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Crash du vol Germanwings: qu'est-ce qu'un «pilote amok»?

Détail de la une du quotidien Bild, le vendredi 27 mars 2015.
Détail de la une du quotidien Bild, le vendredi 27 mars 2015.

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Bildzeitung, Die Zeit

«Andreas Lubitz (27). LE PILOTE AMOK» Voilà le titre qui s'étale, ce vendredi 27 mars, sur la une du tabloïd allemand Bild, qui publie sur la totalité de la page une photo du copilote de Germanwings fortement soupçonné d'être à l'origine du crash aérien. Un cliché pris en 2013 lors d'un semi-marathon organisé par la Lufthansa à Francfort.

En le montrant en train de courir, le journal appuie son propos, le terme d'«amok» étant habituellement utilisé par la presse allemande et anglophone dans l'expression «Amok laufen» ou «to run amok», que l'on pourrait traduire par «courir en amok», en référence à des actes commis par des personnes sous l'emprise d'une folie meurtrière, tels les tueries d'Oslo et de l'île d'Utoeya ou les massacres commis par des adolescents dans les établissements scolaires. En allemand, les auteurs de ces bains de sang sont donc communément désignés sous le terme d'«Amokläufer», qui signifie «coureur d'amok».

Ce terme est une retranscription approximative du mot indonésien et malais «amuk», qui désigne selon l'Urban Dictionary «une activité agressive qui tend à tout détruire», mais que l'on pourrait tout aussi bien traduire par les termes plus génériques de «folie furieuse» ou «rage incontrôlée».

Dans leur ouvrage Psychopathologie. Une perspective multidimensionnelle, les psychologues américains David H. Barlow et V. Mark Durand livrent une description détaillée de l'«amok», qu'ils classent dans la pathologie de la «fugue dissociative», sans pour autant lui reconnaître un caractère universel:

«Une forme distincte de trouble dissociatif inexistant dans les cultures occidentales est l'amok […] et la plupart des victimes sont de sexe masculin. Ce trouble a attiré l'attention parce que les personnes se trouvant en état d'amok, qui s'apparente à une transe, sont souvent prises de fureurs durant lesquelles elles agressent brutalement, voire parfois tuent des animaux ou des personnes et ne s'en souviennent généralement pas. Courir en amok n'est qu'un des nombreux syndromes consistant pour un individu à se trouver en état de transe et, soudainement empli d'une mystérieuse énergie, se mettre à courir ou à fuir pendant un long moment.»

L'écrivain autrichien Stefan Zweig s'est également intéressé à ces accès de folie mystérieux, qu'il rapproche de l'obsession amoureuse, dans sa nouvelle Amok ou le Fou de Malaisie, où il raconte l'histoire d'un médecin allemand en poste en Indonésie pris d'un vif tourment pour une femme qui vient lui demander son aide.

Interviewé en 2009 par l'hebdomadaire Die Zeit au sujet des auteurs de tueries dans des espaces publics tels que les écoles, les universités, les centres commerciaux –auxquels il faut désormais ajouter les transports–, le philosophe allemand Joseph Vogl estimait cependant qu'il faut distinguer ces actes de l'amok:

«Depuis le XIXe siècle, il y a un consensus autour du fait que l'amok est un phénomène lié à la culture et qu'en Asie du Sud-Est, sur la péninsule malaisienne ou à Java, il suit un protocole particulier: de sourdes ruminations, un coup de sang, suivi par les attaques meurtrières, puis un suicide ou une perte de mémoire. Ce que l'on peut observer pour l'heure, en particulier en ce qui concerne les fusillades dans les établissements scolaires, me semble être, dans ce format nouveau et particulier, de la même façon limité à des environnements culturels, à l'Europe centrale et du Nord et à l'Amérique du Nord.»

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