France

L'évolution politique des départements français résumée en cinq cartes

Du rapport gauche-droite au vote FN en passant par les référendums européens et les bastions de chaque camp, résumé de cinquante ans de géographie électorale

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Depuis cinq ans, la géographie électorale française est en pleine mutation. Les circonscriptions législatives ont été redécoupées en 2010; les régions ont été regroupées et passeront de 22 à 13 en métropole à compter des élections prévues en décembre prochain; le nombre de cantons a été divisé par deux à l'occasion des élections départementales des 22 et 29 mars. Finalement, là-dedans, c'est sans doute le département qui se révèle l'échelon le plus stable pour observer les comportements électoraux. Voici cinq cartes qui reflètent leur évolution politique sous la Ve République, et permettent d'éclairer, chacune à leur façon, les collectivités dont les électeurs sont appelés à désigner les nouveaux dirigeants.

1.Les départements qui ont évolué vers la gauche, ceux qui ont évolué vers la droite

Sur la carte ci-dessous, nous nous sommes livrés à un comparatif entre le second tour de deux élections présidentielles: celle de 1965 (De Gaulle vainqueur avec 55,20% des voix) et celle de 2012 (Hollande vainqueur avec 51,64%). Nous avons cherché à diviser en gros la France en deux catégories de départements: ceux qui, entre ces deux scrutins et en comparaison des scores nationaux, ont plutôt bougé vers la gauche, et ceux qui ont plutôt bougé vers la droite. Une comparaison qu'il est également possible de faire, avec des conclusions très proches, entre Mitterrand 1981 (51,76%) et Hollande 2012.


Exemple de calcul: la Meuse a voté à droite en 1965 (De Gaulle 66,7%) comme en 2012 (Sarkozy 53,8%) mais, dans le premier le cas, le candidat de droite surpassait son score national de 11,5 points, dans le second de seulement 5,5 points –il y a donc eu un déplacement vers la gauche de 6 points. La carte ne donne qu'un seul chiffre pour l'Ile-de-France, dont le découpage départemental n'était pas le même en 1965.

Dans la catégorie des départements qui bougent vers la gauche, on trouve notamment le Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Basse-Normandie), la façade Atlantique, à l'exception de la Charente-Maritime, une bonne partie du Massif Central... Comme l'expliquent le démographe Hervé Le Bras et l'historien Emmanuel Todd dans leur ouvrage Le Mystère français, cette mutation signe «l'effacement du catholicisme de droite» en France, les zones les plus fortes de progrès de la gauche ayant été «les anciens bastions de la pratique religieuse: la Bretagne et l'Ouest intérieur, le Pays basque, le sud-ouest du Massif Central», et ce notamment parce que la droitisation de 2007 et 2012 a libéré un espace pour un ralliement des électeurs du centre et du centre-droit au candidat de la gauche au second tour. Au niveau chiffré, la manifestation la plus spectaculaire de cette tendance se trouve en Ille-et-Vilaine, département qui votait à 32% pour Mitterrand en 1965 et à 56% pour Hollande en 2012.

A l'inverse, des régions précocement déchristianisées (Paca, le bassin picard, la Bourgogne, le Centre...) ont elles plutôt connu un mouvement de balancier vers la droite, avec même souvent de gros scores de l'extrême droite. Ici, le déplacement le plus important s'observe dans le Var, ce département où Mitterrand était majoritaire en 1965 et 1974 et qui a voté à près de 63% Sarkozy en 2012.

2.Les bastions de chaque camp


Sur la carte ci-dessus s'affichent trois types de départements:

– en rouge, ceux qui ont constamment voté pour le candidat de gauche au second tour de la présidentielle (exception faite de 1969 et 2002, où la gauche n'était pas au second tour): l'Ariège, la Haute-Vienne, les Hautes-Pyrénées, le Lot, la Nièvre, la Haute-Garonne, l'Allier, le Gers, l'Aude, l'Indre et le Tarn. Sans surprise, ces départements devraient constituer le cœur du socialisme départemental au soir du 29 mars, même en cas de lourde défaite de la majorité.

– en bleu, ceux qui ont constamment voté pour le candidat de droite au second tour de la présidentielle: les Alpes-Maritimes, le Bas-Rhin, la Haute-Savoie, l'Ain, la Vendée, la Mayenne, le Maine-et-Loire, la Manche et la Lozère. Beaucoup de départements de la région Pays de la Loire, donc, ainsi que des riches départements frontaliers de l'Est.

– en violet, ceux qui ont constamment voté pour le vainqueur (des genres de swing states à la française): l'Ardèche, le Calvados, la Charente-Maritime, l'Indre-et-Loire et la Loire. On remarquera que, si certain de ces départements ont aussi connu une alternance au niveau départemental, celle-ci est loin d'être systématique: la Charente-Maritime n'a pas connu de président de conseil général de gauche depuis 1985 et le Calvados jamais.

3.Les départements les plus représentatifs de la tendance nationale

Sur la carte ci-dessous, plus la couleur est claire, plus le département vote de manière proche de la tendance nationale; plus elle est foncée, plus il connaît un vote «atypique».


Le département dont l'évolution politique suit le plus fidèlement celle de la France est la Saône-et-Loire, où l'écart moyen entre le score des différents candidats (premier et second tour) et leur score national est de 0,77 point depuis 1965. Il suffit d'ailleurs de jeter un oeil aux résultats de 2012 pour voir à quel point les chiffres y étaient proches de la tendance nationale.

Les départements les plus représentatifs se retrouvent d'ailleurs essentiellement dans un très grand quart sud-est du pays, puisque, à moins de 1 point d'écart en moyenne, on trouve aussi l'Ardèche, les Hautes-Alpes, le Jura et la Côte d'or.

À l'inverse, le département le moins représentatif est le Haut-Rhin, avec 4,75 points d'écart en moyenne. Il faut dire qu'il s'agit d'un des départements les plus à droite de France (même si François Mitterrand l'y avait emporté d'un souffle en 1988, année de sa réélection avec plus de 54% des voix) et que, au sein de la droite, il s'est souvent distingué par un survote en faveur du candidat identifié à l'UDF plutôt qu'au RPR (Jacques Chirac y a été devancé par Raymond Barre et Edouard Balladur en 1988 et 1995). Parmi les départements les plus «déviants», on trouve aussi la plupart des fiefs des présidents: la Corrèze de Chirac et Hollande, la Nièvre de Mitterrand, le Cantal de Pompidou...

4.L'évolution du vote FN

En 1984, c'était «le choc»: 10,95% pour la liste FN aux européennes, sa première grosse performance électorale sur le plan national. En 2014, la réplique: 24,85% des voix et une première place au même scrutin. Comment le vote FN a-t-il évolué entre ces deux dates? La carte ci-dessous permet de l'observer.


Premier constat: le FN voit son score augmenter de 14 points au niveau national mais baisse dans deux départements, Paris et les Hauts-de-Seine. Un symbole de la façon dont le vote frontiste s'est éloigné des zones urbaines, où il était parfois fort au milieu des années 80, notamment en Ile-de-France et dans le Rhône. Comme l'écrivent Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, il s'est propagé «comme une onde de choc» au nord d'une ligne Le Havre-Belfort, passant du centre à la périphérie, vers les zones périurbaines. Les meilleurs symboles de cette évolution sont des départements comme l'Aisne, la Somme, l'Oise ou l'Eure, où le vote Le Pen (père puis fille), qui se situait sous la moyenne nationale en 1984, a littéralement explosé en trente ans, avec des hausses de 25 à 32 points. Le premier de ces départements fait d'ailleurs partie des objectifs du parti pour ces cantonales.

5.France du oui, France du non

En septembre 1992, la France approuvait le traité de Maastricht à une étroite majorité de 51,05% des voix. Treize ans plus tard, elle repoussait le Traité constitutionnel européen à une majorité plus large (54,67%). Comment chaque département a-t-il évolué entre ces deux dates?


Deux d'entre eux ont vu le vote «oui» progresser de manière importante, et il s'agit de ceux déjà mentionnés où le vote FN a baissé, dont il a été «chassé», entre 1984 et 2014: Paris et les Hauts-de-Seine –il s'agit également des deux départements les plus riches de France. Un seul département a voté «non» en 1992 et «oui» en 2005 (à chaque fois de justesse), la Vendée: un paradoxe qui, a écrit le chercheur Philippe Martin, illustre l'échec relatif de la figure souverainiste locale, Philippe de Villiers, dont la voix a moins porté la deuxième fois et qui y a moins convaincu au plan local que la droite modérée favorable au «oui».

Plus généralement, en 2005, le vote «oui» s'est concentré dans l'Ouest de la France, la zone où subsistent ce que Hervé Le Bras et Emmanuel Todd appellent un «catholicisme zombie», ainsi qu'une défiance pour l'Etat central, auquel on préfère la région... ou l'échelon européen.

Les plus fortes progressions du «non» se retrouvent elles sur un éventail de territoires assez large, allant de l'Ariège (+14 points) aux Côtes d'Armor (+13,5%), de la Nièvre (+12,6%) aux Ardennes (+12,2%). Le politologue Pascal Perrineau a notamment lié ce vote à un phénomène géographique, celui de la «diagonale aride», «marquée par un déclin des activités traditionnelles et une érosion démographique».

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