France

Les Enfoirés sont bien des vieux privilégiés, des études le confirment

La chanson-titre de l'album 2015 des Enfoirés, «Toute la vie», a une vertu: rappeler que la France est championne de l’inégalité intergénérationnelle.

Les Enfoirés, «Toute la vie».
Les Enfoirés, «Toute la vie».

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Les Enfoirés sont-ils des vieux cons? C’est la question que se posent certains depuis que le collectif de chanteurs stars a dévoilé sur YouTube sa chanson de charité pour les Restos du cœur, intitulée Toute la vie.

Dans le clip, des jeunes font face aux «Enfoirés» Bruel, Obispo, Fiori et autres Le Forestier. Les premiers se plaignent de leurs perspectives socio-économiques:

«Des portes closes et des nuages sombres / C’est notre héritage, notre horizon»

Les seconds leur répondent qu’ils n’ont «rien volé», et leur argument récurrent consiste à rappeler aux jeunes qu’ils ont l’avantage de… leur jeunesse.

On reproche à la chanson et à son auteur Jean-Jacques Goldman de verser dans une caricature de baby-boomers autosatisfaits, coupés des réalités du marché de l’emploi et réduits à prodiguer des conseils méprisants comme «à vous de jouer mais faudrait vous bouger», incarnant un discours culpabilisant faisant reposer sur l’unique volonté personnelle la possibilité de s’insérer dans la société et dans l’économie.

On s’amusera par exemple de l’article de Mademoizelle qui rappelle quelques vérités sur la situation de la jeunesse française vis-à-vis du travail, et quelques chiffres qui semblent avoir échappé aux Enfoirés.

A bien y regarder cependant, le thème et la tonalité véhémente de l’échange entre les deux générations ne sont pas si niais que cela.

L’ensemble semble épouser la théorie des générations sacrifiées, popularisée par le sociologue Louis Chauvel, notamment dans son livre Le destin des générations. Dans une tribune publiée dans Le Monde en juin 2014, il écrivait que le niveau de vie relatif des trentenaires depuis 1984 était de 17% inférieur à celui des sexagénaires.

Dans un article publié en janvier 2015, Louis Chauvel et Martin Schröder [PDF] comparent le niveau de vie des générations en Allemagne, en France et aux Etats-Unis.

Après avoir pris en compte l’effet du niveau d’éducation et d’autres variables, ils observent que les cohortes nées à la moitié du XXe siècle ont 20% de revenu de plus que celles nées au début et à la fin du siècle. Les Allemands de la même cohorte de baby-boomers n’ont que 5% d’avantages par rapport aux autres et aux Etats-Unis, la comparaison est en faveur des plus jeunes, ceux nés en 1975, dont le niveau de vie serait de 10% supérieur à celui de la génération du milieu du XXe siècle.

Être jeune = être immigré ou avoir deux enfants 

Les chercheurs intègrent de nombreuses variables dans leurs calculs et, pour donner une idée de l’avantage mesuré, ils affirment qu’être né dans la mauvaise période en France équivaut en termes de handicap économique au fait d’être immigré, d’avoir deux enfants et presqu’autant au fait d’en avoir trois.

A l’inverse, la position sociale en Allemagne influencerait plus le revenu d’une personne que son appartenance à telle ou telle génération. Les auteurs y voient la conséquence d’un système de protection sociale français plus généreux avec les générations plus âgées, et l’absence d’un système d’apprentissage comme en Allemagne capable d’intégrer les jeunes sur le marché de l’emploi.

En conclusion, notent-ils encore, «notre étude a montré que les générations en France ont toutes les raisons d’être en conflit, puisque les jeunes et les très âgés sont désavantagés en comparaison des cohortes nées au milieu du XXe siècle».

«Les générations les plus âgées ont monopolisé les positions lucratives et les transferts sociaux, au détriment de ceux nés après 1950» et il est probable que les «jeunes», c’est-à-dire tous ceux nés après, «n’accepteront pas indéfiniment la stagnation de leur revenu disponible».

D'autres chercheurs contestent cependant ces résultats et affirment que les transferts d’argent entre les générations (des plus âgés vers les plus jeunes) peuvent combler ces écarts.

De plus, raisonner en termes de générations ne doit pas faire oublier qu’à l’intérieur de chacune d’entre elles, les situations sont très diverses. Le poids prépondérant du diplôme en France renforçant ces écarts, ce que constate également l’étude de Louis Chauvel citée plus haut.

Le problème le plus aigu est posé, en France et dans toute l'Union européenne, par les Neets («Not in Employment, Education or Training» soit «Ni en emploi, ni en étude, ni en formation»), jeunes entre 15 ans et 29 ans exclus de toute forme de scolarité ou d’emploi, qui seraient 14 millions en Europe.

Ajoutons à ce tableau la dernière note du Centre d'Observation de la société, qui note que «le nombre de pauvres de moins de 30 ans a augmenté d'un million entre 2002 et 2012, de 1,7 à 2,7 millions, soit un hausse supérieure à 50%».

La chanson des Enfoirés a donc raison sur un point: il y a bien un conflit générationnel qui repose sur des causes mesurées et établies en France...

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