Politique / France

Cécile Duflot pratique-t-elle la stratégie de l'épuisement, ou de la rupture?

Du chaudron des oppositions internes à la gauche émerge la figure de l'ancienne ministre du Logement, tiraillée entre la possibilité d'un nouvel accord avec les socialistes en 2017 et celle d'une autre alliance à gauche. Un dilemme qui repose l'éternelle question de la participation au pouvoir chez les écologistes.

Cécile Duflot à l'Assemblée nationale, le 2 décembre 2014. REUTERS/Charles Platiau.
Cécile Duflot à l'Assemblée nationale, le 2 décembre 2014. REUTERS/Charles Platiau.

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Autrefois institution plutôt technicienne, où les projets de réforme étaient peignés, et qui tirait sa tranquillité de «majorités godillots», le secrétariat d’Etat aux relations avec le Parlement tend à devenir une sorte de maison de fous, spécialisée dans le suivi impuissant des variations d’indiscipline des députés de gauche. Le titulaire du poste, Jean-Marie Le Guen, doit attendre un peu de réconfort des effets espérés du 49-3 décoché par Manuel Valls en lieu et place du vote sur le projet de loi Macron. Avec un peu de chance, se dit-il, la mauvaise impression laissée par l’épisode constitutionnel pourrait calmer, au moins provisoirement, quelques dérives oppositionnelles et autres velléités pré-sécessionnistes…

Parmi tous ceux qui ont gâché les derniers mois du secrétaire d’Etat se comptent bien sûr les frondeurs socialistes, mais aussi les élus communistes du Front de gauche; ainsi que ceux d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), pourtant liés à la majorité par un accord électoral conclu en 2011. Et dans ce chaudron se détache une figure qui à la fois les résume et les dépasse tous: Cécile Duflot.

Depuis qu’elle a refusé, en avril 2014, de rester au gouvernement, à l’arrivée de Manuel Valls, malgré le pont d’or qui lui était fait –deuxième rang protocolaire et un grand ministère de l’Écologie–, celle qui est redevenue députée de la 6ème circonscription parisienne (XIe et XXe arrondissements), serait, à en croire Jean-Marie Le Guen, «en voie de radicalisation». Dernière illustration: Cécile Duflot serait parvenue à imposer, le 17 février, au groupe écolo le principe d’un vote de rejet de la loi Macron (14 voix contre, 4 abstentions, au dernier comptage), alors que les chefs de file d’EELV à l’Assemblée Nationale, François de Rugy, Barbara Pompili ou Denis Baupin, favorables, eux, à la présence des écologistes au gouvernement, prônaient une position moins ultra, en suggérant de reconduire l’abstention chronique des derniers mois. Après avoir renforcé son influence sur le parti, elle entend reprendre la main sur le groupe parlementaire: dans ce but, elle avait consciemment miné le terrain au préalable, en attaquant de front Emmanuel Macron et son projet dans une tribune libre, le 4 janvier, et multiplié ensuite les assauts verbaux lors des auditions de la commission spéciale.

«Un grand bond en arrière». Ainsi a-t-elle résumé les propositions d’Emmanuel Macron, dans un texte souvent inspiré par une certaine mauvaise foi, qui répond assez peu à ce que contient le projet de loi, mais paraît plutôt déplorer ce qui n’y figure pas. Notamment des signes de l’engagement gouvernemental sur l’environnement –«déjà très en retard», note-t-elle. Ou des aspirations plus floues: «On tourne le dos à la modernité dont notre pays a besoin, écrit-elle. La modernité réelle serait d’inventer un nouveau modèle social écologique capable de répondre aux deux défis de notre époque: le dérèglement climatique et la montée des inégalités.» Elle n’en a pas moins appelé à «mettre en échec» la loi présentée, «un devoir pour tous ceux qui ont encore de l’espoir et veulent inventer le siècle qui vient».

A la lecture de ce pamphlet hors-sujet, mais riche en utopies, puis des conséquences parlementaires fâcheuses qu’elles ont eu pour le gouvernement, Jean-Marie Le Guen et tous ceux qui, de l’Elysée à la rue de Solférino, observent l’évolution de Cécile Duflot comme on surveille le lait sur le feu, se demandent désormais jusqu’où l'une des principales figures de l’écologie à la française, appuyée par l’aile gauche du parti, poussera cette apparente stratégie de rupture.

Pour les optimistes, Cécile Duflot ne ferait qu’épuiser les nerfs des responsables socialistes, elle agiterait un gauchisme plus d’expression, de façade, que de conviction, pour pousser en fait les enchères à leur point d’incandescence, avant de signer, sur le fil, un nouvel accord avant 2017.

Pour les pessimistes, auxquels l’actualité de la députée parisienne donnerait plutôt raison, une partie des Verts, à la suite de certains frondeurs et du Front de Gauche, se serait déjà convaincue que l’après-socialisme est pour demain; et pariant sur la disparition ou sur l’éclatement du PS, après son échec annoncé à la présidentielle, engagerait déjà avec toutes les minorités radicales que compte le Front de gauche ce que Pierre Laurent, leader du parti communiste, appelle «la construction d’une majorité alternative».

Duo avec Jean-Luc Mélenchon

On a en effet beaucoup vu, ces dernières semaines, Cécile Duflot au côté de Jean-Luc Mélenchon. La photo de la responsable écolo au milieu des responsables du Front de gauche et de l’extrême-gauche, lors d'un meeting de soutien à Syriza, le 19 janvier, a fait son petit effet. Le couple de l’année, s’est-on moqué. Un mois plus tôt, leur commune participation à l’émission Des paroles et des actes, sur France 2, aux côtés du socialiste Benoît Hamon, avait déjà pointé leurs convergences. «Ecoutez, je connais leur musique, elle est fatigante, c’est grosse caisse et cymbales», avait commenté Jean-Marie Le Guen, mais il était déjà devenu évident que les deux musiciens visés par l’appréciation étaient bel et bien occupés à éprouver les conditions d’un duo éventuel.

Jean-Luc Mélenchon ne fait pas mystère de son souhait de voir EELV et le Front de gauche faire cause commune. «Nous sommes en train de construire un espace nouveau et commun, expliquait-il, en janvier, à la veille des élections grecques. En 2017, on peut envisager une candidature commune de ce nouvel espace. Il ne faut pas s’effaroucher de la difficulté.»

Celle-ci risque cependant être de taille, et la fameuse «majorité alternative», pour l’instant électoralement fort minoritaire, pourrait demeurer longtemps introuvable. Faute, pour l’instant, de dire son propre cap, et son choix véritable au regard d’une telle alliance, Cécile Duflot laisse parler les événements en se réjouissant du souci que sa personne suscite dans la majorité. Mais elle sait aussi que les faiblesses structurelles de «la gauche de la gauche» ne plaident toujours pas, malgré les incantations, en faveur d’une stricte addition quantitative des oppositions au gouvernement. EELV a par exemple refusé de s’associer, la semaine dernière, à une «motion de censure de gauche», après l’engagement du 49-3 par le gouvernement, pour le dépôt de laquelle plaidaient les députés communistes. Ces derniers ont finalement voté, assez penauds, la motion de droite, contre l’avis de Jean-Luc Mélenchon lui-même.

Les écologistes se sont retenus, cette fois-ci, du saut dans l’inconnu. Mais, s’il se précise, le compagnonnage avec «le cartel de l’opposition de gauche», comme Jean-Luc Mélenchon qualifie lui-même le réseau qu’il incarne, restera pavé de tels incidents. Ce qui n’empêche pas la direction d’EELV, sous l’influence retrouvée de Cécile Duflot, de favoriser les accords locaux avec le Front de gauche pour les élections départementales (dans plus de 45% des cas, le reste se répartissant entre des listes vertes autonomes et des listes avec le PS, comme en Seine-Saint-Denis). Rien qu’un test, assure-t-on dans l’entourage d’Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale des écolos et proche de Cécile Duflot. «Pour se renifler», ajoute Mélenchon. Un essai, toutefois, qui relance les tensions internes et emballe les pressions extérieures.

S’approche en effet le temps de la Conférence internationale sur le climat, le pic symbolique du quinquennat sur les questions liées à l’environnement. L’absence d'EELV comme partie prenante y serait du plus mauvais effet. L’Elysée et le PS tentent donc, en cette fin d’hiver, de persuader les écolos de revenir dans le giron majoritaire, laissant même ouverte l’hypothèse d’un remaniement partiel, à leur intention, après les départementales. En vain jusqu’ici. Et ce, au grand dam des parlementaires verts dits «socialo-compatibles», qui ont peu prisé la sortie du gouvernement, au printemps 2014, et qui, comme Jean-Vincent Placé, leur chef de file au Sénat, menacent désormais Emmanuelle Cosse et Cécile Duflot d’une scission.

«On ne peut pas se contenter de regarder passer les trains avec Mélenchon, explique le député de Paris Denis Baupin. On doit essayer de faire évoluer la cause écolo au gouvernement.» Le trait ironique de François Hollande, pendant sa récente conférence de presse, a dû résonner pour eux comme une invite insistante: les écologistes «n’ont pas le monopole de l’écologie […]», a-t-il répondu à une question sur l’absence d’EELV en cette année de conférence sur le climat, «mais s’ils veulent venir participer à cette politique, ils sont les bienvenus».

Préférence pour la base et l'expression protestataire

Cécile Duflot peut-elle être encore ramenée dans l’orbite majoritaire et, avec elle, la direction d’EELV? Les «optimistes» dont il a été question plus haut aimeraient répondre par l’affirmative. A les croire, son éloignement politique, ces derniers mois, serait surtout affaire d’humeur. Le fait d’une personnalité riche, mais ballottée entre son ambition et son idéal. Le mélange des deux, au début du quinquennat, pendant son séjour au ministère du Logement, l’aurait mené droit à sa sortie querelleuse du gouvernement. Comme le dit un militant, «son caractère autocentré correspond largement à l’époque». Elle colle au plus près de son impétuosité, plus encore qu’à ce qu’elle nomme régulièrement ses «convictions», sans vraiment préciser celles-ci.

La discipline gouvernementale? Inimaginable, donc. Jusqu’à mi-quinquennat, Cécile Duflot a appartenu à la famille remuante de ces ministres quadras dont l’égo est resté écorché, même en fonction. Le pays n’a pas ignoré grand chose, pendant son passage au Logement, de son mal-être, et de ses hostilités «internes»: à Manuel Valls, pour elle un homme de droite égaré à gauche, et au sort réservé par le ministère de l’Intérieur aux Roms et aux immigrés; au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes; ou au pacte budgétaire européen de 2013 –que le groupe EELV a d’ailleurs rejeté. Cécile Duflot a aussi envié, et n’en n’a pas fait mystère, la ministre de l’Écologie Delphine Batho, quand celle-ci a recouvré sa liberté, après son renvoi.

Pour l’Elysée et la rue de Solferino, tout cela, toutefois, ne serait peut-être pas irrémédiable. L’intérêt politique peut s’arranger des psychologies compliquées. Tout peut parfois dépendre de la hauteur de l’offre contenue dans la tentative de rabibochage. Et de rappeler que l’écolo idéaliste avait réclamé et obtenu, pendant les négociations de 2012, une circonscription parisienne en or, ce, malgré la vive opposition de Bertrand Delanoë et le dépit de la députée sortante, la socialiste Danièle Hoffman-Rispal. Et d’ajouter encore que Cécile Duflot et François Hollande se parlent toujours, par textos, dont ils sont l’un et l’autre friands, et qu'ils se sont discrètement rencontrés encore à l’automne dernier. Le fil n’est pas rompu. Malgré les critiques plutôt véhémentes sur l’immobilisme et le libéralisme du président de la République dont Cécile Duflot a bardé son livre sorti à l’été 2014, entre les deux, le courant pourrait se raviver.

C’est négliger, cependant, le fait que le même livre contient aussi une condamnation du système politique en lui-même, et qu’il parvient à la conclusion que les institutions et les partis peinent à transformer la société. Par son activisme actuel, Cécile Duflot ne ferait que renouer, et avec elle les militants écolos mal à l’aise à la fréquentation du pouvoir, avec sa préférence culturelle pour l’expression protestataire, les initiatives à échelle humaine, la démocratie directe, telle qu’elle ne peut s’épanouir qu’à la base. Après tout, la défense de l’environnement est devenue une préoccupation universelle sans l’aide du moindre gouvernement.

Prise de distance avec l'idée de majorité parlementaire

A la gauche de la gauche, l’heure est aussi au besoin de prise de distance avec toute idée de majorité parlementaire. C’est peut-être un fantasme, généré par les insuccès électoraux, et l’embarras de savoir les électeurs populaires glisser vers le Front national. Mais aussi la reprise, aux yeux des dirigeants d’EELV, pour ne citer qu’eux, d’une cohérence historique. Tous les aînés du parti écolo, de la génération de Daniel Cohn-Bendit ou de Jean-Paul Besset, n’ont jamais réglé vraiment la question de leur participation au pouvoir. Leurs successeurs butent toujours dessus, d’autant qu’ils mesurent, en plus, désormais, l’usure et l’inefficience de ce système institutionnel.

Cécile Duflot et la direction des écologistes ont signé à une très forte majorité, en janvier, une charte des «Chantiers d’avenir», à l’initiative du mouvement Ensemble, membre du Front de gauche, et que rallient peu à peu nombre d’oppositionnels de gauche. Cette invite, bourrée d’espérances, que les défaitistes qualifieraient d’angéliques, prône le lancement de comités locaux en situation, sur tous sujets intéressants la vie sociale, économique et environnementale. Repartir de plus loin, et des citoyens, tel est le mot d’ordre. Susciter des réactions solidaires, à l’image des mouvements spontanés qui ont surgi à New York ou à Madrid, et qui, à l’image de Syriza ou de Podemos, en Espagne, ont réussi à s’imposer dans le débat public.

Le déclic, pour Cécile Duflot, en tout cas, son déclic pour la période actuelle, a été Sivens. Le projet de barrage, dans le Tarn, contesté par des écologistes et des militants de la décroissance. L’émergence du mouvement «zadiste» (ZAD pour «zones à défendre»). La mort de Rémi Fraisse. Cécile Duflot a fait le voyage, en octobre, avec Noël Mamère, quelques jours avant le drame. Elle en est revenue revigorée. «Les zadistes posent de façon radicale des questions essentielles: comment vivons-nous? Quelle est la finalité de la production?» Le décès de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive lancée par un gendarme mobile, l’a brutalement radicalisée. «C’est une situation qui pour moi est absolument intolérable, a-t-elle lancé, le 27 octobre, et qui va finir par être une tache indélébile sur l’action du gouvernement.»

Entre ses assauts oratoires de manifestante et la relative réserve que commande sa fonction élective, entre ses envies de «zadisme» et son ambition, toujours, de se présenter à la prochaine élection présidentielle –qui sait? «J’ai les épaules», dit-elle–, la ronde usante à suivre de Cécile Duflot risque de continuer à décourager les socialistes et à donner des coups de sang à Jean-Marie Le Guen.

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