France

Misère de la démondialisation

Il faut à la crise un coupable. Pour Arnaud Montebourg, c’est la mondialisation.

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Dans Votez pour la démondialisation!, un petit ouvrage paru tout récemment et qui fait grand bruit, le bouillant député de Saône-et-Loire défend le concept de «démondialisation» qu’il définit comme «un processus politique visant à reterritorialiser l’économie en rapprochant les lieux de consommation et de production».

Pour le candidat socialiste à la primaire de son parti, la mondialisation et les dégâts qu’elle entraîne sur la société française ne seraient pas une fatalité: à ses yeux, d’autres choix sont possibles. Arnaud Montebourg propose ainsi toute une série de mesures pour instaurer ce qu’il appelle un protectionnisme «créatif, moderne, dépoussiéré et flambant neuf».

De ce petit ouvrage, rédigé dans la perspective de la primaire du Parti socialiste et de l’élection présidentielle de 2012, on ne pouvait attendre un exposé universitaire sur la mondialisation. En cela, Montebourg tient ses promesses en nous livrant un pamphlet en bonne et due forme.

Le procureur Montebourg manque de preuves

Comment nier qu’il existe en France un problème de niveau de revenus et de partage des richesses? L’auteur a naturellement raison de s’en émouvoir.

Cependant, et bien que la charge de la preuve soit à l’accusation, Arnaud Montebourg ne démontre en rien que la cause en est la mondialisation. Au contraire, les difficultés qu’il dénonce peuvent être attribuées à l’inadaptation de notre outil industriel, à la mauvaise gestion des entreprises, ou au poids effarant des charges pesant sur le travail en France.

A lire Arnaud Montebourg, la mondialisation n’existerait que depuis vingt ans, soit depuis 1991. Affirmation étonnante: le géopoliticien François Thual n’a-t-il pas montré, à la suite de Fernand Braudel, que la mondialisation en cours –que tous les experts font d’ailleurs remonter aux années 1980– n’est que la troisième étape d’un processus qui remonte au XVIe siècle? La démonstration est d’autant plus faible qu’elle s’appuie parfois sur des faits inexacts.

Pour illustrer sa thèse selon laquelle les grandes multinationales étouffent les agriculteurs, il nous indique ainsi que les bénéfices du producteur de semences Mosaic ont augmenté de 430%, sans préciser la période à laquelle il se réfère. Or, ceux-ci ont baissé l’année dernière de près de… 50%.

Reductio ad délocalisation

L’auteur n’aborde qu’une facette de la mondialisation, négligeant l’autre, la consommation.

Sans la mondialisation, les familles modestes pourraient-elles s’offrir des pantalons à 10 euros et des voitures à bas prix? Plus de 100.000 Français ont ainsi déjà voté pour la mondialisation en achetant une Dacia, produite par Renault en Roumanie. Entraver la mondialisation augmenterait immédiatement les prix de l’ensemble de ces produits bon marché. Les premières victimes en seraient les familles les plus pauvres, que l’auteur prétend défendre.

Sans s’embarrasser d’un effort minimal d’argumentation, l’auteur opère un raccourci étonnant, en assimilant mondialisation et délocalisations.

L’économie globale serait ainsi l’une des origines du chômage hexagonal. Il omet de mentionner les créations d’emploi qu’elle génère. Selon l’AFII, 30.000 emplois en moyenne sont créés ou maintenus chaque année sur le territoire français par les seules entreprises étrangères. Les gains dégagés par nos entreprises grâce à la mondialisation et les nombreux emplois induits sont également passés sous silence. Par ailleurs,  s’il est indéniable que les délocalisations détruisent des emplois à court terme, elles en créent en définitive par l’amélioration de la productivité et la création de richesses qui en découlent.

Sont également niés, au moyen de quelques pirouettes stylistiques, les bénéfices évidents de la mondialisation dans les pays émergents. L’auteur n’a pas jugé opportun de signaler que quelque 600 millions de Chinois ont été tirés de la pauvreté en 25 ans.

De quoi démondialisation est-il le nom?

Pour protéger l’économie française des pratiques, forcément déloyales, de nos concurrents, Arnaud Montebourg propose ni plus ni moins l’instauration d’un protectionnisme européen. Comment ne pas voir l’impasse que constitue un tel projet?

Rappelons que la loi Smoot-Hawley de 1930 votée aux États-Unis dans le même esprit d’auto-défense fut un facteur considérable d’aggravation de la Grande Dépression. L’auteur souhaite-t-il que l’Europe et la France empruntent les mêmes chemins? Comment propose-t-il de gérer les mesures de rétorsion que nos partenaires commerciaux ne manqueront pas de prendre à notre encontre?

Il ne le précise pas. Il oublie également de préciser que l’Organisation mondiale du commerce a justement pour vocation de régler les différends entre partenaires commerciaux.

L’Allemagne, notre meilleur allié dans le déclin?

Dans un chapitre qui pourrait prêter à rire si le sujet n’était si grave, l’auteur suggère que la France  négocie «fermement» un accord avec notre voisin germanique afin de développer une politique d’autarcie au niveau européen. Une proposition qui laisse pantois: comment imaginer que l’Allemagne, géant industriel en pleine santé et premier exportateur mondial, grand gagnant de la mondialisation, puisse souscrire  à une telle démarche? Comment ne pas y voir autre chose qu’un perdant qui demande au gagnant de changer les règles du jeu pour avoir une chance à nouveau?

Les chantres du repli

En définitive, le livre d’Arnaud Montebourg prône le renoncement face au défi mondial, un repli sur la bonne vieille terre de France qui, elle, ne ment pas.

Il rejoint en cela un certain nombre d’acteurs de notre vie politique et sociale, venus de divers horizons et exploitant une véritable angoisse française. Ainsi, le clin d’œil aux écologistes prête à sourire. Le repli autarcique sur notre territoire serait ainsi une manière d’œuvrer pour la préservation de l’environnement. Une fois encore, Arnaud Montebourg se garde bien d’argumenter cette thèse dont le progressisme le dispute aux théories de la décroissance.

Si Arnaud Montebourg se défend de prôner un protectionnisme semblable à celui du Front national, ce distinguo est purement formel. Son protectionnisme puise aux mêmes sources idéologiques et culturelles. Marine Le Pen ne renierait pas une ligne de cet ouvrage, et l’auteur devrait sans doute s’en inquiéter.

Pense-t-il réellement que la France n’a aucune chance dans le monde actuel, elle qui a longtemps prétendu guider celui-ci par son audace, son talent et sa foi en l’avenir dont sa famille politique fut longtemps porteuse?

Opportunisme ou donquichottisme?

En refermant ce petit ouvrage, le lecteur a le sentiment que l’auteur a manqué sa cible. Les erreurs, les imprécisions, les amalgames, les faits juxtaposés pour suggérer des causalités inexistantes peuvent être mises sur le compte de l’ambition politique de l’auteur. Si à ce titre on peut également lui pardonner les lieux communs et même une certaine mauvaise foi, il est un péché imprescriptible, celui de consacrer sa plume et son énergie à une cause injuste.

Se trompant de diagnostic, Arnaud Montebourg se trompe de cible: comme l’écrivait Walter Lippmann dans La Cité libre, c’est l’ordre social qu’il faut réformer et non le système de production qui n’est en lui-même ni juste ni injuste mais simplement efficace.

Et se trompant de cible,  Arnaud Montebourg se prive de la possibilité d’agir sur les causes du mal qu’il dénonce. L’impression décidément prévaut que cet homme politique brillant est toujours à la recherche d’une vraie cause…

Philippe Silberzahn

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