Politique / Économie / France

Quand les politiques vont-ils se décider à nous parler de leur programme?

Les dirigeants politiques ont, aujourd'hui, comme seul horizon le retour de la croissance. Mais que font-ils pour préparer nos sociétés à affronter les défis du futur? Les idées ne manquent pas. C'est la volonté qui fait défaut.

<a href="https://flic.kr/p/8BQ2mp">Page blanche</a> / Andy Brandon via FlickrCC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/">License by</a>
Page blanche / Andy Brandon via FlickrCC License by

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Quand les hommes et les femmes politiques nous présenteront-ils leur vision de l'avenir, du monde, de l'Europe et de la France? Le retour à la croissance semble leur seul horizon, avec une coloration plus ou moins verte du PIB pour faire bien. La gauche attend la reprise qui inversera enfin la courbe du chômage et tout sera dit. La droite promet seulement qu'elle retrouvera l'expansion plus vite.

Les maux de la société sont à ce point profonds que le seul retour au plein-emploi ne suffira pas à les guérir.

La crise a été vaincue par des politiques d'urgence qui ont abouti à un endettement massif des Etats. Comment peuvent-ils maintenant rembourser sans appauvrir une ou deux générations? La Grèce est en pointe avancée d'un débat général. Comment, sans argent, maintenir les systèmes de protection sociale qui, la démographie évoluant, vont coûter de plus en plus cher? Autre problème lourd: la productivité n'apporte plus ce «grain à moudre» dans les pays développés qui faisait que, bon an mal an, toutes les catégories sociales voyaient leur revenu évoluer positivement. Comment y faire face?

La bataille des idées va se jouer sur la définition d'un capitalisme post-libéral. Mais encore faudrait-il que la France commence par faire un bon bilan du libéralisme.

La gauche lui attribue encore tous les malheurs et rêve de revenir au monde prélibéral des années glorieuses. Elle se limite à évoquer un capitalisme «moral», éthique –autant d'idées gentilles mais creuses.

La droite ne fait pas mieux. Elle est gênée de n'avoir jamais osé plonger le pays dans des solutions «libérales» (sauf entre 1986 et 1988), elle s'en veut vaguement mais elle n'a pas, en vérité, une vision du sujet plus claire que la gauche. 

Aucun parti n'a tranché entre le libéralisme et l'étatisme, bref entre les deux composantes de l'ADN national jacobine et girondine. Il serait bien temps puisque le problème s'amplifie et se complexifie aujourd'hui par une redéfinition nécessaire beaucoup plus large, celle de la coopération entre la politique et la société civile.

Le chemin vers la présentation d'un programme est, donc, encore long. La France des idées existe, des universitaires, des think tanks, ici et ailleurs, produisent des analyses et des recommandations, mais la classe politique les ignore, elle ne lit plus, elle ne semble plus penser qu'à sa présence le soir sur les chaînes d'info.

Un remarquable petit opuscule du think tank social-libéral Policy Network permet d'avancer des réponses. Le titre est Progressive Capitalism in Britain, Pillars for a new Political Economy («Un capitalisme de progrès en Grande-Bretagne»), mais la leçon s'applique très bien aux autres pays et, si elle se veut de gauche, elle ouvre aussi des pistes pour une droite démocrate-chrétienne.

Les auteurs (professeurs, anciens ministres, économistes, membres de la Chambre des lords) réhabilitent le rôle de l'Etat par rapport aux années libérales mais le rénovent fondamentalement.

Hier, un gouvernement devait se limiter à établir un «environnement» favorable aux entreprises et, éventuellement, prendre la défense de ses «champions nationaux». L'équilibre social, en gros, se faisait tout seul, grâce à la croissance et au rapport de force équilibré entre les entreprises et les salariés. Aujourd'hui, il devrait en aller très différemment. Dans un univers où les changements technologiques sont continus, l'Etat doit axer sa politique sur l'offre pour promouvoir la croissance par la compétition, c'est d'elles que viendront et l'emploi et la baisse des prix qui assurera le pouvoir d'achat.

Qu'est-ce à dire? Le think tank fait trois premiers volets de propositions pour un «Etat intelligent». D'abord une refonte complète du système d'innovation, car l'Europe reste très à la traîne de ce qu'il faudrait. Ensuite une politique de financement, c'est-à-dire une vision de la finance utile à l'économie qui fait défaut. Enfin, un ensemble de règles qui permettent de sortir de la «shareholder value» (la priorité donnée par le management au service de l'actionnaire) et accorde aux salariés des droits à meilleure distribution. Ce dernier point est sûrement très délicat en Grande-Bretagne comme en France, les grandes entreprises, prisonnières de leur cours de Bourse, n'en comprennent pas l'enjeu. Il en va autrement en Allemagne.

La solution actuellement utilisée en Europe est de réduire les inégalités après coup, par les impôts redistributifs. Mais la crise financière des Etats va imposer de se préoccuper des partages de revenus au départ, dans l'entreprise. Et ce sans affecter les forces de l'offre.

Comment faire changer le regard des chefs d'entreprise? Voilà une grave question pour les économistes. Les géants mondiaux accumulent des profits dont ils ne savent plus que faire, ils sous-investissent? Voilà surtout une belle question pour la classe politique.

Un quatrième volet concerne la remise en cause du système de protection sociale par l'idée de «flexisécurité». Le mot évoque le droit du travail: mieux protéger le salarié au lieu de sauvegarder son emploi. Des mesures ont été avancées dans ce sens, même s'il reste beaucoup à faire. Mais la notion est plus large: celle d'un parcours d'accompagnement durant toute leur vie d'individus qui seront amenés à changer d'emploi, sinon de métier. Celle de comprendre que, dans ce parcours, les inégalités d'éducation, de culture, de logement, de santé se cumulent souvent au détriment des mêmes, enfermés dans une précarité multiforme. Comment équiper les individus de capacités pour s'en sortir? Le débat sur les inégalités ne fait que s'ouvrir.

Retrouver une société de prospérité partagée. La politique ne pourra retrouver sa crédibilité que si elle nous apporte une réponse forte et pensée.

Article également publié dans Les Echos

 

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