France

Elections départementales: le FN arbitre de certains «troisièmes tours»?

Dans trois départements, l'Aisne, le Gard et le Vaucluse, aucune formation ne dispose de la majorité absolue. De 1986 à 1998, le FN avait tiré parti de ce genre de situations pour gêner la gauche comme la droite.

Dans l'hémicycle du conseil régional de Rhône-Alpes, le 24 mars 1998. REUTERS.
Dans l'hémicycle du conseil régional de Rhône-Alpes, le 24 mars 1998. REUTERS.

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Avec les années de division et d'affaiblissement du FN, et un nouveau mode de scrutin visant à créer des majorités stables aux élections régionales, on avait fini par les oublier: les «troisièmes tours» gauche-droite-FN sont de retour. Dans trois départements, les trois forces coexistent en effet sans qu'aucune n'atteigne la majorité absolue, et la situation pourrait donc s'avérer instable lors de l'élection du président cette semaine –à la majorité absolue aux deux premiers tours de scrutin, et relative au troisième– puis lors de la mandature.

Dans le Gard (22 élus de gauche, malgré une défaite du sortant PS, 20 droite et 4 FN), la droite ne peut être majoritaire sans les voix du FN, mais le secrétaire départemental de l'UMP avait appelé, «à titre personnel», à voter PS en cas de duel PS-FN. Dans l'Aisne (16 gauche, 18 droite, 8 FN), la gauche ne peut être majoritaire que si des élus FN lui apportent des voix. Dans le Vaucluse, gauche et droite sont à égalité à 12 sièges, le FN et la Ligue du Sud combinés en comptant 10 –et le doyen d'âge, qui sera élu en cas d'égalité au troisième tour, est UMP.

Selon le JDD, Marine Le Pen avait prévu avant le second tour de définir «une "charte" que les élus frontistes proposeront à leurs homologues UMP, voire PS, dans le but de constituer des majorités locales», avec, selon ses propres mots, «cinq ou six points qui apparaissent comme étant les plus urgents à mettre en œuvre dans les départements». Comme en écho aux six conditions (refus des hausses d'impôts, priorité à la sécurité, à la défense des identités...) qu'avait posées son père lors des élections régionales de 1998...

Car ce n'est pas la première fois que le FN se retrouve en position de faiseur de roi dans un exécutif local, même s'il le sera finalement dans beaucoup moins de départements qu'on aurait pu le croire (des majorités absolues semblent se déclarer dans la Somme, le Pas-de-Calais, le Doubs, les Bouches-du-Rhône, les Pyrénées-Orientales, la Meurthe-et-Moselle...). De 1986 à 1998, le mode de scrutin des élections régionales (proportionnelle à un seul tour) lui avait en effet permis de mettre alternativement la droite et la gauche dans l'embarras en leur «offrant» des présidences de conseil régional.

1986: les barons de droite acceptent les voix du FN

Avec 9,6% des voix, le FN réussit en 1986 une percée qui lui assure un grand nombre de sièges. Dans la région la plus emblématique du scrutin, Paca, Jean-Claude Gaudin est élu avec les voix du FN, qui obtient plusieurs vice-présidences.

Dans cinq autres régions, où la gauche avait obtenu une majorité relative des sièges, la droite décroche la présidence de région en s'alliant au FN: Aquitaine, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Haute-Normandie et Picardie. Deux anciens Premiers ministres revendiquent l'appoint des voix frontistes. «Si certains des membres du FN ont décidé de voter pour moi, c'est tout à fait leur droit», explique alors Jacques Chaban-Delmas en Aquitaine. «Je m'adresse aux représentants du peuple, quels qu'ils soient. Je ne vais pas jeter l'anathème sur des représentants du peuple qui ont été élus membres du conseil régional», lâche Edgar Faure en Franche-Comté.

1992: la gauche dans l'embarras

Six ans plus tard, c'est au tour de la gauche d'être plongée dans l'embarras. En Bourgogne, Jean-Pierre Soisson, ancien ministre giscardien rallié à François Mitterrand à l'occasion de sa politique d'ouverture, «offre» la région à la gauche grâce aux voix du FN, dont le leader local, le négociant en vins Pierre Jaboulet-Vercherre, veut faire battre le maire de Chalon-sur-Saône Dominique Perben. Le gouvernement demandera à Soisson de choisir entre sa région et son portefeuille: il privilégiera le premier, affirmant que Mitterrand lui avait dit du FN «Vous pouvez les utiliser, vous ne devez pas dépendre d’eux».

En Lorraine, le centriste rallié au PS Jean-Marie Rausch, lui aussi élu grâce à l'appoint du FN, doit démissionner. En revanche, dans le Nord-Pas-de-Calais, le parti frontiste n'arrive pas à sacrer un candidat: dans un hémicycle extrêmement fragmenté entre gauche, droite, centre-droit, FN et écologistes, la gauche finit par propulser à la présidence du conseil régional l'élue Verte Marie-Christine Blandin. Enfin, en Haute-Normandie, Antoine Rufenacht bat Laurent Fabius dans une configuration confuse, avec l'appoint de voix du FN et des écologistes, suscitant une colère homérique de l'ancien Premier ministre.

1998: le «vendredi noir» de la droite

Mais en la matière, c'est surtout la folle semaine de 1998 qui est restée dans les mémoires politiques. Lors du «vendredi noir» du 20 mars, cinq élus UDF sont élus présidents de région face à une majorité relative de gauche, grâce à l'appoint des voix du FN et contre les consignes de leur parti: Charles Baur en Picardie, Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon, Bernard Harang dans le Centre, Charles Millon en Rhône-Alpes et Jean-Pierre Soisson en Bourgogne. Ils sont immédiatement suspendus par le président de l'UDF, François Léotard. La droite paraît un instant prête à craquer en Ile-de-France et en Paca, Jean-Marie Le Pen proposant un accord donnant-donnant entre les deux régions.

Si Harang finira par démissionner et Millon par être renversé, les trois autres resteront à leur poste jusqu'en 2004. Dans un geste resté célèbre, le député Gilles de Robien finira par déchiqueter en direct à la télévision sa carte de Démocratie libérale quand cette composante de l'UDF réintégrera Jacques Blanc quelques mois plus tard.

Alors président du RPR, Philippe Séguin accusera ceux qui «ont cru devoir pactiser avec l'extrême droite». On a prêté à cette occasion cette phrase célèbre au dirigeant gaulliste: «Ils ne vont tout de même pas vendre leur âme pour des Safranes!»

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