années, les Français (et les autres) vivant dans un pays de l’UE ont la possibilité de voter aux élections municipales des lieux où ils résident. Ils peuvent paradoxalement aussi décider de le faire en France, s’ils sont inscrits sur une liste électorale d’une commune (qui peut être celle de «vos parents jusqu’au quatrième degré»). La proposition de loi visait donc les étrangers extracommunautaires.

Nombreux sont les gens qui pensent «qu'il ne serait pas anormal qu'un étranger en situation régulière, qui travaille, paie des impôts et réside depuis au moins dix ans en France, puisse voter aux élections municipales», comme le disait Nicolas Sarkozy en 2005. Pourquoi pas alors aux législatives ou à la présidentielle?

La principale raison pour s’y opposer serait le manque de réciprocité. Un étranger pourrait voter aux élections françaises mais un Français ne pourrait pas le faire dans le pays en question. Un pays comme l’Espagne, qui permet le vote des étrangers aux municipales, a des accords de réciprocité dans l’exercice du vote avec des pays comme le Chili, le Pérou, le Maroc ou la Nouvelle-Zélande. Un écueil qui semble facilement surmontable au sein de l’UE en ce qui concerne les législatives et la présidentielle, comme c’est déjà le cas pour les municipales.

Dans ce cas, le vote serait bien plus une question de citoyenneté que de nationalité. En effet, pourquoi permettre à un Français qui ne vit plus dans son pays depuis 25 ans de voter? Et pourquoi ne pas permettre à un étranger qui y vit depuis 25 ans de le faire? Lequel des deux s’intéresse, profite, s’implique ou subit vraiment les effets du vote en question?

Deux poids, deux mesures

Une démarche qui n’est peut-être pas aussi saugrenue qu’elle y paraît. En effet jusqu'à maintenant (en 2012 cela va changer), les Français de l’étranger ne pouvaient pas voter aux élections législatives. La raison la plus «logique» étant que les députés étaient des représentants territoriaux, d’où la création de ces fameux «représentants des Français établis hors de France». Une preuve, s’il en fallait une, que l’on peut continuer à être parfaitement Français sans profiter d’un droit de vote qui n’a pas de réelles conséquences pour l’électeur en question.

En revanche, ces mêmes Français ont toujours pu voter à la présidentielle. Et aux municipales s’ils sont inscrits à une commune tout en vivant à Singapour (!). Dans la pratique, cela signifie (en gros) qu’ils peuvent donc donner leur avis sur, par exemple, le taux d’imposition en France, le permis à points, le mariage homosexuel ou la convergence fiscale avec l’Allemagne. Autant de sujets sociaux, économiques, idéologiques ou éthiques qui ne les affectent (en grande majorité) presque jamais.

«Le vote est un droit essentiel qui vient avec la nationalité française» pourrait-on argumenter. Sauf que cela n’a été vrai jusqu’à aujourd’hui que pour l’élection présidentielle (et les référendums qui, il est vrai, posent souvent des questions sur l’avenir général du pays). «Pour nous, le droit de vote ne se justifie pas par les impôts que l'on paye. C'est le résultat d'une volonté de partager un destin commun», a déclaré François Fillon fin novembre pour s’opposer au vote des étrangers. On peut donc partager un «destin commun» en étant Italien ou Espagnol mais pas Russe ou Japonais. Et, à l’inverse, on peut «partager un destin commun» sans n’avoir jamais mis les pieds en France ou y passer seulement ses vacances. 

Sans oublier que, comme nous l’expliquent ces mêmes hommes politiques depuis quelques temps, être Français c’est avoir «des droits ET des devoirs». Or le vote des étrangers ressemble étrangement à un «droit sans devoir»: je décide des impôts d’un pays (donc des autoroutes, du TGV, du système de santé) sans les payer, je vote pour la guerre en Afghanistan sans en subir les conséquences (françaises tout du moins), je défends des mesures écologiques qui ne s’appliquent pas dans le pays dans lequel je vis et ainsi de suite. Un acte gratuit qu’il serait peut-être temps de remettre en cause. Cela pourrait être notamment une petite mesure de pression (la seule possible?), par exemple, sur ces sportifs de haut niveau qui décident d’avoir leur résidence principale à l’étranger pour payer moins d’impôts.

Responsabilité et légitimité

Il est évident que l’on ne peut parler de manière générale des «Français de l’étranger» sans faire d’amalgame, car chaque cas est spécifique. Ce n’est pas la même chose d’être un homme d’affaires qui change de pays tous les deux ans, un Français qui travaille en Italie mais a une résidence en France ou un expatrié qui habite au Japon depuis 30 ans.

On parle ici (par exemple) des Français qui vivent dans le même pays depuis plus de 10 ans et qui «peuvent se sentir concerné par la vie locale sans avoir le désir de devenir» suédois (ou argentin ou portugais…), pour reprendre l’argument de Vincent Rebérioux, vice-président de la Ligue des droits de l'homme, en faveur du vote étranger aux municipales (car, rappelons-le quand même, les Français sont aussi des étrangers ailleurs). «Dans la vie, il faut faire des choix», répond Lionnel Luca, élu UMP des Alpes-Maritimes, sur le sujet.

Sûrement, mais alors, pourquoi ne pas faire le choix de déposséder les Français vivant dans le même pays depuis plus de 10 ans du droit de vote? La mesure serait temporaire et quand ils reviendraient en France «partager un destin commun», ils récupéreraient leur droit.

Dans un monde idéal, la mesure (du moins dans le cadre de l’UE) pourrait même être facultative: vous, Français qui vivez depuis 18 ans en Autriche, préférez-vous voter là-bas ou en France? Voilà la vraie «citoyenneté de résidence, sans distinction de nationalité» que défendent les signataires d’une lettre au journal Le Monde en défense du vote des étrangers: pas uniquement le vote des citoyens étrangers, mais aussi la suspension de celui des Français non résidents en France depuis plusieurs années (et la possibilité d’un droit de vote dans leur pays d’accueil).

Vivant depuis près de 30 ans en Espagne, les gens me demandent souvent: pourquoi tu ne votes pas en France? Ma réponse est toujours la même: «Je ne me sens ni responsable ni légitime pour le faire.» Responsable car les politiques pour lesquelles j’ai choisi de voter ne s’appliquent pas dans mon cas et légitime car je ne participe pas aux devoirs qui m’autorisent à avoir ce droit.

Cela aurait plus de sens que je puisse voter en Espagne (et non en France) sans que cela ne remette en cause ma nationalité à laquelle je suis attaché et qui me ramènera peut-être un jour en France. On peut vouloir participer à la vie politique de son pays d’accueil sans renoncer à sa nationalité (mais à son vote là-bas). Certains ont d’ailleurs la chance de pouvoir le faire en tirant parti du capharnaüm administratif, des circonstances conjoncturelles et de l’incohérence des accords bilatéraux qui donnent droit à la double nationalité.   

Les défenseurs du droit de vote des étrangers devraient pousser leur logique jusqu’au bout et se poser donc la question de ce même droit en ce qui concerne les Français ne vivant pas sur le territoire. «Le principe selon lequel le citoyen est défini uniquement par l’Etat-nation est un principe qui n’a plus lieu d’être», expliquait Pierre Juquin, l’un des premiers à défendre le droit de vote des immigrés dans toutes les élections.

L’UE confirme cette vérité tous les jours à travers des institutions supranationales qui finiront par être les vraies responsables des politiques étatiques. L’Union a d’ailleurs commencé cette saine séparation entre nationalité et citoyenneté grâce au Traité de Maastricht (article 8B-2) qui permet à un Français (ou autre) résidant dans un Etat de l'UE d’y voter pour les listes de ce pays lors des élections européennes. On peut être Français et voter pour les députés italiens si l’on vit dans ce pays et que c’est là que l’on va subir ou profiter des politiques européennes. Cela paraît évident. Pourquoi ne pas étendre ce procédé aux élections législatives et présidentielles?

Aurélien Le Genissel   

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