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Quand Podemos tente de jouer collectifs

Au-delà de la figure médiatique de Pablo Iglesias, la formation espagnole essaie de se développer au niveau local en s'appuyant sur des collectifs de militants.

REUTERS/Eloy Alonso.
REUTERS/Eloy Alonso.

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2015 sera à coup sûr une année politique charnière en Espagne, avec des élections à tous les niveaux de l'Etat: municipales et régionales ce dimanche 24 mai, puis législatives d’ici décembre. Des rendez-vous cruciaux où Podemos pourrait chambouler un échiquier politique dominé depuis toujours par le bipartisme.

Dans l'ombre de Pablo Iglesias, les membres des cercles Podemos se sont démenés pour s'organiser à l'occasion des élections municipales et régionales. Car pour comprendre ce qu'est Podemos aujourd'hui, il y a deux choses à garder à l'esprit. La première, c'est qu'au sein même du parti, deux lignes idéologiques s'opposent: la ligne majoritaire, celle de Pablo Iglesias, qui prône un organe politique centralisé, vertical et incarné par un seul homme (ce qu'il y a de plus classique en politique...). De l'autre, la tendance minoritaire, dont les principales figures sont Juan Carlos Monedero, Pablo Echenique (qui fut son adversaire pour la présidence du parti), Lola Sanchez ou encore Teresa Rodriguez. Eux se rapprochent plus du mouvement des Indignés, qui prône l'horizontalité et le partage du pouvoir, mais sont petit à petit mis sur la touche. En témoigne la démission début mai de Monedero, le numéro 3 du parti, justifiée par sa proximité jugée trop grande avec les républiques socialistes d’Amérique latine: Iglesias souhaitant jouer la carte du «ni gauche ni droite», il ne pouvait pas conserver un chaviste à ses côtés! Ces «minoritaires» ont néanmoins réussi à peser sur les élections régionales, Echenique réussissant à être largement investi face à la candidate d'Iglesias, Violetta Barba, dans l'Aragon, et Teresa Rodriguez en Andalousie, région la plus peuplée d'Espagne –le scrutin s'y est tenu de manière anticipée le 22 mars et Podemos a recueilli 15% des voix.

La deuxième chose à conserver en mémoire lorsqu’on parle de Podemos, c’est une histoire d'échelle. Sur le barreau le plus haut, on trouve Pablo Iglesias et ses fidèles, qui se sont connus au département des sciences politiques de l'université de Madrid, où ils sont enseignants. A l'opposé, tout en bas de l'échelle, se trouvent les «cercles», véritables assemblées populaires, auto-organisées par les déçus du pouvoir. Vous ne trouverez aucun militant de Podemos qui n'insiste pas sur l'importance du 15-M, le 15 mai 2011, début du mouvement des Indignés et de l'expression d'un mécontentement à l'égard des élites politiques et économiques.

Edgar Manjarin, sociologue catalan de 31 ans, se définit comme un activiste. Il le fut d'abord dans le milieu étudiant, avant de se lancer dans d'autres luttes sociales, toujours à Barcelone. Lors du 15-M, il participe activement aux manifestations. A cette époque, le parti politique qui le représente le mieux, c'est Izquierda unida (IU, l'équivalent espagnol du Front de gauche), bien qu'il n’en soit pas un militant très actif. Après son échec aux élections européennes, il considère IU comme une «organisation ne pouvant pas jouer un rôle décisif» et décide d'intégrer Podemos.

Des cercles dans chaque quartier

A Barcelone, comme dans les autres grandes villes d'Espagne, il y a des cercles dans chaque quartier. Edgar Manjarin rejoint donc ce réseau qui compte 14.000 membres rien que pour la capitale catalane et se fait élire au Conseil citoyen de la Catalogne. Il nous avoue qu'au début, Podemos avait quelque chose de «contre-intuitif», car le message ne passait pas par les médias traditionnels. Pour entendre le discours de Pablo Iglesias, il fallait regarder sa chaîne de télévision, La Tuerka: «Ils sortaient de nul part, ça nous paraissait bizarre.»

De la même manière que personne ne s'attendait à ce que Podemos gagne cinq eurodéputés en mai 2014, Edgar Manjarin préfère se montrer prudent quant aux résultats des prochaines élections municipales et régionales. «Nous sommes esclaves des sondages, en constante évolution, commente-t-il. Il nous faut continuer à travailler sur ce que nous savons, pas sur l'idée que nous allons finir premier à une élection municipale ou régionale.» Car, si la victoire semble assurée à Barcelone, dans les autres capitales régionales et pour les régions elles-mêmes, les sondages ne placent Podemos qu’en troisième position, derrière le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste (PSOE).

Il faut dire que les dirigeants de Podemos étaient conscients de ne pas avoir la capacité de s'organiser en si peu de temps pour former des listes électorales pour chaque ville, chaque région. C'est pour cela qu'ils ont mis la priorité sur les élections générales (l'équivalent de nos législatives) et que pour les municipales, aucune liste ne porte officiellement le nom de Podemos. C'est donc sans l'étiquette violette que les militants ont organisés des élections primaires avec les organisations et associations sociales locales, dans le but de présenter des «listes d'unités populaires».

A Barcelone, par exemple, Podemos n'est pas franchement majoritaire. Le parti a du composer avec Ada Colau, une figure de la défense des victimes des crédits hypothécaires, qui est à la tête de la plateforme citoyenne Guanyem Barcelona. Extrêmement influente et populaire, c'est autour d'elle que la plupart des organisations de gauche, dont IU et Podemos, se sont réunies pour présenter aux municipales la liste Barcelona en Comú. «Dans cette coalition, Podemos n'est qu'un instrument de plus, même si au niveau des votes et de l'organisation, il a un apport considérable», explique Edgar Manjarin, qui lui-même a d'abord participé aux réunions de Guanyem avant de rejoindre Podemos.

Alliances au coup par coup

Loin de ces préoccupations régionales voire nationales, loin de l'emprise de Pablo Iglesias, des militants de Podemos s'organisent aussi au niveau le plus bas de l'échelle. A 40 kilomètres au sud de Valence, le PP règne depuis 2003 sur le petit village de La Pobla Llarga, 4.500 âmes. En avril 2014, Miguel Segui, franco-espagnol ultra-politisé, engagé depuis toujours à gauche, tendance anticapitaliste, a fondé deux cercles qui font sa plus grande fierté: celui de Paris et celui de son village qui compte entre 60 et 80 personnes lors de ses AG. Un nouvel espace de démocratie, «concret», selon lui.

Pour les municipales, Segui se présente à la tête d'une liste unitaire, La Plataforma Civica, «où les gens s'inscrivent individuellement afin de créer une étiquette commune», même s'il aurait préféré que la liste se fasse sous la bannière de Podemos. Celle-ci ne compte pas de membres d'IU car «ils ne voulaient pas faire de vote, ils ne voulaient que la tête de liste, raconte Segui. Ils avaient peur et à ce sujet, Podemos ne négocie pas». L'alliance qui entre les deux partis semble en effet chaque jour plus compliquée, ce qui n'a rien d'étonnant sachant que «Podemos chasse sur le territoire de Izquierda Unida», pour citer Paul Aubert, professeur de civilisation espagnole contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille. A Madrid, les militants d'IU ont carrément rejeté par référendum toute alliance avec Podemos. Des difficultés de convergences qui ne surprend pas vraiment Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble, pour lequel le cadre des élections municipales restait tout de même le seul endroit où la possibilité de s’unir demeurait :

«Il n’est pas étonnant qu’un accord global n’ait pu être signé entre les deux formations, et que l’on ait assisté essentiellement à des alliances au coup par coup dans un certain nombre de villes qui ne sont au demeurant pas très nombreuses : 5 sur les 54 capitales de province, au dernier pointage.»

Un pacte post-élections avec Izquierda Unida

Des minauderies politiciennes sans incidence réelle? Sauf que dans un si petit village comme La Pobla Llarga, où il n'est pas si facile de trouver des gens volontaires et motivés pour se présenter à une élection, l'impact de cette non-alliance IU/Podemos s'est avéré plus fort que pour une capitale, rendant compliquée la constitution de la liste. La faute, selon Miguel Segui, à la crise qui, dans un petit village, ne permet pas aux habitants de se préoccuper de politique comme dans les grandes villes. «Il y a les gens qui s'en vont, les gens qui viennent, ceux qui bossent, explique Segui. Et jamais aucun parmi nous, à part moi, n'a fait de la politique. Les gens votaient, à gauche plutôt, mais n'ont jamais adhéré ou joué un rôle dans un parti.»

Même à l'échelle d'un simple village, lui et ses colistiers affirment vouloir lutter contre la corruption, qui se manifeste principalement par la signature du maire concernant des travaux. «Il y a trois, quatre projets inutiles ici, qui représentent 3 millions d'euros de dette», se justifie-t-il. S'il table raisonnablement sur un seul siège de conseiller municipal, il nous assure, faisant écho à l'eurodéputée Lola Sanchez, que pour les élections générales, «la montée est garantie, elle est ancrée dans une population».

Car derrière ces alliances et de tentative de constitution d'une base électorale, le scrutin de décembre est bien sûr dans toutes les têtes, avec l'hypothèse d'un pacte post-élections entre Podemos et IU, alors qu'il se murmure de plus en plus que le PP et le PSOE seraient prêts à faire de même en face. Sans compter sur l’irruption de Ciudadanos, le «Podemos de droite», qui n’aurait aucun scrupule à faire alliance, un jour avec le PP, le lendemain avec les socialistes…

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