Économie / Monde

Harry Potter, McDonald's et la bataille pour l'augmentation du salaire minimum aux Etats-Unis

Depuis plusieurs semaines, la mobilisation pour un meilleur salaire minimum s'étend aux Etats-Unis. Sous la pression, McDonald's et Walmart viennent de faire un geste. Mais on est loin des 15 dollars de l'heure que réclameront des centaines de milliers d'Américains le 15 avril.

Manifestation pour un salaire minimum de 15 dollars, le 13 novembre 2014 à Washington. REUTERS/Gary Cameron
Manifestation pour un salaire minimum de 15 dollars, le 13 novembre 2014 à Washington. REUTERS/Gary Cameron

Temps de lecture: 5 minutes

New York (Etats-Unis)

Lauren Bird est passionnée d'Harry Potter. Elle est fan aussi de la trilogie des Hunger Games. Avec son physique d'adolescente et de grosses lunettes drôles, elle me rappelle ces personnages féminins des romans de J.K. Rowling ou de Suzanne Collins. Et semble comme juste sortie de l'enfance.

Lauren Bird m'a donné rendez-vous à côté du nouveau siège de Google à New York, à l'angle de la 9e Avenue et de la 16e Rue, à Chelsea. A ses heures perdues, elle squatte les bureaux de YouTube, qui appartient à Google, où elle peut gratuitement utiliser des studios de montage pour ses vidéos. Sa spécialité: les «waffles», ces gaufres très prisées des Américains.

Comme d'autres testent les iPhones ou la solidité des skateboards, Lauren Bird a choisi de tester les «Waffle Irons» (les machines à faire des gaufres) pour voir si elles étaient aussi résistantes que leurs promoteurs le prétendent. Sur sa chaîne YouTube, elle essaye donc de faire cuire des œufs, des sushis, des cornichons, des Snickers et même une citrouille avec cet appareil à gaufres! Le résultat est parfois surprenant; et toujours hilarant.


Comme sa chaîne YouTube a une certaine audience, elle est la bienvenue au siège de Google pour travailler sur ses vidéos. Reste qu'Harry Potter et les gaufres ne sont pas les seuls sujets qui obsèdent Lauren Bird.

Dans la vraie vie, elle a une autre passion: le salaire minimum. La dureté du monde du travail aux Etats-Unis l'a surprise. Elle a découvert cette brutalité qu'elle avait lue dans Harry Potter mais qu'elle n'avait guère rencontrée. C'est Alice qui serait revenue du pays des merveilles; Dorothée qui vient de retomber sur terre après la féérie du Magicien d'Oz.

15 dollars de l'heure

Lauren Bird travaille pour la Harry Potter Alliance. Avec sept autres employés et une quarantaine de volontaires, répartis dans une centaine d'antennes dans la plupart des grandes villes américaines, cette association des fans d'Harry Potter milite pour l'augmentation du salaire minimum.

«Dans Harry Potter, le père du héros est très mal payé et il y a un personnage féminin qui se bat pour de meilleurs salaires. Nous faisons un peu comme eux», m'explique Lauren, un brin désarmante, alors qu'elle finit un café Americano noyé dans beaucoup d'eau.

Depuis des mois, Lauren et ses amis sont partis en guerre contre les multinationales qui traitent mal leurs employés, notamment McDonald's, Burger King ou WalMart. Ils réclament une augmentation du salaire minimum fédéral de 7,25 dollars à 15 dollars de l'heure. Parallèlement, ces fans d'Harry Potter ont lancé une campagne féroce contre WalMart à coup d'efficaces vidéos sur YouTube, vues plusieurs millions de fois.


Ces mouvements spontanés, quelque peu naïfs, ont été amplifiés par des organisations qui se battent également pour le salaire minimum à 15 dollars par mois, par exemple le mouvement New Yorkers Rising ou encore la très importante association Fight For 15. Un syndicat des employés de services (SEIU) a également lancé une vaste campagne pour augmenter le taux de syndicalisation dans les McDonald's et susciter une hausse des salaires. La question des «benefits» –le mot américain pour la sécurité sociale, la mutuelle et le chômage– fait l'objet d'âpres négociations avec le patronat aux Etats-Unis. Seule la pression peut aider la condition des salariés les plus vulnérables.

Lauren et de nombreux fans d'Harry Potter sont mobilisés. Plutôt que de se contenter de lire des romans,  il est grand temps d'agir maintenant.

«Cette semaine, c'est un peu difficile, car nos membres sont en plein partiels. Mais après, on va avoir plus de monde, et on va pouvoir passer aux choses sérieuses», reconnaît Lauren. Et elle compte bien manifester devant les McDonalds. Le signe de ralliement? Une version modifiée du salut des filles scouts: une main levée avec les trois doigts du milieu pointés, comme en forme de W.

Une grande mobilisation est prévue dans la plupart des grandes villes américaines le 15 avril (la date a été choisie à dessein, soit le 4/15 en américain, c'est-à-dire en anglais «For 15» ou «Pour 15 dollars»).

Le poisson d'avril de la hausse du salaire chez McDo

Ce mercredi 1er avril, la société McDonald's vient d'annoncer une augmentation du salaire minimum pour ses 90.000 employés américains, soit 9,90 dollars de l'heure. Une pleine de page de publicité a même paru dans les grands journaux américains, signé du PDG. Les campagnes de boycott, telles celles de la Harry Potter Alliance, contre sa politique salariale ont porté leurs fruits.

Hélas, ce geste ne s'appliquera même pas aux 750.000 autres employés de McDonald's qui travaillent pour l'un des 12.500 magasins franchisés et qui ne sont pas en gestion directe de la multinationale. Fight For 15 a immédiatement réagi dans un communiqué:

«Une société qui fait 5,6 milliards de profits comme McDonald's peut faire beaucoup mieux pour ses salariés.»

Steve Easterbrook, le nouveau patron de McDonald's, a affirmé dans un communiqué le 1er avril:

«Nous savons que si nos employés sont motivés cela améliorera la qualité de notre service. Par conséquent, ce premier pas servira non seulement nos salariés mais aussi toute l'expérience McDonald's.»

Sur les réseaux sociaux et dans la presse, ce communiqué a été moqué comme un «poisson d'avril», compte tenu du fait que le précédent patron de McDonald's a été payé 13,8 millions de dollars l'an dernier!

Plusieurs experts soulignent d'ailleurs que cette avancée de McDonald's s'est faite sous la contrainte. Le marché du travail américain est actuellement au beau fixe. Les salariés ont de meilleures offres d'emploi que celles proposées, à des salaires trop bas, par McDonald's ou Walmart. Pour éviter une hémorragie de main d'œuvre, ces sociétés ont donc été contraintes d'augmenter leurs salaires. Sans avoir eu besoin de la pression d'Harry Potter.

La nouvelle gauche américaine

Lorsqu'on cherche à identifier la gauche américaine d'aujourd'hui, la voici. Loin des pré-primaires démocrates qui tournent un peu en rond autour d'Hillary Clinton, ce sont ces centaines de groupes à but non lucratif, indépendants, jeunes, innovants, qui se battent pour un meilleur salaire minimum, pour l'écologie, contre les OGM du géant Monsanto ou pour le mariage gay.

«Jusqu'à présent, lorsqu'on me demandait quel était l'état de la gauche, je répondais que c'était une rumeur sans réalité. Le nom d'une ardente aspiration, sans plus. Il y avait bien une gauche symbolique, avec ses mythologies, sa vie sur les campus, mais ce n'était plus une “working left”, une gauche efficace, qui fonctionne, une gauche qui marche», m'explique Todd Gitlin, l'une des figures étudiantes des années 1960 et l'auteur du récent Occupy Nation. Lorsque le mouvement Occupy Wall Street est apparu, Gitlin a été étonné et ému par cette jeunesse qui avait retrouvé le sens de la protestation. Il en va de même aujourd'hui avec ces mouvements en faveur du salaire minimum.

Compte tenu de ces premiers succès avec McDonald's, Lauren Bird est enthousiaste. Avec ses amis de la Harry Potter Alliance, elle a déjà imaginé des actions autour de Superman et de The Hunger Games. Elle sait qu'elle a le soutien de J.K. Rowling qui apprécie ces actions au nom d'Harry Potter; elle a été «jeune démocrate» et a milité pour la campagne d'Obama en 2012. Elle va continuer à faire des vidéos pour YouTube sur les gaufres et pour un salaire minimum plus élevé. Déjà, diplômée d'un BA en film de l'université NYU, elle envisage de devenir documentariste. Son rêve: intégrer le Master of Fine Arts en films de l'université du MIT.

«C'est amusant: je voulais intégrer ce programme comme étudiante, mais récemment, ils m'ont invité à parler de mes vidéos de YouTube... comme conférencière!»

Pourquoi fait-elle tout ça?

«C'est cool, non?»

Et Lauren Bird de conclure:

«Jusqu'à présent, nos actions étaient surtout virtuelles. On utilisait YouTube et les réseaux sociaux pour mener la bataille. Désormais, on va se mobiliser dans la rue.»

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