Économie

Retraites: le peu est l'ennemi de l'efficace

La réforme n'est pas à l'agenda de François Hollande. Nicolas Sarkozy, en voulant se démarquer, a proposé de repousser un peu l'âge de départ, ce qui ne peut avoir un effet que sur un temps limité. Comme lorsqu’en 2010 le gouvernement Fillon reporta cet âge de deux ans... en sachant très bien que cette réforme serait inefficace pour pérenniser le système.

Un couple de retraités à Enghien-les-Bains, en août 2013. REUTERS/Christian Hartmann
Un couple de retraités à Enghien-les-Bains, en août 2013. REUTERS/Christian Hartmann

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Lui Président, on reparlera d’une réforme des retraite: Nicolas Sarkozy, aujourd’hui à la tête de l’UMP, l’a annoncé début mars dans une interview au Figaro, se déclarant favorable à l'idée de «repousser l'âge de départ à 63 ans (et à 68 ans, sans décote) en trois ans».

Au moins, à défaut de nouveauté, joue-t-il la carte de la transparence puisque, dans son programme de campagne avant les élections de 2007, le candidat Sarkozy n’avait pas identifié la réforme des retraites au nombre de celles qu’il devrait mener. Or, avec le gouvernement de François Fillon, ce fut l’une des plus marquantes de son septennat. L’une, aussi, qui fit descendre dans la rue un grand nombre de citoyens.

Non pas qu’une réforme ne s’imposait pas: sur ce point, tout le monde s’accordait sur la nécessiter de réviser le système. Mais c’est sur la méthode et les objectifs que les oppositions se manifestèrent.

Une réforme qui se limitait à repousser de deux ans les butoirs d’âge ne répondait pas aux défis posés. Et en utilisant par anticipation un fonds de réserve destiné à être utilisé à partir de 2020 au moment du pic des départs en retraite de la génération du baby-boom, elle hypothéquait la capacité du système à surmonter ce pic.

D’ailleurs, en adoptant à contrecœur la réforme le 21 octobre 2010, le Sénat devait introduire un amendement prévoyant que, «à compter du premier trimestre 2013, le comité de pilotage des régimes de retraite organise une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique». Une façon de souligner que cette réforme n’était pas la bonne. Pour une raison qui n’avait échappé à personne: elle ne permettrait pas au système de s’extraire des déficits.

Des réformes qui n’ont pas sorti le système des déficits

Depuis, diverses études ont confirmé les mises en garde lancées pendant le débat, qui soulignaient que la situation redeviendrait critique dès 2018 et que le report de deux ans de l’âge de départ ne permettrait pas au système de tenir plus de dix ans. Sur la base des scénarios économiques du gouvernement, totalement irréalistes (comme par exemple le retour à une croissance de l’ordre de 2% et une baisse progressive du taux de chômage à 4,5% qui aurait permis de relancer le produit des cotisations), le Conseil d’orientation des retraites estimait malgré tout dans un rapport de 2012 que le déficit du système de retraite atteindrait 24 milliards d’euros en 2020.

Plus réaliste, l’institut COE-Rexecode tablait plutôt sur 40 milliards d’euros de déficit à cet horizon!

Depuis, le gouvernement Ayrault a introduit dans sa mini-réforme d’août 2013 une hausse des cotisations (avec un plafond relevé à 28% des salaires) tant pour les salariés que pour les employeurs, qui doit réduire le déficit à terme du système de retraite à 9 milliards d’euros selon le COR, mais encore à 15 milliards selon COE-Rexecode.

On est donc encore loin du compte. Rappelons que, compte tenu d’une augmentation de la masse salariale plus faible que prévu, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) a été déficitaire de 9,1 milliards d’euros en 2013 après 11,6 milliards en 2012.

Mais ce n’est pas dans le cadre de l’actuel quinquennat que le chantier d’une véritable réforme sera ouvert. François Hollande ne l’a pas inscrit à son agenda d’ici à 2017, comme l’a confirmé Manuel Valls en décembre 2014. Trop impopulaire. C'est le président qui sortira des urnes en 2017 qui héritera du dossier.

Un besoin de sécurisation

La vraie réforme des retraites reste encore à mener, pour bâtir un système compatible avec les nouveaux paramètres économiques et démographiques. Une réforme qui passerait peut-être par une révision de l’âge de départ en retraite, mais qui ne peut se réduire à cette seule disposition. Avec, en toile de fond, la baisse de la proportion d’actifs par rapport au nombre de retraités: alors qu’on comptait encore 2 cotisants pour un retraité en 2005, la proportion est tombée à 1,65 aujourd’hui et passera à 1,4 en 2040.

Tout système de retraite doit offrir aux citoyens une visibilité à long terme sur la situation qu’ils connaîtront une fois sortis du marché du travail, afin qu’ils sachent pourquoi ils cotisent lorsqu’ils travaillent et quel niveau de pension ils pourront eux-mêmes espérer toucher lorsqu’ils ne travailleront plus. Cette visibilité implique de ne pas procéder par petites réformes successives, mais de prendre le temps de mettre en place avec les partenaires sociaux des systèmes véritablement durables.

D’autres pays ont mené des réformes de fond pour adopter des systèmes de retraites différents, par points (comme en Allemagne) ou comptes notionnels (comme en Suède) dans lesquels toute cotisation versée donne des droits supplémentaires, et la pension est proportionnelle au total des cotisations versées. Sans pour autant remettre en question le principe de la répartition. Mais de telles réformes ne peuvent se mener que sur plusieurs années. Encore faut-il s’y atteler.

Or, en annonçant vouloir repousser d’une année l’âge de départ à la retraite et en réduisant le projet de réforme au déplacement de ce seul curseur, Nicolas Sarkozy ne peut espérer modifier les termes de l’équation que pour une période limitée. Comme lorsqu’en 2010 le gouvernement Fillon reporta cet âge de deux ans... en sachant très bien que cette réforme serait inefficace pour pérenniser le système.

Course de vitesse pour les régimes complémentaires

La mesure apparaît d’autant moins suffisante que, par rapport à 2010, la situation s’est dégradée, et pas seulement pour les régimes de base.

Les caisses de retraites complémentaires sont en mauvaises postures, notamment l’Arrco et l’Agirc (la caisse des cadres) dont l’existence est menacée. Même si le risque de faillite est évacué, à quels niveaux de pensions pourront-elles continuer à fonctionner?

L’Arrco a perdu plus de 3 milliards d’euros en trois ans, et l’Agirc plus de 4,5 milliards. Pour 2014, les résultats devraient être négatifs de 1,6 milliard d’euros pour la première, et 2,5 milliards pour la seconde. La Cour des comptes a tiré la sonnette d’alarme, estimant que l’Agirc aura épuisé ses réserves dès 2018. Si on considère l’ensemble Agirc-Arrco, un répit supplémentaire serait donné jusqu’à 2023.

Un scénario que les présidences des deux caisses ont voulu dédramatiser, mais qu’elles ont validé malgré tout: «Sur la base d’un scénario économique plus prudent que celui des pouvoirs publics, les réserves de l’ensemble Agirc-Arrco ne seront pas consommées avant 2024», ont-elles répondu à la Cour. Le temps est compté. C’est pourquoi les négociations entamées depuis la mi-février par les partenaires sociaux pour «retrouver les voies d’un équilibre durable des régimes complémentaires» sont capitales.

Mais alors que la CFDT prône une fusion des deux caisses qui, implicitement, concourrait à remettre en question l'actuelle spécificité du statut de cadre, la CFE-CGC, syndicat de l’encadrement, s’y oppose, jugeant que cette disposition ne règlerait rien et ne ferait que repousser le problème.

La CGT se cabre aussi, et réclame seulement une augmentation des taux de cotisations pour sauver le système. Ce que le Medef refuse catégoriquement pour ne pas peser sur le coût du travail quand l’objectif est au contraire de le réduire.

L’organisation patronale prône un gel des pensions dès 2016 et une décote pour les retraites complémentaires versées entre 62 ans et 67 ans, ce que les organisations de salariés ne veulent pas entendre. Dur marathon pour les négociateurs.

Certes, l’Agirc et l’Arrco sont gérées paritairement par les partenaires sociaux et ces régimes de retraites complémentaires «ne contribuent pas pour un euro à la dette publique», rappellent les responsables. L’avenir de ces caisses est donc distinct de celui des régimes de base. Mais les incertitudes qui planent sur elles et sur le niveau des pensions qu’elles pourront livrer dans l’avenir contribuent à plomber le climat général dans lequel baigne aujourd’hui toute la problématique des retraites.

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