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Contre la pollution, Paris doit faire plus et plus vite

Pour participer à la lutte contre la pollution à l’échelle européenne, la ville ne devra pas se contenter de quelques journées de circulation alternée dans l’année: rien ne pourra remplacer les investissements en infrastructures pour développer des transports publics respectueux de l'environnement.

Paris, le 18 mars 2015. REUTERS/Gonzalo Fuentes.
Paris, le 18 mars 2015. REUTERS/Gonzalo Fuentes.

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«Si le dérèglement climatique est global, les solutions, elles, sont avant tout locales»: c’est le credo des trente maires de grandes villes européennes qui ont cosigné une tribune publiée à l’occasion d’un sommet organisé le 26 mars par Anne Hidalgo, maire de Paris et cosignataire, pour préparer la conférence de décembre prochain sur le climat.

Certes, la lutte contre les émissions de gaz polluants et de particules fines passe par des initiatives locales. A ce titre, la circulation alternée pour réduire les pics de pollution n’est pas inutile. Mais il n’y a pas que les pics et, à y regarder de plus près, il ne s’agit pas d’une solution à la hauteur du problème. Surtout lorsque, comme en France le 23 mars dernier, on débat pendant quatre jours sous un ciel pollué avant de prendre une décision qui ne s’appliquera qu’une seule journée.

C’est surtout en matière de communication que la circulation alternée aura été la plus efficace, pour sensibiliser l’opinion, comme pour la journée sans voiture, la prochaine étant programmée pour le 27 septembre. Pour le reste, le bilan est plutôt maigre.

Un nuage de pollution sur l’Europe du nord

La polémique sur la circulation alternée a braqué les projecteurs sur la pollution automobile dans le ciel parisien. Il convient toutefois de rappeler que la pollution aux particules fines n’est pas la seule contre laquelle l’opinion publique doit être alertée, et que l’automobile n’est pas le seul vecteur de pollution. «Le trafic routier représente plus d'un quart des rejets de gaz à effet de serre, plus de la moitié des rejets d'oxydes d'azote, environ un quart des émissions de particules et plus de 15 % des émissions d'hydrocarbures», indique Airparif, qui surveille les polluants atmosphériques et les gaz à effet de serre en Ile de France.

La voiture serait donc globalement responsable d’un peu plus d’un quart de la pollution. Elle n’est donc qu’une partie du problème. Ce qui explique, si on se réfère aux résultats enregistrés en mars 2014 à l’occasion d’un épisode de circulation alternée, que la diminution moyenne de pollution à Paris n’ait été que de 6% pour les particules ce jour-là et de 10% pour les oxydes d’azote, alors que le trafic automobile avait baissé de 18% dans la capitale (et de 13% en petite couronne). Certes, le bénéfice de la circulation alternée n’est pas contestable; mais il est très limité.

C’est que, de toute façon, les pics de pollution ne proviennent pas des émissions produites sur place, qu’il s’agisse de Paris comme de n’importe quelle autre agglomération. Les épisodes de pollution printaniers comme celui que les Parisiens viennent de vivre sont des phénomènes connus des spécialistes de météorologie. Ils sont de grande échelle et intéressent des régions bien plus larges que la seule agglomération parisienne et même que l’Ile-de-France, puisque toute l’Europe du nord est concernée.

Un nuage de pollution circule en fonction des vents et de la rotation de la terre. La Nasa est d’ailleurs parvenue à modéliser la circulation de la pollution au gaz carbonique sur une année complète, montrant combien l’hémisphère nord de la planète est parcouru par ces polluants qui, bien sûr, ignorent les frontières et se déplacent différemment selon les saisons.

Dans ces conditions, lorsque les Parisiens ont plus de mal à respirer, ce n’est pas à cause des émissions de leurs voitures. La pollution est un problème global qui pénalise tout le monde au-delà des limites de la capitale et même de l’Ile-de-France, et réclame par là une mobilisation générale.

D’où l’intérêt de coordonner les efforts au niveau international, comme la maire de Paris en a pris l’initiative. Car sans cette mobilisation globale, les initiatives locales prises isolément, comme quelques jours de circulation alternée, seraient perçues comme autant de coups d’épée dans l’eau.

La voiture électrique, une réponse utile mais imparfaite

Encore faut-il que ces initiatives locales soient véritablement à la hauteur du problème. On a vu que la focalisation sur l’automobile n’était pas une réponse totalement appropriée. On peut promouvoir la voiture électrique, mais il faut raison garder: en France, sur l’année 2014, 15.000 immatriculations ont été enregistrées. Pour le seul mois de février 2015, on applaudit au doublement des ventes avec… 1.400 voitures électriques vendus dans le mois en France. Il faudra du temps pour électrifier le parc automobile!

D’autant que le débat est ailleurs, car plus d’un Parisien sur deux ne possède pas d’automobile. Et qui en possède ne la prend généralement pas pour se déplacer dans la capitale. La pollution des voitures particulières provient plutôt des automobilistes en transit ou des «commuters» qui viennent de la périphérie. Et qui ne pourraient pas forcément utiliser un véhicule électrique dont l’autonomie est limitée –surtout l’hiver quand le chauffage contribue à épuiser plus vite les réserves des batteries.

Le choix d’une voiture est toujours un compromis. Selon les automobilistes, la propulsion électrique peut être une solution lorsque les trajets quotidiens sont courts, mais elle ne saurait être généralisable. Il faudrait notamment multiplier les bornes de recharge. Les projets sont nombreux, les réalisations ne suivent pas. La loi sur la transition énergétique prévoit l’installation de 7 millions de bornes d’ici à 2030 en France, mais on en est loin avec, en tout, quelque 16.000 points de charge sur tout le territoire.

Bien sûr, les solutions hybrides font partie des compromis possibles, et les constructeurs multiplient les modèles – à l’exception des marques françaises, en retard sur ce créneau. Mais ce sont pour la plupart des modèles de haut de gamme qui ne sont pas à la portée de toutes les bourses: seulement 43.000 voitures hybrides ont été immatriculées en 2014 dans toute la France. Pour qu’elles aient de véritables effets, ces motorisations devraient être développées à grande échelle, ce qui n’est pas encore le cas.

Autocars et utilitaires dans le collimateur

L’initiative d’Anne Hidalgo pour accélérer l’électrification du parc des utilitaires dans la capitale, responsables de plus du tiers des émissions polluantes selon le Laboratoire d’économie des transports, devrait être plus efficace que la circulation alternée, car les effets seront durables. Il s’agit d’un programme d'aide à l'achat de véhicules utilitaires propres (électriques ou au gaz) pour les professionnels travaillant à Paris, pouvant correspondre à 15% du prix des véhicules. Le Conseil de Paris a prévu de débloquer 12 millions d'euros à cet effet jusqu'à la fin de l’actuelle mandature. La date d'entrée en vigueur du dispositif est prévue pour le début de l'été.

On pourrait même imaginer que des dispositions contraignantes soient prises pour les véhicules de livraison, au même titre que pour toutes les flottes captives d’entreprises, pour qu’elles soient uniquement équipées de voitures non polluantes. Le mouvement a été amorcé avec la loi sur la transition énergétique mais il y a bien longtemps que des mesures auraient pu être prises.

Les lobbies de toutes sortes, à commencer par les constructeurs automobiles et les pétroliers, mais aussi les transporteurs et les artisans, ont toujours su faire reculer les politiques. Les professionnels du tourisme n’ont pas été les derniers à lutter contre toutes les décisions qui auraient pu restreindre la circulation des autocars à Paris.

Anne Hidalgo est passé outre, souhaitant interdire la circulation des cars et des poids lourds les plus polluants dès le 1er juillet 2015. On verra si, au final, les mêmes intérêts qui avaient freiné les élans de Corinne Lepage en 1996 lors de l’élaboration de la loi sur l’air, devront cette fois reculer. Paris, qui accueille quelque 30 millions de touristes par an, ne peut se permettre de leur en compliquer l’accès; l’économie de la capitale en dépend. Mais en améliorant la qualité de l’accueil en luttant plus efficacement contre la pollution, la mairie peut aussi contribuer à favoriser le tourisme. Il appartient aux professionnels de trouver des solutions techniques adaptées.

Anticiper les infrastructures de demain

Reste que rien ne peut remplacer les investissements en infrastructures pour développer les réseaux de transports publics. Et de ce point de vue, Paris paie aujourd’hui le retard pris par l’interruption des grands travaux. Les dernières grandes décisions, pour la construction des lignes Eole et Meteor, remontent à 1989!

Aujourd’hui, avec les prolongements de lignes de métro et la construction de lignes de tramways, les travaux ont repris. Mais d’ores et déjà, alors que le projet de Grand Paris s’accompagne de la construction d’un métro express automatique ceinturant la métropole, des expertises remettent en question le bien-fondé du projet. Dommage: s’agissant d’infrastructures dont la durée de construction s’étale sur plus d’une décennie, les atermoiements rendent impossibles l’adaptation des moyens de transport aux besoins d’une capitale comme Paris.

On connaît le problème avec l’absence de liaison moderne et de transports de masse entre Paris et Roissy-Charles de Gaulle, à cause de débats interminables depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui, la desserte de l’aéroport parisien est un handicap majeur pour la capitale.

Pour participer à la lutte contre la pollution à l’échelle européenne, Paris ne devra pas se contenter de quelques journées de circulation alternée dans l’année. Les grandes infrastructures, comme le métro et le RER, furent à l’origine des grandes avancées. Elles supposent une volonté d’anticipation sans laquelle il n’existe pas de vision ni d’ambition pour la cité.

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