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Ce fut un classique du répertoire politique: au soir d'une sombre défaite électorale, l'hérétique d'un camp se lève et lâche ses quatre vérités. Le modèle demeure la fameuse déclaration de Michel Rocard au soir du premier tour des élections législatives de 1978. Le rival de François Mitterrand avait profité de la déception de la gauche face à la défaite annoncée pour exiger un «parler plus vrai» qui avait fortement déplu, on se demande pourquoi, au premier secrétaire du PS d'alors.
La troisième lourde défaite électorale des socialistes depuis l'alternance de 2012 –la déroute des départementales venant après celles des municipales de mars et des européennes de mai 2014– n'a cependant donné lieu qu'à une pâle répétition de ce genre de mise en garde.
Petits cris de colère
L'ancien député «frondeur» Jérôme Guedj est sans doute celui qui a le mieux tenu le rôle du Cassandre prévoyant un avenir funeste pour la gauche si jamais le pouvoir persiste à «continuer comme ça». Le «cri de colère» de l'élu qui vient de perdre la présidence du département de l'Essonne semble pourtant n'avoir nullement ébranlé les éminences assurées qui peuplent l'Elysée ou l'hôtel Matignon.
Il est vrai que son exhortation à changer d'orientation pour éviter la défaite en 2017 est simultanément d'une étrange prudence. Guedj parle de politique «plus équilibrée». Même décalage entre la sévérité du diagnostic et la timidité de la proposition chez Aurélie Filippetti. L'ancienne ministre passée dans les rangs de la contestation reproche à l'exécutif d'«aller dans le mur en klaxonnant et en accélérant» mais porte seulement «l'exigence d'une inflexion considérable de la politique suivie».
La critique de la politique gouvernementale s'exprime dans un ordre assez dispersé, et avec des visées stratégiques diverses, qui en limitent la portée.
Affectée par le basculement à droite de son département du Nord, Martine Aubry a clairement relevé «un vote de protestation par rapport à la politique nationale» mais, là encore, sans prôner clairement des choix alternatifs puisqu'elle demande curieusement au président de la République «qu'il amplifie encore le score pour que la croissance et l'emploi soient là»...
Tout cela sent les manœuvres préparatoires au congrès du PS qui se tiendra à Poitiers en juin 2015. La date limite de dépôt des motions est fixée au 11 avril. On saura alors si l'ancienne première secrétaire du parti s'engage dans la bataille sous ses propres couleurs et si les courants de gauche du PS parviennent à s'entendre pour peser face à Jean-Christophe Cambadélis.
Le collectif Vive la gauche, issu du mouvement des députés frondeurs, a publié, dès dimanche soir, un texte plutôt carré exigeant des «changements sincères» et appelant une «grande Gauche» à se «rassembler» autour d'axes qui définissent une politique largement incompatible avec celle qui est aujourd'hui conduite. De ce côté-là, c'est clair.
Las, Manuel Valls n'a attendu que cinq minutes après la fermeture du dernier bureau de vote pour se précipiter devant les caméras de télévision afin de parler, lui aussi, de «colère», mais surtout d'assurer que le gouvernement «redoublera d'énergie» dans les choix qui sont les siens. L'œil sombre et le regard martial, il est résolu à maintenir son cap, même au risque d'une catastrophe électorale.
Le Premier ministre a seulement laissé présager un très léger infléchissement avec de «nouvelles mesures en faveur de l'investissement privé et de l'investissement public». Le secrétaire d'Etat Thierry Mandon a évoqué «quelques corrections» à la politique menée mais pour ajouter immédiatement, en parlant de mesures de «simplification», que l'objectif essentiel sera de «purger ce débat d'une politique plus à gauche»! Qu'on se le dise, le pouvoir n'a aucune intention de modifier, au fond, ses orientations.
En attendant la croissance
L'exécutif joue tout simplement la montre. Il attend patiemment que sa politique porte ses fruits et que la «croissance», mère de toutes les guérisons, reviennent ensoleiller le pays. Cela devrait inquiéter un peu plus Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale de EELV, qui a mis en ligne cet avertissement dès dimanche soir: «L'attente passive du retour de la croissance ne fait pas une politique». Eh bien si.
En haut lieu, on se contente apparemment de quelques frémissements d'indicateurs de conjoncture sans s'alarmer outre mesure de la rechute des statistiques du chômage. Chacun sait que François Hollande est protégé des angoisses ordinaires par un optimisme minéral. Le chef de l'Etat attend paisiblement que le ballet des cycles économiques éclaircisse l'horizon. Alors les sacrifices décidés au nom de la «compétitivité» seront payés de retour. Et l'électeur-consommateur applaudira. Il suffit d'être confiant.
La fermeté de l'exécutif, qui rend vains tous ces appels à un changement de politique, s'ancre aussi dans la cohérence des choix effectués depuis l'élection de Hollande.
Celui-ci a beau apparaître fréquemment hésitant sur telle ou telle mesure à prendre, on ne peut nier la constance de ses arbitrages de politique économique. De l'abandon de l'exigence d'une renégociation du traité européen de discipline budgétaire, en 2012, à son refus de saisir l'opportunité de l'alternance grecque pour rebattre les cartes en 2015, ce président a fait montre d'une parfaite orthodoxie, pour ne pas parler de conformisme.
Ce pari n'exclut pas que le chef de l'Etat, qui songe assurément à sa possible réélection, soit disposé à modifier son attelage politique dans la dernière ligne droite de son quinquennat.
Après les élections régionales de décembre 2015, qui s'annoncent comme à nouveau périlleuses pour ce qui reste de la majorité, le rassembleur Hollande tentera vraisemblablement de s'attacher les services de quelques personnalités écologistes ou centristes en quête de promotion ministérielle. Quelques mesures symboliques habillées d'artifices de communication emballeront le tout. Mais cela n'aura rien à voir avec un changement de fond de la politique suivie.