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C'est quoi l'autorité?

Pour Maryse Emel, professeure de philosophie, vouloir faire de l'autorité le fondement de l'éducation est une grosse erreur.

<a href="https://flic.kr/p/fuwdtE">Scène de classe</a> / Patrick Janicek via <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">FlickrCC</a>
Scène de classe / Patrick Janicek via FlickrCC

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En réponse à la tribune sur les défaillances du système éducatif actuel, publiée sur Slate le 31 mars 2015, Maryse Emel, professeure de philosophie, questionne la notion même d'autorité. 

Etymologiquement, l’autorité renvoie à l’auteur, celui qui est reconnu par la communauté des savants. Les institutions du savoir ne cessent de le rappeler. L’auteur qui fait autorité à l’école, c’est le professeur investi par ses pairs du savoir légitime. Que d’efforts pour y arriver! Que de renoncements pour atteindre ce paradis! Mais, comme l’aurait dit Platon, il est temps de redescendre et de retourner à la Caverne. La Caverne de l’ignorance, la Caverne des ombres, la Caverne où la brutalité est souvent préférée à la politesse. L’autorité du professeur ne saurait émaner que de ce savoir acquis avec tant de labeur. Le travail en effet est le premier garant de l’autorité. Les parvenus du savoir, ceux qui y sont arrivés sans fournir les efforts nécessaires, sans dresser la volonté à se mettre à la tâche, ceux-là ne méritent que mépris ou indifférence. Ce poids de la volonté et de l’effort, on le retrouve dans la démarche lente du conférencier qui porte le savoir acquis dans l’oubli de soi. Nous voici face à la seconde valeur de l’école: l’oubli de soi, ce que la troisième République mettait si bien en scène avec ses tabliers gris. Cet oubli de soi nous demande le silence dans ces lieux hauts en autorité que sont les bibliothèques. Une sorte d’opéra, de sanctuaire, aux trésors enfouis, ces lieux réservés aux initiés. Disparition du soi au profit de ce savoir rude et à la rugosité plaisante à celui qui sait. Fait autorité le livre, oui. Le respect naît de cette autorité.

On rêve d’une école où l’élève se «plierait» à l’autorité. Plier, comme le roseau de l’histoire. Le problème, c’est qu’aujourd’hui il n’y a plus que des chênes, qui rompent et ne plient pas.

Au nom d’un humanisme honorable, on demande à l’élève d’accéder à un savoir désintéressé, alors que depuis Descartes on se bat pour que ce savoir serve à quelque chose. Il nous faut des agriculteurs, il nous faut des chercheurs en médecine, il nous faut des artisans, aurait pu dire ce dernier. Importance de la méthode, du chemin, comme l’écrit Descartes. Ils n’ont pas de méthode, se plaignent les pédagogues.

Parle-t-on toutefois de la même méthode? Pour Descartes, elle ne se réduit pas à un kit de moyens. Il faut savoir quel but on poursuit, pour que la méthode se donne à voir. Pour Descartes, c’était le contentement humain. Mais que cherche l’école aujourd’hui? Il faut des premiers et des derniers dans une école qui ne classe que pour répartir les rôles sociaux. Comment évaluer les postes à responsabilité?

Comment distribuer les rôles de chacun? En donnant à tous le même savoir… sous couvert démocratique. Et c’est là qu’il y a erreur, illusion, tromperie. Sous prétexte d’égalité, on fonde des distinctions sévères et sans appel. Certains se heurtent à l’échec, d’autres à un succès facile. Le plaisir d’apprendre, le désir de questionner, de comprendre, qui est capable de le trouver en lui, si ce n’est celui qui est déjà dans ce monde du désintérêt? On emploie beaucoup le terme de parité en ce moment. Pourquoi? Parce que certains ont compris très vite que l’égalité aujourd’hui se joue entre pairs.

Il y a des castes en terre de France, au nom de la démocratie. Des castes qui se reproduisent, aurait pu écrire Bourdieu. Où cela nous mène-t-il?

Le problème avec les professeurs, dont je fais partie, c’est qu’ils apprennent à évaluer: eux-mêmes ou le concurrent. Les concours d’enseignement sont concurrentiels, l’amitié s’arrête au seuil des postes à pourvoir. Si je réussis, oui je pourrai le plaindre, lui qui n’a pas eu le concours…

Réussir le concours, c’est intégrer la caste des pairs.

Et les élèves dans tout cela? Ils perçoivent, bien souvent dans la confusion, ce monde de l’excellence humaniste auquel certains accéderont, d’autres pas.

Les professeurs viennent de partout. Des terres de l’excellence comme des terres de la précarité. Des grandes écoles comme des errances hasardeuses de la vacation. Jadis, on qualifiait ces derniers de «maîtres auxiliaires». Des moyens pour les autres maîtres… ceux qui n’ont pas échoué aux concours… Mais qui souvent échouent sur les bancs de la classe, et ne savent plus repartir.

Echouer, comme un bateau à la dérive. Echouer et se sentir perdu.

La parité c’est cela… Exclure pour créer une communauté, au risque de ne pas rencontrer les exclus du groupe.

Le modèle éducatif implicite, c’est celui-là. Celui de l’excellence et du rejet, de la mise à l’écart de ceux qui n’ont pas su comprendre. Devenir un moyen, au sens marxiste, c’est être aliéné. C’est à cela que sert l’enseignement des humanités… de quoi terrifier Montaigne.

L’autorité alors devient autoritarisme, le respect, soumission et crainte, le travail, corvée… et la peur s’installe.

 

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