France

Procès de Dominique Strauss-Kahn: des soupçons de viol aux accusations de proxénétisme

Retour sur le complexe cheminement juridique de l'affaire du Carlton depuis 2011, et sur la façon dont elle pourrait encore évoluer.

Dominique Strauss-Kahn à Lille, le 11 février 2015. REUTERS/Gonzalo Fuentes
Dominique Strauss-Kahn à Lille, le 11 février 2015. REUTERS/Gonzalo Fuentes

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De l'avis des chroniqueurs judiciaires présents au procès du Carlton de Lille, les accusations contre Dominique Strauss-Kahn retombent comme un soufflé, selon l'expression de Stéphane Durand-Souffland du Figaro, Pascale Robert-Diard, du Monde, relevant quant à elle qu'un «dossier peut s'effondrer à l'audience». Les témoignages à la barre des prostituées, ces derniers jours, décrivent cependant un homme aux pratiques sexuelles «brutales» –Euronews rapporte le propos d'autres prostituées qui décrivent «les soirées comme de "l’abattage", de la "pure consommation sexuelle", et qui n'ont rien à voir avec des rendez-vous libertins». Au point que plusieurs voix se sont élevées pour s'étonner que l'incrimination de viol n'ait pas plus souvent été soulevée dans ce dossier.

Dans les premiers temps de l'affaire, en 2012, l'instruction sur les faits de proxénétisme en bande organisée, pour lesquels DSK et ses coaccusés sont renvoyés devant le tribunal, avait conduit à l'ouverture d'une enquête préliminaire pour viol en réunion. Comment la justice a-t-elle examiné ces deux incriminations distinctes? L'affaire pourrait-elle encore évoluer, l'une se rajoutant à l'autre? Reprenons point par point ce que l'affaire du Carlton implique d'un point de vue judiciaire.

1.Pourquoi l'accusation de «viol en réunion» contre DSK a-t-elle été abandonnée?

L’enquête préliminaire contre Dominique Strauss-Kahn pour «viol en réunion» a été classée sans suite en septembre 2012 par le parquet de Lille.

Le parquet avait ordonné cette enquête après qu’une déposition, recueillie par la police dans le cadre de l'instruction pour proxénétisme aggravé, avait indiqué que l’ancien directeur du FMI «aurait imposé, fin 2010 à Washington, un rapport sexuel violent à une prostituée avec l'aide d'amis». Mais la femme en question ne s'est pas présentée aux convocations de la justice, puis a envoyé un courrier au parquet où elle disait ne pas vouloir déposer plainte et que si elle a d'abord refusé le rapport, elle l'a ensuite accepté. Le procureur a alors classé sans suite la procédure: la femme a expliqué plus tard avoir eu peur et s'être sentie «lâchée par la police» en raison des fuites dans la presse, explique Libération.

2.Ce classement sans suite implique-t-il l'extinction définitive des poursuites sur ce point?

Selon Philippe Conte, professeur de droit privé et directeur de l'Institut de criminologie à Paris 2, le parquet compétent peut, malgré le classement sans suite, à tout moment relancer une enquête à l'encontre de DSK sans avoir à obtenir d'informations et de témoignages supplémentaires. Le code de procédure pénale indique en effet que «le classement sans suite est une simple mesure administrative, qui n'a pas de caractère juridictionnel et encore moins l'autorité de la chose jugée».

3.Agression sexuelle, viol, proxénétisme: comment les juge-t-on?

Le viol est défini par la loi comme un type d'agression sexuelle, explique Sandrine Pégand, avocate pénaliste au barreau de Paris:

«Les agressions sexuelles regroupent plusieurs infractions (le viol, les agressions sexuelles autres que le viol, les atteintes aux mineurs de moins de 15 ans), dont le point commun est l’atteinte à la personne revêtant un caractère sexuel. Le viol est la plus grave des agressions sexuelles.»

L'agression sexuelle (article 222-2 du Code pénal) est définie comme «toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise». Le viol (article 222-23) implique lui «tout acte de pénétration sexuelle commis (...) par violence, contrainte, menace ou surprise». Le viol est considéré comme un crime et les autres agressions sexuelles comme un délit, ce qui implique un mode de jugement (assises ou correctionnelle) et une prescription (dix ans ou trois ans) différents. Dans l'affaire qui avait opposé DSK à Tristane Banon en 2011, la justice avait estimé avoir des éléments pouvant soutenir une incrimination pour agression sexuelle, et non pour viol, et avait donc considéré les faits prescrits.

En France, le fait pour un individu d'avoir recours à la prostitution n'est pas punissable par la loi pour l'instant quand le rapport est «consenti» (notion qui, dans le cas de la prostitution, fait l'objet d'un vif débat). Une proposition de loi prévoyant la pénalisation des clients (à raison, à minima, d'une amende de 1.500 euros) doit être examinée par le Sénat fin mars, après son adoption à l'Assemblée fin 2013.

Le proxénétisme, lui, est défini par l’article 225-5 du code pénal comme le fait:

«1 - D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui;

2 - De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution;

3 - D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire.»

Il est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende. Cette peine peut être portée à dix ans en cas de proxénétisme en réunion (incrimination retenue dans l'affaire du Carlton) voire à vingt ans en cas de proxénétisme en bande organisée. Dans ce dernier cas, il est jugé aux assises; sinon, en correctionnelle.

4.Avec les nouveaux témoignages, DSK pourrait-il être poursuivi pour viol?

Mercredi 11 février, Jade, une prostituée qui a participé à certaines «parties fines» de l'ancien directeur du FMI, racontait à l’audience son expérience:

«Il y a eu un moment plus que désagréable quand j'ai tourné le dos à M. Strauss-Kahn. J'ai subi une pénétration qui ne m'a pas été demandée. A laquelle j'aurais dit non parce que je ne veux pas de ça... Aucun autre client n'a jamais osé me faire ça...»

Des propos qui posent à nouveau la question du consentement de certaines des femmes qui ont participé aux soirées dites libertines. Dans tous les cas, comme l’explique Philippe Conte, Dominique Strauss-Kahn ne pourra pas être poursuivi pour viol dans le cadre du procès en cours:

«Le tribunal correctionnel saisi n'est compétent que pour des délits; le viol est un crime, ce tribunal ne pourrait donc en connaître.»

En revanche, vu que l'instruction pour viol de 2012 avait été classée sans suite, le procureur pourrait tout à fait lancer de nouvelles poursuites à l'encontre de DSK à tout moment, sans attendre la fin du procès en cours et sans nouveau témoignage. Philippe Conte juge cependant cette hypothèse peu probable puisque «cela voudrait dire que le procureur revient sur la décision qu'il a prise il y a trois ans».

Le témoignage de Jade pourrait cependant être interprété par le parquet comme un nouvel élément. Si c'était le cas, une nouvelle instruction pourrait alors être lancée, elle aussi à tout moment, et pourrait aboutir à un procès qui aurait cette fois lieu devant une cour d'assises.

Sandrine Pégand explique que la démarche a cependant peu de chance d'être entreprise:

«Après le procès, qu’il soit relaxé ou condamné pour proxénétisme aggravé, il serait très compliqué pour le parquet d’ouvrir une nouvelle information judiciaire contre DSK pour des faits de viols commis sur la même période de prévention que celle intéressant le dossier du Carlton.»

Selon Philippe Conte, pour que le parquet lance une nouvelle enquête, il faudrait qu'un témoignage entendu pendant le procès en cours indique clairement qu'il y a eu viol, mais le professeur juge l'hypothèse «peu probable».

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