Économie / France

Le crash de Germanwings fait ressurgir le débat sur le pilotage à deux

A la fin des années 80, l’introduction des commandes électroniques sur l’A320 avait déclenché l’opposition des pilotes qui refusaient le pilotage à deux. La catastrophe survenue dans les Alpes vient de relancer le débat, pas sur la technologie mais sur la gestion des vols.

Le mécanisme de verrouillage d'une porte d'A320. REUTERS/Leonhard Foeger.
Le mécanisme de verrouillage d'une porte d'A320. REUTERS/Leonhard Foeger.

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Avec ses commandes électroniques, l’Airbus A320 a déclenché une véritable révolution à l’intérieur des cockpits dans les années 80. Une révolution qui se manifestait par un mode de pilotage à deux des appareils, alors que dans les avions d’ancienne génération, le personnel navigant technique était composé de trois membres: le pilote et le copilote, plus un mécanicien navigant. Mais avec l’introduction des ordinateurs de bord et l’automatisation d’un certain nombre de tâches, notamment au niveau de la navigation, ce dernier fut chassé hors du cockpit.

Compte tenu de l’économie réalisée, les compagnies plébiscitèrent la formule, mais pas les équipages. Au départ, les pilotes ruèrent dans les brancards, refusant que l’introduction de l’informatique à bord empiète sur le pilotage manuel et, par là, sur leur domaine d’intervention. Ils acceptaient mal que le progrès technologique vint ainsi banaliser leurs compétences, entraînant en plus la disparition d’une profession et réduisant le nombre de postes à bord.

Malgré tout, la carrière de l’Airbus A320, de 150 places dans la version d’origine, entamée en 1988 avec le vol inaugural du «Ville de Paris», s’est poursuivie. Vingt-sept ans plus tard, on compte plus de 11.500 appareils commandés dans les différentes versions, de 100 places pour l’A318 à 220 places pour l’A321, et les 6.200 unités aujourd’hui en exploitation dans le monde ont transporté quelque 6 milliards de passagers, affirme le constructeur. Mais la polémique sur le pilotage à deux refait surface à l’occasion de la catastrophe survenue à l’avion de Germanwings. La sécurité a-t-elle été sacrifiée pour des impératifs de gestion?

Un pilotage à deux au départ mal accepté par les pilotes

La priorité donnée à la sécurité avait été le motif invoqué par les pilotes de la compagnie Air Inter (qui fut ensuite absorbée par Air France) pour s’opposer à leur direction lorsqu’ils se virent affectés sur le nouvel avion, en 1989. Air Inter, compagnie intérieure, fonctionnait à la fin des années 80 comme une compagnie low-cost moderne, effectuant uniquement des vols moyens courriers avec des rotations très rapides pour optimiser l’utilisation des machines. Pas question de réduire le personnel navigant technique au nom d’économies à réaliser.

En outre, étant souvent issus des rangs de l’armée de l’air, les pilotes de la compagnie n’entendaient pas se laisser imposer un nouveau mode de conduite des appareils et de navigation par des ingénieurs. Comme militaires, ils avaient été habitués à piloter des avions construits par Dassault. Ils entendaient bien poursuivre dans le même univers, dans le cockpit des Mercure que l’avionneur français avait conçu pour eux.

Et le géant américain Boeing, qui prédisait que l’A320 n’avait aucun avenir, soutenait aussi ces pilotes, lui qui n’avait pas introduit les commandes électroniques et se rangeait aux arguments de ces chevaliers du ciel pour qu’ils conservent la main sur la maîtrise du manche. Les pilotes d’Air Inter engagèrent alors un bras de fer contre leur président, Pierre Eelsen. L’affrontement s’éternisa, avec des grèves à répétition qui affaiblirent la compagnie.

Finalement, face au mécontentement des passagers et à l’usure du mouvement des pilotes, la direction de la compagnie imposa son choix. Elle était aussi soutenue par l’Etat qui, propriétaire de la compagnie mais aussi partie prenante dans le projet Airbus, ne pouvait pas prendre le parti des pilotes. En outre, dans l’aérien, on parlait déjà de plus en plus de concurrence et, par là, de compétitivité. Le lancement de l’A320 apportait des réponses à cette problématique nouvelle qui apparaissait avec la libéralisation des dessertes aériennes. Mais Air Inter, absorbée par Air France à partir de 1990, ne survécut pas à ce bras de fer.

Plus tard, Boeing introduisit également des commandes électroniques, selon toutefois une philosophie différente. Mais fort de l’économie réalisée avec un équipage technique réduit à deux personnes, l’Airbus A320 avait déjà gagné son pari. L'avionneur devenait, avec cet appareil, le challenger de l’américain.

Réviser les conditions de sûreté dans la gestion des vols

Le 26 juin 1988, un A320 s'écrase lors d'un vol de démonstration à Habsheim (Haut-Rhin). Bilan: 3 morts.

Il y eut des catastrophes, comme à Habsheim, à l’issue desquelles les conditions de pilotage de l’Airbus A320, avec les commandes électroniques, furent critiquées. Ne déresponsabilisaient-elles pas les pilotes? En fait, ces commandes ont fait leurs preuves et se sont généralisées sur l’ensemble des avions modernes, chez Airbus comme chez Boeing. Et on n’envisagerait pas un retour à un pilotage manuel des appareils commerciaux.

Du même coup, seuls deux pilotes sont aux manettes dans le cockpit. Et lorsqu’ils sont plus nombreux à bord, c’est pour assurer des vols longs courriers qui impliquent des temps de travail trop importants pour que les mêmes pilotes restent aux commandes sur l’ensemble du parcours. Dans ces conditions, des rotations d’équipages sont prévues (c'était le cas, par exemple, sur le Rio-Paris en 2009, ce qui explique l'absence du commandant de bord du cockpit au moment du décrochage de l'appareil). Mais aux commandes, la philosophie reste la même.

Toutefois, si le pilotage à deux dans des appareils modernes ne semble pas pris en défaut, une situation imprévue est apparue, démontrant qu’une présence limitée à deux personnes dans un cockpit peut déboucher sur une catastrophe au cas où l’une des deux s’absente et que l’autre demeure seule.

La sanctuarisation du poste de pilotage en le rendant inaccessible à toute personne étrangère avait été la réponse apportée après les attentats du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers à New York et l’intrusion de terroristes dans le cockpit. Dans le cas du crash de l’appareil de la Germanwings, cette sanctuarisation s’est transformée en piège pour les passagers.

Elle ne remet pas en question la pertinence des commandes électroniques de l’A320, mais oblige les compagnies à s’interroger sur l’obligation de maintenir, dans tous les cas de figure, deux personnes dans le poste de pilotage –même lorsque l’un des deux pilotes s’absente. Il serait toutefois étonnant que les compagnies reviennent à un équipage comprenant trois navigants dans le poste de pilotage, tant pour des raisons techniques qu’économiques. Mais elles vont devoir réviser leurs procédures pour rétablir des conditions de sûreté qui ont été prises en défaut.

Car la sécurité et la sûreté dans l’aérien, forcément fragiles, peuvent basculer instantanément et ne supportent aucune approximation ou improvisation. Or, la technique n’est pas le seul domaine à maîtriser: en l’occurrence, la gestion des conditions de vol se révèle tout aussi sensible pour les compagnies. C’est déjà l’option prise par Easyjet, Icelandair, la compagnie low-cost Norwegian Air ou la Fédération allemande du transport aérien pour que deux personnes soient en permanence dans le cockpit. D’autres compagnies devraient suivre.

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