Économie

La loi sur le devoir de vigilance, une avancée historique

Cette semaine, l'Assemblée nationale ne devra pas céder à la pression appuyée des lobbies économiques qui tentent de restreindre la portée de ce texte, deux ans après le drame du Rana Plaza au Bangladesh.

Devant les ruines du Rana Plaza, le 26 avril 2013.
Devant les ruines du Rana Plaza, le 26 avril 2013.

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Le 24 avril 2013, un accident industriel sans précédent marquait l’actualité et les esprits dans le monde entier. Le Rana Plaza, un immeuble de huit étages abritant des ateliers de confection textile, s’effondrait à Dacca, au Bangladesh, faisant 1.138 morts et plus de 2.000 blessés parmi les ouvriers, principalement des jeunes femmes, qui y travaillaient. Les donneurs d’ordre sont rapidement identifiés par la société civile présente sur place: des marques internationales de l’habillement dont une partie de la production était sous-traitée dans ces usines. Ce n’est pas le seul drame du genre: l’histoire est entachée d’une longue liste d’accidents industriels qui ont révolté les citoyens en raison de leurs impacts considérables, comme le naufrage de l’Erika en 1999 ou la catastrophe de Bhopal en 1984.

Ces tragédies ne sont pas seulement celles de pays lointains et pauvres lorsqu’elles concernent des produits que nous achetons en Europe ou qu’elles endommagent de manière irréversible notre environnement. Elles sont le fruit d’une situation inacceptable qui autorise une multinationale à tirer les fruits de la mondialisation économique sans en assumer les responsabilités. Car à ce jour, un donneur d’ordre ou une maison-mère n’est pas tenu juridiquement responsable des agissements de ses sous-traitants ou de ses filiales –ou des catastrophes que pourraient causer leurs activités en France comme à l’étranger. Cette responsabilité leur est pourtant reconnue, entre autres, par les Nations unies depuis 2011, dans ses Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, qui attendent d’être transposés au niveau national

Une proposition de loi sur le devoir de vigilance, portée par les députés socialistes, sera examinée à partir de ce lundi 30 mars à l’Assemblée nationale, et vise à empêcher que de tels drames se répètent. Elle propose d’inscrire dans la loi un principe qui devrait y figurer depuis l’émergence du groupe de sociétés: l’obligation pour une entreprise d’identifier et de prévenir les risques pour les populations et l’environnement que pourrait générer son activité, en France et à l’étranger. Elle ouvre le cas échéant la possibilité pour les victimes d’accéder à la justice. Ainsi, cette loi demanderait aux entreprises de mettre en œuvre ce qu’elles clament faire depuis plusieurs années: une politique de prévention et de responsabilité. La responsabilité, c’est aussi d’accepter de réparer les dommages et d’indemniser les victimes. Réconcilier la réalité économique et juridique des multinationales est en effet un impératif.

Cette proposition de loi sur le devoir de vigilance est fortement contestée par la représentation patronale des plus grandes entreprises. Cette loi ne met pas en péril l’économie française: elle pourrait protéger les PME d’une concurrence parfois déloyale, et contribuer à relocaliser une partie de l’activité économique en France. Au contraire, elle est une opportunité de valoriser à l’international les entreprises plus regardantes en matière sociale et environnementale. Elle n’est pas la loi de la punition. Elle est la loi de la fin de l’impunité des acteurs économiques, qui choque les citoyens en France et partout dans le monde. 150.000 d’entre eux ont ainsi signé une pétition demandant l’inscription dans la loi de cette obligation de vigilance. Trois français sur quatre se prononcent en faveur de l’instauration d’une responsabilité juridique entre une maison-mère et sa chaîne d’approvisionnement. Il est temps que les représentants politiques entendent ces préoccupations et légifèrent en conséquence.

Certes, l’initiative ne concerne pour le moment que les grandes entreprises hexagonales. Mais c’est le sens de l’histoire. La France revendique une tradition de défense des droits humains et a impulsé l’émergence de certains textes internationaux visant leur protection. Elle se veut aussi une grande puissance économique: elle héberge d’ailleurs 20% des plus grande entreprises européennes en tant que sixième économie mondiale. Or, c’est précisément aux grandes puissances démocratiques et économiques que revient le rôle d’élaborer des lois qui protègent l’intérêt général.

Cette proposition de loi fait déjà des émules en Europe. L’Allemagne, la Suisse, la Belgique, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Danemark font partie des Etats qui ont engagé une réflexion similaire. La France s’honorerait à être le premier pays européen à inscrire une telle obligation dans sa législation et à emporter dans son sillage d’autres pays, comme elle a déjà su le faire.

La société civile est aujourd’hui plus que jamais unie et mobilisée pour défendre une loi protectrice de l’intérêt général, à l’instar de ce que réclament les citoyens.

Cette semaine, les députés auront une opportunité historique d'inscrire dans la Loi une obligation qui marquera un tournant pour la protection des droits humains et de l’environnement. Pour ne pas la manquer, et si telle est leur ambition, ils ne devront pas céder à la pression appuyée des lobbies économiques qui tentent d’amenuiser le texte.

Le collectif Syndicats et ONG pour le devoir de vigilance des multinationales se compose de Florent Compain (président des Amis de la Terre), Geneviève Garrigos (présidente d'Amnesty International France), Bernard Pinaud (délégué général de CCFD Terre Solidaire), Marylise Léon (secrétaire nationale de la CFDT), Alexandre Grillat (secrétaire nationale de la CFE-CGC), Geoffroy de Vienne (conseiller du président confédéral de la CFTC), Fabienne Cru-Montblanc (membre de la direction confédérale de la CGT), Maïté Errecart (présidente de Ethique sur l'Etiquette), Michel Capron (président du Forum Citoyen pour la RSE), William Bourdon (Président de Sherpa) et Vincent Brossel (directeur confédéral de Peuples Solidaires).

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