Parents & enfants / France

Vacances: le double discours hypocrite de l'Education nationale

Un œil sur le calendrier scolaire et ses projets d’évolution permet de mesurer l'ampleur du désintérêt du Ministère de l’éducation et des syndicats pour les catégories populaires et les inégalités.

Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem (ministre de l'éducation) à Paris le 23 janvier 2015. REUTERS/Joel Saget/Pool
Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem (ministre de l'éducation) à Paris le 23 janvier 2015. REUTERS/Joel Saget/Pool

Temps de lecture: 4 minutes

Le principal syndicat d’enseignant du second degré, le SNES, répondait ce lundi aux questions du Figaro au sujet de la réorganisation du calendrier scolaire, confirmant une information donnée plus tôt par Europe1: à partir de l’année prochaine, le vendredi qui suit le jeudi de l’ascension deviendrait un jour de congé; le ministère aurait pour projet d’avancer les vacances de Pâques; enfin, la prérentrée serait retardée de 3 jours et se déroulerait le lundi 31 août.

Un temps scolaire illogique

La secrétaire générale du SNES, Frédérique Rolet, présente comme une évidence le fait qu’il faille faire sauter les jours entre un jour férié et un week-end et avance que trop d’enfants sont absents. Mais quelles solutions proposer pour ceux qui voulaient venir à l’école? Il est difficile et coûteux pour les communes d’ouvrir les centres de loisirs ce jour-là. Alors, qui va garder les enfants de ceux qui travaillent? Evidemment ce n’est pas un problème pour le SNES, les enseignants ne travailleront pas…

Ou alors instituons le pont pour tout le monde et ajoutons un jour férié laïc, en plus du jour chrétien (au fait vous savez ce que c’est l’ascension vous?) dans le calendrier!

Après la montagne de réactions provoquées par les déclaration du syndicat, ministère reste prudent. Son service de presse calme le jeu et explique que les changements seront annoncés, s'ils le sont, plus tard et que, jusqu'à nouvel ordre, chaque rectorat peut autoriser des dérogations au calendrier scolaire tel qu’il est publié dans le Bulletin Officiel: 

«ça peut être le cas pour le pont de l'ascension mais ce n'est pas systématique. Les prochains calendriers scolaires seront examinés en Conseil supérieur de l’éducation le 9 avril.»

Mais des questions se posent encore et toujours autour de la prérentrée, qui sera bien le 31 août et non le vendredi 28 – ce qui aurait fait perdre un weekend de vacances aux enseignants.

Le lundi de la prérentrée des enseignants est souvent celui de la rentrée de tous les parents, qui se retrouveront donc avec leurs enfants sur les bras quelques jours de plus.

Certes, l’école n’est pas une garderie. Mais elle permet aux parents de travailler –et notamment aux mères. Comme le rappellait l’économiste Thomas Piketty en 2013 au sujet du mercredi:

«Le mercredi sans école met une pression énorme sur les parents, et en pratique une pression disproportionnée sur les mères de jeunes enfants, pour s’arrêter de travailler le mercredi. Cela a des conséquences extrêmement dommageables sur l’inégalité hommes-femmes des carrières professionnelles : si vous savez que les jeunes mères de famille seront systématiquement indisponibles pour les réunions le mercredi, allez vous leur confier les mêmes responsabilités qu’aux pères ? Evidemment non. En mettant fin à cette regrettable particularité française, et en instituant un service public d’éducation fonctionnant du lundi au vendredi, pour les enfants et les parents, ce gouvernement oeuvrerait puissamment pour la réduction des inégalités hommes-femmes.»

Reste une question: ces positions sont défendues par le SNES, un syndicat classé à gauche; est-ce de gauche de défendre les vacances de bourgeois qui ont le temps et l’argent pour partir? Bien entendu, le SNES fait son boulot de syndicat, il défend les intérêts de sa corporation avec ce qui lui semble être une meilleure organisation du travail ou du moins celle voulue par les enseignants dans leur majorité, mais il montre aussi là un faible intérêt pour le quotidien des familles.

Première étoile VS «Tahiti quest»

Hélas, socialement, les congés restent un marqueur fort et toutes les catégories n’y accèdent définitivement pas de la même façon. Les vacances et surtout les petites vacances restent une pratique de riches, comme le rappelait l’Observatoire des inégalités en juillet dernier:

«80 % des cadres supérieurs partent en congés chaque année, contre 50 % des ouvriers. Et encore, entre catégories, on ne part ni aussi souvent, ni aussi longtemps, ni dans les mêmes conditions (…) Partir est une chose, mais les vrais privilégiés sont ceux qui peuvent le faire plusieurs fois par an. C’est le cas pour 22 % de la population (données 2009). Les cadres sont 43 % à être dans ce cas, mais les ouvriers quatre fois moins nombreux.»

Et oui, la France et son école vivent sous le régime des vacances à deux vitesses: d’un côté ceux qui peuvent partir ou envoyer leurs enfants se mettre au vert, ces jolies familles avec des grands-parents dans des maisons à la campagne, de l’autre les enfants qui passent des vacances entre le centre de loisirs (jusqu'au CM2) et chez eux, ce qui est souvent fort sympathique, mais a moins le goût des vacances… D’un coté ceux qui passent leur première étoile et de l’autre ceux qui regardent «Tahiti quest» à la télé… D’un coté ceux qui vont à l’étranger l’été, de l’autre ceux qui ne sortent pas de leur commune.

Personne, au Snes ou au Ministère, ne peut imaginer que les vacances d’été sont trop longues pour des enfants qui ne partent pas?

Personne, au Snes ou au Ministère de l’éducation ne peut imaginer que les vacances d’été sont trop longues pour des enfants dont les parents ont cinq semaines de congés par ans? Trop longues pour les enfants qui ne partent pas? Que ces moments ne sont pas mis à profit, vraiment pas, par tous de la même façon?

Les ministres successifs ne cessent de déplorer le fait que l’école française perpétue les inégalités sociales. Najat Vallaud-Belkacem a même chargé Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, d'une mission «grande pauvreté et réussite scolaire». Pourtant, quoiqu’il en soit, jusque ici, pas de doute, l’organisation de l'année de l'école ne bénéficie vraiment qu’à une seule catégorie d’enfant: les fils de profs, et un intérêt économique: celui du secteur du tourisme.

Alors oui, il faut toucher aux vacances, oui il faut repenser le calendrier. Il ne faut pas enlever des jours mais en ajouter. Et oui, les parents et leurs congés sont un facteur à prendre en compte. Car le fait que le calendrier scolaire soit bâti aussi (pas seulement mais aussi) autour des possibilités des adultes n’est pas forcément choquant, ce sont eux qui emmènent les enfants en vacances ou qui en assument le coût. Que ce calendrier de l'Éducation nationale soit pensé dans l’intérêt de deux catégories d’adultes: les enseignants et les professionnels du tourisme relève du pur et simple double discours de sa part. 

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