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Le difficile retour en France des «repentis» du départ en Syrie

Alors qu'on craint le retour de djihadistes voulant commettre des attentats, des Français reviennent après s'être leurrés sur ce qui les attendait: être privés de liberté et prendre les armes. Quelle réinsertion pour ces «déserteurs»?

A Raqqa, en novembre 2014. REUTERS/Stringer.
A Raqqa, en novembre 2014. REUTERS/Stringer.

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Mehdi* n’avait que 15 ans lorsqu’il a rejoint la Syrie, avec un camarade d’école, en début d’année dernière. Avant son départ, il était en contact avec une personne qui lui proposait de venir en aide aux populations locales. L’adolescent, qui se cherchait, avait une vision très simple de la Syrie: d’un côté, les pro-Bachar el-Assad, de l’autre les contre, qu’il rejoint sans avoir vraisemblablement conscience de qui ils sont. Sur place, il est foudroyé par cette réalité à laquelle il ne s’attendait pas. «Il s’est aperçu qu’effectivement on allait lui demander d’aller sur une zone de combat, de faire des choses qu’il n’avait jamais envisagées au départ», détaille son avocate, Agnès Dufétel-Cordier.

Une semaine après son arrivée, le jeune garçon appelle ses parents afin de rentrer. Son entourage en Syrie essaye de le faire changer d’avis, en vain. Vingt jours après sa fuite, Mehdi est de retour en France, à la suite d’un passage par la Turquie où son père l’attendait. «Sa chance a été d’être l’un des premiers à souhaiter revenir», en janvier 2014, explique Maître Dufétel-Cordier.

En effet, depuis l’année dernière, les cas de Français, partis avec des ambitions très variées et souhaitant regagner l’Hexagone désillusionnés par ce qu’ils ont trouvé en Syrie, se sont multipliés. Nadia*, une adolescente du sud de la France, se trouve également dans cette situation. Après avoir mené une double vie pendant plusieurs mois, alimentée par de nombreuses heures passées sur Internet, avec deux comptes Facebook et deux garde-robes, la jeune fille disparaît en Syrie, puis se ravise.

Son frère témoigne: «Mi-mars, ma sœur a changé de discours, nous a dit que ce qu’il se passait là bas n’avait rien à voir avec ce qu’on lui avait dit, qu’elle était au milieu d’hypocrites, de menteurs, de barbares.» La jeune fille de 16 ans, qui se rêvait médecin, souhaite rentrer mais n’en a pas les moyens: «Au téléphone elle me répétait "Viens me chercher" en pleurant.» Près d’un an après ses premiers appels au secours, Nadia s’éternise en Syrie, avec la même volonté d’en finir avec ce cauchemar. Après des échanges avec sa famille pendant plusieurs mois, ses nouvelles se font de plus en plus distantes. Menacée, la jeune Française vit une situation à laquelle n’apparaît aucune solution.

«Nous allons être pris pour des terroristes»

Malheureusement, si le chemin vers la Syrie apparaissait semé d’embûches, le retour vers la France est pire et s’avère encore plus dangereux. Le Financial Times a révélé que l’Etat Islamique aurait exécuté 100 «déserteurs» au mois de décembre, dans la ville de Raqqa. Des exécutions publiques, afin de dissuader les sceptiques.

Et lorsque la menace ne vient pas de Syrie, les candidats au retour craignent la France. «Comment veux-tu que nous revenions? Nous allons être pris pour des terroristes», disait à son père, par téléphone, une jeune femme partie avec son mari et ses deux enfants. «Là bas, on leur dit que s’ils reviennent c’est la prison», raconte cet homme de 52 ans, dévasté par le départ de sa famille.

Toutefois, la France ne peut condamner ses ressortissants au seul motif de s’être rendus en Syrie. Il doit être démontré qu’ils ont eu la volonté de rejoindre une organisation liée au terrorisme, engageant une mise en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Une qualification qui ne fait pas la différence entre les personnes qui se sont rendues en Syrie ou non, qui se sont laissées berner ou non.

Il est vrai que si la question des départs paraît avoir été très sérieusement prise en compte par les pouvoirs publics français, celle des retours, qui s’applique à 200 ressortissants français environ, demeure encore très peu étudiée. Bien évidement, et encore plus après les attaques contre la rédaction de Charlie Hebdo, la porte de Montrouge et le supermarché casher de la porte de Vincennes, la France craint le retour de djihadistes planifiant de commettre des attentats sur son territoire; le retour des «désabusés», lui, pose d'autres types de problèmes. Comment les reconnaître, les juger, et surtout comment les réinsérer? Après les attentats de janvier, la France est-elle prête à réintégrer ses ressortissants?

«Une prise en charge très lourde, pour laquelle nous ne sommes pas préparés»

Mehdi a été mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et est aujourd’hui placé sous contrôle judiciaire. «Scolarisé, il a repris une vie tout à fait normale, mais avec ce point noir à l’esprit», avoue son avocate, qui le considère comme appartenant à ceux qui se sont «véritablement fourvoyés dès le départ»:

«Dans le cadre de son contrôle judiciaire, il y a une assistance psychologique qui n’est pas particulièrement bien prise par mon client. Il a par moment le sentiment que le psychologue est davantage à son écoute pour recueillir des informations que pour l’aider à se reconstruire. Mon client devra faire ce cheminement personnellement.»

Pour Louis Crocq, psychiatre spécialiste des traumatismes psychologiques et créateur des cellules d’urgence médico-psychologiques, les repentis sont des «traumatisés qui ont vu la mort de très près. Soit en tant que victimes des bombardements, soit témoins des exactions, ou quelquefois forcés, presque acteurs». Il établit un parallèle, «dans la mesure où ils ont cru être des combattants», avec les volontaires de la Légion, «amenés à commettre des atrocités dans le feu de l’action».

Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, confiait dans le documentaire de France 5 Engrenages, les jeunes face à l’islam que «ces personnes justifient d’une prise en charge très lourde, pour laquelle nous ne sommes pas préparés, […] pour reconstruire des personnes détruites physiquement et psychologiquement». Il faut en effet penser à l’après-Syrie, qui, en dehors des départs idéologiques de personnes radicalisées «conscientes», a attiré des jeunes Français aux intentions diverses: recherche d’identité ou d’idéal, volonté d’aider les populations victimes de la guerre, découverte de racines, dimension religieuse, emprise psychologique par des réseaux de recrutement, désir de toute-puissance… Aucun mode d’emploi ne peut déterminer la dangerosité de ces Français envolés de leur plein gré vers le pays puis revenus sur le territoire français. La décision sera du ressort unique des pouvoirs publics, et plus précisément des juges d’instruction du parquet anti-terroriste.

«C’est à ce moment là que j’ai compris ce qu’on me reprochait»

Le jeune Mehdi attend son jugement, comme plus de 220 autres personnes interpellées pour le même chef d’accusation sans avoir forcément passé la frontière syrienne. Il dit ne s’être rendu compte de la gravité de son départ qu’une fois rentré. «Au commissariat, on m’a fait prendre conscience des faits dont j’étais accusé. Je n’en revenais pas qu’il y ait une qualification de terroriste, expliquait-il à la caméra de France 5. C’est à ce moment là que j’ai compris ce qu’on me reprochait et l’ampleur que ça avait pris.»

Aujourd’hui, plusieurs Français sont revenus et se retrouvent dans le même cas que Mehdi. D’autres, dont des filles, sont contraints de rester en Syrie, otages d’une vie souvent idéalisée à tort, comptant principalement sur leurs proches pour les sortir de là. «S’ils le veulent, nous avons un moyen de les faire revenir sans passer par la France. Nous irons les chercher, nous avons un plan, confie celui qui a vu partir sa fille, son gendre et ses petits enfants. Ils seront protégés, mis à l’abri. Une maison les attend.»

Ceux qui souhaitent revenir sur leurs pas se retrouvent dans l’impasse. S’ils ne sont pas retenus contre leur volonté, ils devront faire face à une opinion qui les rejette et à des pouvoirs publics qui ne savent pas comment les réinsérer, au grand dam de leurs familles.

«L’opinion publique voit d’un très mauvais œil que les psychologues et psychiatres s’occupent de criminels ou de terroristes. Ici c’est un peu semblable. On considère que c’est de la naïveté du gouvernement et des thérapeutes de faire ça, du temps perdu», analyse Louis Crocq. «Et est-ce que les thérapeutes sont préparés à ça?», s’interroge-t-il, lui qui avoue ressentir de l’empathie lorsqu’il expertise une victime et une répulsion, qu’il doit cacher, lorsque son sujet est «une crapule». Selon ce créateur des cellules d’urgences medico-psychologiques, la thérapie individuelle ne suffira pas. A la manière des Etats-Unis, qui avaient créé le réseau Vet Center, venant en aide aux vétérans, il préconise «un projet gouvernemental, sociétal, avec des groupes de parole, des éducateurs, des assistantes sociales».

* — Les prénoms ont été modifiés Retourner à l'article

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