Médias / France

Succès de Zemmour et montée du FN: Ruquier a raison, les médias sont co-responsables

Parce qu’ils l’ont massivement surexposé pendant plusieurs années, les médias ont une part de responsabilité directe dans la propagation, la banalisation et le succès des thèses d’Eric Zemmour

Eric Zemmour à l'Assemblée nationale, le 2 mars 2011. REUTERS/Charles Platiau
Eric Zemmour à l'Assemblée nationale, le 2 mars 2011. REUTERS/Charles Platiau

Temps de lecture: 3 minutes

C’était le 14 mars 2015. Invité d’On n’est pas couché, François de Closets soutient que si le livre Un Suicide français d’Eric Zemmour cartonne, c’est parce qu’on a fait l’erreur de diaboliser et de tenir à l’écart du débat public les thèses qu’il défend. C’est l’occasion d’un coup de théâtre. Alors que d’ordinaire, comme animateur, Laurent Ruquier joue un rôle parfaitement maîtrisé à l’écran, il sort dudit rôle pour contester vigoureusement l’analyse de son invité:

François DE CLOSETS –Quand un livre suscite un tel succès, c’est parce que ce qu’il dit, c’est ce qu’on n’entend pas et c’est ce qui intéresse les gens.

 

Laurent RUQUIER –Alors c’est là où je ne suis pas d’accord avec vous, encore. Vous dites justement que le Front national, on l’a trop diabolisé. Qu’on a voulu mettre sous la couverture, sous le tapis, des sujets importants. Mais enfin je veux dire, et j’en sais quelque chose… Je vous le dis même, très honnêtement: je le regrette aujourd’hui. (Voix nouée) Je suis un de ceux qui ont donné la parole toutes les semaines… (ton plus emporté) Pendant cinq ans! ici, Eric Zemmour, il a parlé. Pendant cinq ans! ses thèses étaient, tous les samedis… Comment osez-vous dire qu’on a diabolisé? Eh bien le résultat…

 

Léa SALAMÉ –(le coupe) Vous regrettez?

 

Laurent RUQUIER –Oui je le regrette. …Le résultat, malgré… (ton plus calme) Oui, parce que je suis en train de me rendre compte que j’ai participé à la banalisation de ces idées-là. Oui je le regrette. Mais je ne veux donc surtout pas qu’on me dise aujourd’hui que… C’est pas vrai que les gens de gauche ont diabolisé et ont mis sous le tapis les sujets, et que c’est ça qui a fait monter le Front national. Eric Zemmour, y’a pas plus médiatisé qu’Eric Zemmour! (ton plus emporté) Comment osez-vous dire qu’aujourd’hui on n’entend pas ces thèses-là? Comment osez-vous dire… On l’entend partout Eric Zemmour!»

Laurent Ruquier a-t-il raison de faire ce mea culpa? A-t-il raison de pointer sa responsabilité, et plus largement celle de tous les médias chez qui Eric Zemmour a table ouverte, dans la propagation, la banalisation et le succès de ses thèses? Plus largement encore, les médias de masse ont-ils une part de responsabilité dans le succès croissant du FN, dont les thèses sont les mêmes que celles d’Eric Zemmour sur l’économie comme sur les valeurs?

La réponse est oui. En fait, lorsqu’il explique le succès d’Eric Zemmour par sa colossale exposition médiatique, Laurent Ruquier remet au goût du jour une découverte de la psychologie sociale américaine des années 1960: l’effet de simple exposition.

A l’époque, le psychologue Robert Zajonc a conduit des expériences qui lui ont permis d’établir ceci: l’être humain tend à développer un sentiment positif envers une chose à force d’y être exposé répétitivement. Le scientifique a poussé les expériences jusqu’à constater que cela fonctionnait sur des mots ne voulant rigoureusement rien dire. Résultat édifiant: malgré l’absence totale de sens, les groupes testés développaient un sentiment de plus en plus positif envers ce mot.

La conséquence logique de l’effet de simple exposition est la suivante: effectivement, parce qu’ils l’ont massivement surexposé pendant plusieurs années, les médias ont une part de responsabilité directe dans la propagation, la banalisation et le succès des thèses d’Eric Zemmour. Plus largement, cet effet de simple exposition vaut pour l’extrême droite en général. À force de matraquage médiatique de reportages, d’articles et d’interviews en feu roulant, avec pour angle répétitif «la-montée-du-FN-la-dédiabolisation-du-FN-la-transformation-du-FN», les médias ont une part de responsabilité dans les succès électoraux croissants de ce parti.

L’on pourrait objecter que les médias ont un devoir d’information, de pluralisme. Que par conséquent, il était de leur devoir de donner une place aussi bien aux thèses d’Eric Zemmour qu’à des reportages, articles et interviews sur le FN. C’est vrai, mais ce n’est pas le problème.

Le problème, c’est la disproportion. Dans le cas d’Eric Zemmour, il est flagrant que les tenants de thèses opposées aux siennes sur les sujets qu’il aborde sont actuellement sous-représentés dans les médias. Et dans le cas du FN, les élections départementales sont un cas d’école d’omniprésence d’un thème et d’un seul, sensationnaliste, au détriment colossalement disproportionné de tous les autres angles et sujets possibles.

Le mot «médias» vient du latin «medium», au sens du mot «intermédiaire». C’est précisément ce que sont les médias et donc les journalistes qui y travaillent. Ni des passeurs de plats, ni des agents de spectacle: des intermédiaires vigilants entre la pluralité des faits et des opinions d’un côté, et le public de l’autre.

cover
-
/
cover

Liste de lecture