Politique / France

Apartheid, Français de souche, révolution culturelle: stop!

Il y a quelques expressions que l’on ne devrait jamais dire (ni écrire), sans avoir bien réfléchi avant. Des expressions qui, par démagogie ou facilité, ignorent l’histoire, et témoignent d’un mépris ou d’une légèreté inadmissibles.

Photo Reuters, montage Slate.fr
Photo Reuters, montage Slate.fr

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Souvent, un titre dans la presse, ou une déclaration politique me hérissent. Ces derniers jours, le Premier ministre a parlé d’«apartheid» et le président de la République s’est fendu d’un «Français de souche, comme on dit». Peut-être avec les meilleurs intentions du monde mais, dans les deux cas, un écart de langage soigneusement calibré. Il y en a d’autres, qui reviennent plus ou moins régulièrement.

Et si on arrêtait de dire n’importe quoi?

Français de souche

Popularisée par un site Internet identitaire, l’expression ne veut pas dire grand-chose. La sociologue Michèle Tribalat lui préfère l’expression «natif au carré» (avec deux parents nés Français).

L'idée est de désigner les «vrais Français» ou les «petits blancs», pour les distinguer, disons-le, des «musulmans», ou plutôt, disons-le crûment, des arabes. De ceux dont les parents ou grands-parents viennent du Maghreb. Ceux qu’on désigne désormais par «minorités visibles», euphémisme technocratique navrant.

Mon état-civil l’atteste: je suis un Français de souche, un natif au carré. Mais si j’étais musulman (Dieux me préservent de jamais devenir croyant!), je n’en serais pas moins «Français de souche»...

L’expression est doublement malheureuse: elle ignore que nombre de Français de souche sont des musulmans «natifs au carré» (et leur nombre va croissant), elle stigmatise des enfants d’immigrés par défaut, en supposant que l’âge de la «souche» va de pair avec sa qualité. Un peu comme des vieilles vignes?

Le problème, chers identitaires, c’est que votre souche vintage a plein de racines étrangères (polonaises, italiennes, espagnoles ou portugaises pour les plus récentes). Et puis, nul n’est à l’abri d’un adultère. Ah ah ah! Si ça se trouve, le «Français de souche» est un putain de bâtard de sa race.

Apartheid

Euh... Alors, la France est un apartheid? Si c’est le Premier ministre qui le dit… Eh bien, non. Jusqu’à présent, on entendait parfois des neuneus parler d’apartheid pour Israël, preuve qu’ils n’y avaient jamais mis les pieds (il suffit de prendre un sherut).

Mais voici que le régime de ségrégation de l’Afrique du Sud s’invite dans l’Hexagone. Il y a donc des emplois réservés aux... blancs? Français de souche? Descendants d’Hugues Capet? Des transports en commun avec des wagons interdits aux... noirs? Musulmans? Asiatiques? Supporters de l’équipe d’Algérie? Il y a, en France, des populations privées de droit de vote pour leur couleur de peau? Et de temps en temps des massacres d’Etat, comme celui de Sharpeville? On m’avait caché tout ça.

A la limite, on peut parler de «ghettos urbains», mais l’Apartheid, ce n’est pas un abus de langage, c’est simplement n’importe quoi. Et insulter ceux qui ont subi le véritable Apartheid.

Génocide rwandais

Les insultes aux victimes de l’histoire sont d’ailleurs une spécialité française. Ainsi du «génocide rwandais», raccourci qu’affectionne la presse (Le Monde, L’Express, Le Figaro... et je n’ai pas cherché davantage).

Non, mille fois non! C’est le génocide tutsi. Ce sont les Tutsis qui ont été exterminés par les Hutus. Le problème, c’est que tout le monde confond, hésite... Donc, on dit le génocide rwandais. Ce qui doit horrifier les Tutsis survivants et bien faire marrer les bourreaux hutus.

Je cherche l’explication. Parce que ce sont des «Africains» (là encore une généralisation malheureuse)? Que c’est difficile de savoir qui est qui? Pourtant, ça ne viendrait à l’idée de personne de qualifier la Shoah de «génocide allemand» ni de parler de «génocide turc» pour désigner le génocide arménien.

Révolution culturelle

Question mépris historique, les Chinois sont nos victimes préférées. Le moindre changement administratif, la plus petite réformette, une infime réorganisation et tout le monde brandit la «Révolution culturelle».

Le problème, c’est que la vraie Révolution culturelle est une monstruosité. Comme tous les communistes, Mao était bon en slogans et derrière ceux-ci il y avait des crimes de masse.

La Révolution culturelle est un mélange abject de déportations, de tortures, d’exécutions sommaires... Rien, mais vraiment rien à voir avec la suppression d’une antenne administrative au 5e étage de Bercy.

Se gargariser de Révolution culturelle, c’est insulter la mémoire de ceux qui en furent les victimes.

Grand bond en avant

L’expression est moins fréquente, mais on la trouve parfois dans le vocabulaire d’entreprise, voire sous la plume d’éditorialistes de renom, comme Françoise Fressoz dans Le Monde:

«Ce n’est pas si souvent que la gauche défend la politique de l’offre et reconnaît que le coût du travail fait partie des problèmes à résoudre pour améliorer la compétitivité. Il s’agit en réalité d’un grand bond en avant.»

Hélas, le Grand bond en avant, c’est entre 15 et 38 millions de morts (l’impossibilité de chiffrer ce massacre est fascinante), grâce à la plus grande famine jamais organisée sous l’effet d’une collectivisation forcée, l’élève Mao ayant définitivement dépassé le maître Staline. A ma connaissance, Françoise, la loi Macron n’a fait aucun mort et à peine blessé dans leur vanité quelques frondeurs.

A un degré moindre, François Hollande avait fait une allusion malheureuse aux «100 fleurs» de Mao (quel inspirateur, décidément), là aussi massacre organisé.

C’est vrai que c’est joli tous ces slogans communistes, mais il faudrait parfois ouvrir un livre d’histoire. Ou alors, filer la métaphore jusqu’au bout. Et proclamer, par exemple lorsque les Champs-Elysées s’illuminent pour Noël, que Paris s’enorgueillit d’une nouvelle «Nuit de cristal». Car les nazis aussi étaient des propagandistes poètes.

Suceurs de sang

Le jour de la mort de Christophe de Margerie, Gérard Filoche le qualifia de «suceur de sang». Sachant parfaitement qu’il renvoyait le PDG de Total à l’image du vampire, associée à la finance.

Une des caricatures antisémites les plus fréquentes, symbole d’un capitalisme honni, qu’on qualifiera aussi de «capitalisme mondialisé» ou «apatride», de «finance mondiale».

Discours nauséabond qui vise le banquier, l’usurier, le juif. En filigrane. Toujours.

Ultra-libéral

Etre libéral, c’est mal, mais ce n’est pas assez. D’où l’ultra, sans doute, par contresens historique absolu, en référence aux «ultras» de la restauration.

Et puis quoi encore: hyper-libéral? Méga-libéral? Soyons précis: soit on est libéral, soit on ne l’est pas. La France ne l’étant pas (ou croyant ne pas l’être) a fait de «libéral» un gros mot voulant dire tout à la fois «capitalisme», «profiteur», «casse du services public», «pas beau» ou «méchant». Mieux: on qualifie de « libérale » une politique économique où l’Etat dépense plus qu’il ne reçoit!

Ce grand n’importe quoi ne masque qu’une chose: le capitalisme à la française est un savant mélange d’intérêts publics et privés, où le libéralisme n’a que très rarement cours. Il vaudrait mieux lire un peu avant de dire des absurdités.

Les heures les plus sombres

Nazi, fasciste, collabo, pastille Vichy... Le moindre mot de travers et c'est la reductio ad hitlerum.

Pourtant, on peut être con sans être nazi. On peut être raciste sans être Hitler.

Voir des croix gammées partout revient à démonétiser le nazisme. En faire une sorte de méchanceté ordinaire. Traiter de facho Marine le Pen peut vous valoir une invitation au Théâtre du Rond-Point mais ne fera jamais de vous un résistant.

Parce que voilà, les nazis torturaient, tuaient, exterminaient.

Et que les résistants prenaient des risques, des vrais.

Les heures les plus sombres de notre histoire, ce sont des geôles infâmes, la rue Lauriston, le Cirque d'hiver. Pas un «dérapage» verbal devant des micros complaisamment tendus.

Ayez un peu de respect pour les morts.

Participatif et citoyen

Il suffit de le savoir: quand un truc «participatif et citoyen» est proposé, c’est que les décisions sont déjà prises, mais que les électeurs auront droit à du mousseux avec des cacahuètes. C’est déjà ça.

Et la liste, sans doute, n’est pas close. Loin de moi l’idée de vouloir brider le langage ou la créativité panurgiste des spin-doctors. Ni de nier la difficulté parfois de résumer en une formule percutante des situations complexes.

Mais les mots, édulcorés ou non, ont une signification. Ceux qui écrivent ou parlent des sommets de l’Etat ou de l’édito devraient mesurer la portée de leurs discours, sans céder au plaisir éphémère du slogan.

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