France / Politique

Le quotient familial ou comment aider les classes populaires

Que propose la droite? Conserver un dispositif centré sur les ménages aisés. Que propose François Hollande? Rééquilibrer le dispositif au profit des moins aisés. Sans toucher aux classes moyennes.

<a href="http://www.flickr.com/photos/25230222@N07/2380929432/">Familiy Drawing</a> / Childrens Book Review via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Familiy Drawing / Childrens Book Review via FlickrCC License by

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Depuis que la gauche a évoqué la possibilité de réformer le quotient familial, la droite a sorti l’artillerie lourde: ce serait une «folie» que de s’attaquer à ce «socle de la politique familiale», ce serait la «destruction de la politique familiale»…

La droite fait d’abord preuve d’une mauvaise foi politicienne qui ne fait pas honneur au débat démocratique. Les socialistes ont pris soin de préciser que la réforme envisagée se ferait à enveloppe financière constante de la politique familiale: il s’agit donc d’un redéploiement et non d’une réduction, encore moins d’une destruction de la politique familiale.

Le quotient familial n’est par ailleurs pas son «socle»: il ne représente qu’à peine plus de 10% de l’ensemble des dépenses familiales –13 milliards d'euros sur plus de 100 milliards d'euros au total (allocations familiales, garde d’enfant, allocations de naissance, allocation de rentrée scolaire, allocation logement, prestations familles nombreuses…).

L’UMP est surtout prise en flagrant délit de duplicité politique. Elle prétend faire de la reconquête des classes populaires sa priorité politique, or elle fait l’inverse.

Le quotient familial est un dispositif fiscal qui fournit une réduction des taux d’imposition en fonction du nombre d’enfants. Il ne concerne donc que les seules familles imposables (la moitié des foyers) et offre un avantage par enfant plus que proportionnel au revenu. Conséquence, il ne bénéficie véritablement qu’à une minorité des Français ainsi que l’a analysé le Conseil des prélèvements obligatoires en 2011: les 10% de foyers les plus riches concentrent 42% de cet avantage fiscal et les 50% les moins riches ne bénéficient que de 10%.

Une réforme neutre pour les classes moyennes

Ainsi, dans sa configuration actuelle, il bénéficie de façon disproportionnée aux familles aisées, l’avantage augmentant en fonction des revenus. A l’inverse, les classes populaires n’en bénéficient pratiquement pas. Par exemple, pour une famille avec 4 enfants dont les 2 parents sont au smic, le quotient familial rapporte 672 euros par an; pour la même famille ayant un revenu de 75.000 euros, il rapporte 13.806 euros.

Résumons. Que propose la droite? Conserver un dispositif centré sur les ménages aisés: «la présidence des riches», une nouvelle fois, comme le dénonce François Hollande. Que propose la réforme? Rééquilibrer le dispositif au profit des classes populaires –ces 50% de foyers non imposés à l’impôt sur le revenu et qui, de ce fait, ne bénéficient pas du quotient familial. Sans toucher aux classes moyennes: la réforme est neutre pour elles. Qui veut vraiment soutenir les classes populaires?

Au-delà de la polémique, il est possible de dresser un bilan raisonné de la politique familiale française. C’est ce qu’a fait Terra Nova dans un récent rapport: «Politique familiale: d'une stratégie de réparation à une stratégie d'investissement social».

Le rapport souligne l’efficacité globale de la politique familiale française en matière de natalité. Mais il pointe deux défauts.

Le premier est bien connu: si la politique familiale opère une vraie redistribution «horizontale» (des couples sans enfants vers les familles nombreuses), elle est porteuse d’effets inégalitaires importants en termes «verticaux» (des familles modestes vers les familles aisées). Ceci est dû au fait qu’il y a peu de prestations sous conditions de ressources (17 milliards sur 100 milliards d'euros) et, surtout, que la politique familiale passe pour l’essentiel par des dispositifs fiscaux. C’est le cas, typiquement, du quotient familial. Au total, pour la politique familiale française, l’enfant d’une famille riche «vaut» plus que l’enfant d’une famille modeste. La France pratique discrètement un eugénisme soft.

Passer de la logique de réparation à l'investissement

Le second est moins connu, et a été pointé par le rapport de Terra Nova: la politique familiale repose sur une logique de réparation. L’enfant est considéré comme un coût qu’il faut rembourser aux parents. Le cas le plus symptomatique concerne les majorations de pensions de retraite au profit des parents qui ont eu à charge des familles nombreuses. Ces majorations sont très importantes: 14 milliards d’euros par an. Elles sont d’ailleurs très inégalitaires: il s’agit d’un supplément de 10% sur la pension de base (plus la pension est élevée, plus l’avantage est important), qui plus est défiscalisé. Elles relèvent à l’extrême de la logique de réparation: la collectivité rembourse aux parents le coût de l’éducation des enfants, vingt ans après, au moment de la retraite.

Pourquoi ne pas investir ces sommes au profit des enfants, au moment de l’éducation des enfants? Car tel est bien la faiblesse de la politique française: en dépit de dépenses très importantes, l’investissement dans le développement de l’enfant est défaillant. Par exemple, les deux-tiers des jeunes enfants ne trouvent pas de solutions de garde en France.

Le rapport de Terra Nova propose, à enveloppe constante pour la politique familiale, de corriger ces deux défauts. Il propose un changement majeur: passer d’une logique de réparation, dominée par un soutien financier aux familles pour compenser le coût de l’enfant, à une stratégie d’investissement social, centrée sur des prestations de services au profit de l’enfant et de son développement. Cette stratégie se veut égalitaire, pour mettre fin à l’injustice actuelle, où tous les enfants n’ont pas la même valeur pour la République.

Les propositions du rapport s’organisent ainsi autour de trois axes:

  • promouvoir le développement de l’enfant par la mise en place d’un service public de la petite enfance (SPPE) et par un plus grand investissement des parents (et notamment du père) via une réforme des congés parentaux;
  • accroître l’équité des transferts de la politique familiale;
  • soutenir les choix conjugaux et la parentalité.

La politique familiale mérite un vrai débat pour la présidentielle –et Terra Nova entend y contribuer.

Olivier Ferrand

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