France

Déni, colère, marchandage, dépression, acceptation: les cinq phases de la défaite socialiste

Une claque électorale, c'est un peu comme un deuil. Démonstration avec celle que vient d'essuyer le PS aux élections départementales.

Montage photo. REUTERS.
Montage photo. REUTERS.

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Le réveil doit être difficile chez les socialistes. La droite a remporté une nette victoire lors du second tour des élections départementales, avec 66 départements contre 34 pour la gauche. Un résultat attendu et prévu par de nombreux sondages, mais que la majorité avait longtemps semblé refuser de reconnaître. De l'espoir aveugle d'un sursaut républicain au dépit final, le PS semble être passé par différentes phases psychologiques que la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross a défini en 1969 comme «les cinq phases du deuil»:

  • Le déni
     
  • La colère
     
  • Le marchandage
     
  • La dépression
     
  • L'acceptation

Voici donc une compilation du désarroi socialiste. 

Le déni, ou le refus de reconnaître la défaite à venir

Après avoir déclaré, le 8 mars, «avoir peur» que la France «se fracasse contre le Front national», provoquant beaucoup de remous au sein du PS, Manuel Valls décide de changer de tactique le 19 mars lors d’un déplacement en Corrèze, terre du chef de l'Etat. Affirmant attendre le scrutin avec «confiance», le Premier ministre déclare:

«Je sens un frémissement, je sens quelque chose qui change, je crois que les électeurs de gauche sont conscients de l'enjeu pour l'avenir des départements, de l'enjeu par rapport à l'extrême droite, parce que c'est l'image de la France qui est en cause, au moment où nous avons vu cette attaque terroriste terrible en Tunisie: se rappeler que les valeurs de fraternité, de liberté, de respect de l'autre sont plus que jamais indispensables.»

Au lendemain du second tour, dans une interview accordée au Monde, le député européen et conseiller régional d’Ile-de-France Emmanuel Maurel déplore l'absence de prise de conscience de Manuel Valls:

«Il est quand même dans le déni quand il affirme que les indicateurs sont au vert et que la situation repart. Les électeurs ne s’en rendent pas compte. Il faut faire preuve de lucidité et avoir l’intelligence de changer de politique.»

La colère face à l'impuissance du gouvernement

Au soir du premier tour, les socialistes restent encore relativement mesurés face aux mauvais résultats. Quelques frondeurs font cependant part de leur inquiétude, laissant parfois poindre de l'agacement, comme par exemple Gérard Filoche.

Denis Maljean, candidat PS suppléant à Loches, en Indre-et-Loire, se montre plus direct en publiant sur Facebook un texte pour partager sa colère:

«Colère enfin contre ma famille politique, la famille socialiste, divisée, décevante voire déboussolante, parfois autiste à nos préoccupations, à nos difficultés et à nos inquiétudes quotidiennes… Elle est où la gauche?»

Après le second tour, les réactions ont été plus vives. L'ex-ministre de la Culture Aurélie Filippetti a lancé un appel au gouvernement, estimant qu'on «ne peut pas continuer d'aller dans le mur en klaxonnant». Même discours chez Martine Aubry, qui a vu dans cette lourde défaite «un vote de protestation par rapport à la politique nationale».

Le marchandage d'entre-deux-tours, pour limiter la casse et retarder la défaite finale

Au soir du premier comme du second tour, tout a été affaire d'interprétations des chiffres. Le 22 mars, alors que l'UMP et le FN affirment que le score du PS est catastrophique, reflétant un désaveu national, les ténors socialistes, et Manuel Valls en tête, décident de tirer les chiffres à leur avantage.

«Je note aussi, avec modestie et lucidité, que les candidats de la majorité ont réalisé des scores honorables, explique le Premier ministre. Et le total des voix de gauche atteint ce soir l’équivalent de celles de la droite. Rien n’est donc joué.»

En réalité, la gauche ne rivalise alors avec la droite qu'en y incluant les voix d'EELV et du Front de gauche, qui ne sont pas présents au gouvernement.

«Les candidats socialistes ont fait mieux que se défendre, dans ce premier tour où on annonçait leur déroute, estime de son côté le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis. Je remercie les électeurs de gauche et félicite les socialistes pour leur mobilisation. Les thèmes portés par les socialistes se trouvent confortés.»

Au soir du second tour, l'écart s'est creusé: le total droite atteint 45%, contre 32% pour la gauche et 22% pour le FN, avec une lourde défaite à la clef en nombre de départements. Le soir même, le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone a reconnu dans les colonnes du Monde une défaite... mais «moins pire» que prévu.

La dépression post-électorale

Les prémices du désarroi socialiste se faisaient déjà sentir plusieurs jours avant le second tour. Dans une vidéo poignante, Bernard Guiraud, candidat dans le Nord-Médoc, appelait les électeurs à s’unir face au Front national. Maniant avec habilité les applications de playback Dubsmash et celle de montage vidéo Momentica, on pouvait le voir reprendre à son compte plusieurs chansons et extraits de films. «Nous avons voulu, avec cette vidéo, leur lancer un appel», expliquait-il alors au journal Sud-Ouest.

 

Le soir du second tour, Jérôme Guedj, jusque-là président socialiste du conseil départemental de l’Essonne, vient d’apprendre la victoire de la droite dans son département. Visiblement très ému, et un peu en colère, il déclare:

«J’ai de la tristesse, de la colère. J’ai beaucoup de dépit ce soir. Le sursaut est urgent. Si on continue pareil, le scénario de ce soir, la gauche balayée, c’est ce qui nous arrivera en 2017. […] J’ai besoin de rebondir très vite.»

Le schéma psychologique proposé Elisabeth Kübler-Ross est pourtant catégorique: il ne faut pas tenter de réconforter le patient, il faut lui laisser le temps d’accepter son chagrin pour qu’il entre dans la dernière phase, celle de l’acceptation de son destin.

L'acceptation de la défaite... ou pas 

«Le Parti socialiste recule nettement dans son implantation départementale, il serait inconcevable de ne pas le noter», a réussi a admettre Jean-Christophe Cambadélis dimanche soir. Mais il a vite nuancé son propos en ajoutant que «ce recul n'est pas à la hauteur des prévisions, voire des espoirs de certains».

Dans son discours prononcé quelques minutes après l’annonce des résultats du second tour, Manuel Valls s'est montré assez lucide sur l’analyse de la défaite du PS. Il a reconnu la défaite «incontestable» de la majorité et la victoire de la «droite républicaine», regrettant que la gauche ait été «trop dispersée» et connaisse un «net recul». 

Mais alors que les frondeurs et de nombreux ténors du parti socialiste appellent aujourd'hui à un «changement de cap», le Premier ministre a fait savoir qu'il n'y aurait pas de changement dans la politique du gouvernement et que son poste n'était pas remis en jeu.

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