Culture

La guerre des Tintin qui n'aura pas lieu

La possible tribune du producteur d'une des deux «Guerre des boutons» et d'un des trois films sur Ilan Halimi, Thomas Langmann, à propos de son Tintin.

Temps de lecture: 5 minutes

[Avertissement: Le texte qui suit est une fiction, imaginant un présent alternatif dans lequel le producteur français Thomas Langmann n'aurait pas produit une «deuxième nouvelle version» de la Guerre des Boutons ou serait en cours de production d’un des trois projets sur l’histoire d’Ilan Halimi mais un deuxième film Tintin, prévu pour sortir juste après celui de Steven Spielberg. (1)

Dans les faits, la chose est impossible, l'œuvre d'Hergé n'étant pas encore dans le domaine public –attendons 2053, soit 70 ans après la mort de l'auteur. Pour mémoire, Langmann est le producteur et co-réalisateur d'Astérix aux Jeux olympiques, récipiendaire aux Gérard du cinéma 2008 du Parpaing du plus mauvais film, une distinction plus que méritée.]

A.H.

J'ai eu 40 ans cette année et je le vis plutôt bien. J'ai produit The Artist, prix d'interprétation masculine à Cannes et gros carton en salles qui ne devrait pas rentrer bredouille des Oscars. J'ai récupéré l'argent qui me revenait de droit à la suite d'une ch'tite embrouille avec Dany Boon. J'ai gentiment avoué mon canular bien LOL autour d'une improbable adaptation ciné de l'affaire Bettencourt, que toute la presse avait gobée l'an dernier.

Et puis j'ai mûri.

Terminé le temps où on me présentait uniquement comme «le fils de Claude Berri», le temps où je devais ravaler mon envie de foutre mon poing dans la gueule d'Ardisson qui osait critiquer Le Boulet, ma première vraie production en solo sans l'aide du paternel. Je m'appelle Thomas Langmann et je suis le dernier nabab, c'est le Figaro qui l'a dit.

Chouette tableau, n'est-ce pas? Malgré tout, je dois avouer que mon année 2011 sera tout de même ternie par un bémol: vous le savez sans doute, j'ai réalisé et produit une adaptation de Tintin, en salles la semaine prochaine, soit sept jours exactement après la version Steven Spielberg et Peter Jackson. Plutôt que d'attendre l'inévitable déferlement de bile de la presse parisienne, je préfère m'exprimer librement, de mon propre chef, pour revenir sur cette formidable aventure.

Mon père nous a quittés en janvier 2009, une semaine après le début du tournage de son ultime film, Trésor, terminé par le réalisateur François Dupeyron. Le film raconte les mésaventures d'un couple (Alain Chabat et Mathilde Seigner) dont le quotidien bascule avec l'arrivée d'un chien dans le foyer. Oui, boucler sa carrière avec Mathilde Seigner après avoir révélé le talent dramatique de Coluche, ça vous flingue une filmographie, mais ce n'est pas le sujet.

Le fait est que ce chien m'a ému comme aucun autre acteur français ou belge n'avait réussi à le faire auparavant. Je me suis donc creusé la tête pour savoir à quel long métrage potentiellement canin je pourrais m'atteler. Une rediffusion de la série animée Tintin aperçue en zappant sur la TNT plus tard, et j'avais mon sujet: un film sur Tintin raconté, en vue subjective canine, via les yeux de son fidèle Milou.

Mon entourage me répète alors en boucle que je fais l'erreur de ma vie. Je ne les écoute pas, mais la vision d'une vidéo de chat filmée en vue subjective trouvée sur le Net me remet les idées en place: mon idée a beau être brillante, le rendu donne sacrément la gerbe. C'est le moment où j'apprends que Spielberg et Jackson sont aussi sur le coup. Re-avertissements en pagaille de mon entourage, mais cette fois-ci sans succès: ce Tintin, je veux le faire.

D'ailleurs, je suis vite rassuré sur les différences fondamentales entre les deux projets, à commencer par le rendu visuel. La motion capture? Très peu pour moi. Quel est l'intérêt de débourser dix euros pour voir sur grand écran une cinématique de jeu Playstation pendant deux heures? Mon Tintin à moi, c'est du live action, avec des acteurs de chair et de sang, pas trois pauvres types dans un garage déguisés en sapins de Noël avec leurs capteurs de mouvement.

A la froideur du numérique, j'ai préféré celle, garantie sans trucage, de l'Himalaya –sauf pour les scènes intérieures, tournées en Bulgarie pour d'évidentes raisons fiscales. J'ai en effet opté pour l'adaptation du classique Tintin au Tibet, paru en 1960. Sans vouloir tacler gratuitement Spielberg, je trouve d'ailleurs un peu facile de sa part d'avoir choisi Le Secret de la Licorne. Des corsaires, des navires, des trésors: c'est bon, Spielby, on a compris que tu cherchais à profiter de la mode pirate lancée par Johnny Depp. De mon côté, Tintin au Tibet me permet d'évoquer le thème de l'occupation chinoise, qui me tient à cœur depuis toujours, et d'engager Jet Li, découvert grâce à Luc Besson, dans le rôle de Tchang.

Parlons du casting, d'ailleurs. Pour le rôle principal du reporter à houppette, j’ai d’abord pensé à Jamel Debbouze. Je sais, le choix peut surprendre, mais il était motivé par des raisons que j’estimais limpides. Primo, cela aurait illico désamorcé les accusations nauséabondes de racisme portées à l’encontre de l’œuvre de Hergé. Personnellement, je fais partie des gens qui n’ont pas honte de rire à une bonne blague sur les Congolais, tant qu'elle est faite dans un esprit de respect et d’ouverture.

De plus, le contre-emploi racial a déjà fait ses preuves: prenez l’excellent Catwoman de mon compatriote Pitoff, à mon sens la meilleure adaptation de comic book jamais réalisée. C’était sacrément couillu de sa part de remplacer la pâlotte Michelle Pfeiffer par une hâlée Berry dans le rôle de la femme chat. Hélas, Jamel a préféré faire son élitiste en préférant tourner dans une autre adaptation de bande dessinée, Poulet aux Prunes.

Finalement, sur les conseils de Christophe Barratier avec qui j'adorerais retravailler un jour (on préparait Astérix 4 ensemble, salopard d'Uderzo, tu me le paieras), je me suis finalement résigné à embaucher Jean-Baptiste Maunier, le petit blondinet des Choristes.

 

Le reste du casting est à l'avenant, et je prends le pari que le doublage du Yéti signé Kad Merad en épatera plus d'un. Ma plus grande fantaisie reste tout de même le choix du Capitaine Haddock. Vous vous souvenez sans doute que dans les films Astérix que j'ai produit avec père, notamment dans le troisième que j'ai co-réalisé, beaucoup d'accents improbables et de post-synchronisation hasardeuse ruinaient fréquemment la compréhension ou la crédibilité des dialogues. Cela était dû à la présence d'acteurs étrangers dans la distribution, coproductions européennes oblige.

Si j'ai à nouveau fait appel à des capitaux de toute l'Europe pour boucler mon budget, j'ai pris garde à limiter au maximum ce genre de dommages collatéraux en attribuant le rôle de Haddock à trois acteurs différents. Pour la version francophone, c'est mon Obélix adoré Gérard Depardieu qui assure le job.

Dans la version allemande, c'est le teuton Bruno Ganz, découvert dans une série de sketch rigolos mais un peu répétitifs sur YouTube (il y joue toujours Hitler dans le même décor), qui double Der Kapitän.

Enfin, pour la version hispanique, c'est mon comparse Santiago Segura, déjà vu dans mon Astérix 3, qui s'en charge. Il va de soi que c'est Depardieu qui, bilingue oblige, a assuré la version anglaise.

Le résultat parle de lui-même.

Je préfère ne rien dévoiler de plus, mais je tiens à affirmer, une fois de plus, que les intentions bassement mercantiles que l'on me prête sans cesse sont injustes. Comme je l'ai souvent dit, j'ai appris de mon père qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, et qu'un The Artist ou un Mesrine (voire deux, quitte à bâcler le second) ne se financent pas sans le pécule de guerre amassé grâce aux grands succès populaires.

Je ne me fais pas d'illusions, la presse va m'assassiner en prenant partie pour Spielberg. Je m'y attends. Je m'attends aussi à une réévaluation, un jour ou l'autre, de mes œuvres passées. On m'a ainsi beaucoup reproché le final d'Astérix aux Jeux olympiques et son défilé de guests stars venues le temps d'une scène: Zinedine Zidane, Amélie Mauresmo, Michael Schumacher, Tony Parker...

Quand est-ce que l'intelligentsia critique comprendra enfin l'ironie qui transpire de mes intentions? Comment peut-on ne pas saisir cette critique virulente de la société de consommation et de ses idoles, à travers un procédé de name dropping visuel directement emprunté au American Psycho de Bret Easton Ellis? Même sur le tournage, l'esprit résolument rebelle et rock'n'roll de l'auteur américain dictait le moindre de nos gestes.

En tout cas, pour conclure sur ce qui nous intéresse, j’espère de tout cœur que les aficionados de Tintin réserveront à mon film l'accueil chaleureux qu'il mérite, comme les fans d’Astérix et Blueberry l'avaient fait avant eux pour leurs adaptations respectives

Je vous laisse, j'ai un scénario de Rantanplan à écrire: après Les Dalton (2003) et Lucky Luke (2009), il serait temps qu'un grand film rende enfin hommage au meilleur personnage de bande-dessinée francophone jamais écrit.

Thomas Langmann

(Adapté pour l'écran 15 pouces par Alexandre Hervaud)

(1) Mesrine avait déjà été adapté au cinéma (en 1983) et pour la télévision. Langmann est le producteur d’un Fantômas, déjà adapté au cinéma avec Jean Marais et Louis de Funès. Retour à l'article

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