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En Allemagne, la couverture médiatique du crash de Germanwings provoque un vif débat sur l'éthique journalistique

La page d'accueil du site du journal Bild, dimanche 29 mars.
La page d'accueil du site du journal Bild, dimanche 29 mars.

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur BILDblog., Spiegel Online

L'intense agitation médiatique qu'a provoqué le crash du vol 4U9525 tout au long de la semaine est en passe de devenir en Allemagne un symbole des dérives du journalisme. L'avalanche de révélations qui s'en est suivie, crachées minute après minute par les sites d'info allemands, barrant chaque matin la une des quotidiens du pays, a déclenché un vif débat sur les réseaux sociaux au sujet du non-respect de la vie privée des proches du copilote Andreas Lubitz[1] par les médias. Débat qui n'a visiblement trouvé aucun écho dans la presse française ou anglophone.

À quelques rares exceptions, à l'instar du quotidien berlinois Die Tageszeitung, qui persiste à ne citer le pilote que sous la formule anonyme d'«Andreas L.», les médias allemands ont en effet donné ou fini par donner l'identité du pilote soupçonné être à l'origine du drame qui a coûté la vie à 149 personnes. Pratiquement tous les médias ont publié sa photo, nombreux sont ceux qui ont publié celle de la maison de ses parents.

Une attitude que dénonce Mats Schönauer, responsable d'un blog de critique des médias assez populaire en Allemagne (40.000 visiteurs par jour), BILDblog, qui doit son nom au fait qu'il avait au départ été mis en ligne uniquement pour analyser les pratiques journalistiques du tabloïd Bildzeitung, symbole en Allemagne de la presse de caniveau dans toute son horreur:

«Ce qui s'est passé ces derniers jours n'est, au sens large, au sens très large, plus du journalisme, mais une chasse. Une chasse aux informations et aux images qui sont totalement insignifiantes pour la compréhension de l'évènement. Pour le dire de manière claire: bien évidemment qu'il faut couvrir un tel événement. Et à mon avis vite et fort, et à haute fréquence. Mais il y a une limite entre fournir des informations pertinentes et servir des penchants voyeuristes.»

Le BILDblog publie une sélection de unes des journaux allemands de la semaine telles qu'elles auraient dû être selon lui: nom du pilote anonymisé et photographies pixelisées. Et condamne également l'attitude des quotidiens qui ne versent d'ordinaire pas dans le détail sordide, tels la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui est allée interviewer la mère d'une ancienne camarade de classe du copilote pour recueillir quelques citations dénuées de valeur informative.

Ces critiques ont pris une telle ampleur ces derniers jours, notamment sur Twitter sous les hashtags #Pressekodex et #Opferschutz (qui signifient respectivement charte d'éthique professionnelle de la presse et protection des victimes) que de nombreux médias allemands se sont sentis obligés de prendre position. Après avoir refusé de publier le nom de famille du copilote pendant plusieurs jours, l'hebdomadaire de référence Der Spiegel s'est résolu à l'écrire en toutes lettres à compter de vendredi, comme il l'explique sur sa page Facebook:

«Les résultats de l'enquête qui ont été rendus publics jusqu'à présent ne laissent aucun doute: il a provoqué cette catastrophe, quelles qu'en soient les raisons. La charte d'éthique professionnelle de la presse pose comme condition pour que l'identité de personnes puisse être révélée lors de la couverture d'un événement qu'il doit s'agir d'"un délit exceptionnellement grave ou qui est particulier dans la façon dont il a été commis ou dans sa dimension". Nous estimons que cette condition est remplie: Andreas Lubitz appartient désormais à l'histoire contemporaine allemande. Ce que nous continuons à ne pas montrer sur SPIEGEL ONLINE, ce sont les photographies en gros plan des proches des victimes. Parce qu'il n'y aucune raison de le faire tant que les personnes ne décident pas d'elles-mêmes de s'exprimer en public. Nous respectons leur sphère privée.»

Dans un mail adressé à ses abonnés, le quotidien bavarois Süddeutsche Zeitung a également justifié son choix de publier l'identité du pilote:

«Pas seulement parce que le parquet de Marseille a épelé le nom publiquement […], mais aussi parce que la dimension et l'importance de cette catastrophe à travers le monde ne peuvent être comparées qu'à d'autres évènements atroces, tel le massacre d'Utoya. Et là, comme d'autres médias, nous n'avions pas non plus écrit Anders B. mais Anders Breivik.»

Le débat d'idées tournant comme bien souvent à la guerre des ego sur cette formidable machine d'autopromotion qu'est Twitter, Kai Biermann, journaliste au Zeit Online, a annoncé pompeusement sur Twitter qu'il avait «porté plainte contre lui-même auprès du Conseil allemand de la presse» pour savoir s'il contrevenait à la charte d'éthique professionnelle de la presse en citant le nom du pilote dans son article. Il n'a obtenu pour l'instant aucune réponse.

1 — La rédaction de Slate a pris la décision de publier l'identité du copilote à partir de sa divulgation par le procureur de la République de Marseille, jeudi 26 mars. Retourner à l'article

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