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La puissance des Grecs a toujours été de savoir transformer leurs querelles internes en tragédies de portée universelle. Nous y revoilà. La Grèce est le pays des éternels querelleurs qui n'en finissent jamais de vouloir ruser avec les règles humaines à l'aide de leurs dieux.
En 2010, il a fallu mettre en place un programme exceptionnel pour sauver Athènes; en 2015, il le faut encore.
A nouveau, les Grecs accusent les autres, l'Allemagne, Bruxelles et Francfort, de leurs inhumains malheurs. Mais les Grecs ont l'habileté, un rôle confirmé dans l'Histoire, de transfigurer leurs petites histoires en un drame général, aujourd'hui sur la question tragique de l'austérité et des dettes.
Ils ont raison et font mouche: l'Europe continue de mal répondre à ces questions. Le dieu Obama est venu du ciel leur donner un argument de fond et de taille: rien n'est possible sans la croissance, ce devrait être la priorité absolue en zone euro. La querelle idéologique, tapie au fond des esprits, est ressortie aussitôt et s'est enflammée: pour l'orthodoxie ou l'hétérodoxie? Pour l'offre ou la demande? La droite ou la gauche? Le Nord ou le Sud? Ricardo ou Keynes?
Les dramaturges économiques et politiques ne sont, sur ces sujets, jamais en défaut. Le débat est sans fin et les finauds de Grecs savent profiter de ces emportements qu'ils ont créés pour glisser entre les mailles intellectuelles et échapper aux monstres. Ils espéraient le faire une nouvelle fois.
Sauf qu'un César est venu. Il n'est que les empires qui sachent faire entendre raison aux Hellènes, et d'abord Rome.
C'est un Romain, Mario Draghi, qui les a brutalement remis à leur place cette semaine. La «Lex romana» est venue dans sa bouche impériale. Le président de la Banque centrale européenne prouve décidément qu'il est le grand homme de cette crise.
César Mario, depuis son avènement en décembre 2011, a trouvé l'autorité pour faire taire à la fois les Germains et les Hellènes tout en tenant en lisière les hordes de traders saxons.
Il a sauvé l'euro en juillet 2012, en déclarant qu'il ferait «tout» ce qu'il faudrait pour éviter le démembrement de la zone, la spéculation s'est arrêtée nette. Les Anglo-Saxons ont compris que la monnaie unique relevait d'une volonté européenne supérieure, qu'elle allait survivre à la crise, qu'à l'attaquer les traders allaient se casser les dents. L'important est que Mario Draghi n'avait pas eu à mettre à exécution son «je ferai tout ce qu'il faudra», sa parole –comme de dire «j'ai la bombe atomique»– avait suffi à dissuader.
Fin janvier, offensive n°2, Mario Draghi a lancé la BCE dans une politique monétaire à l'américaine d'assouplissement quantitatif (QE) de plus de 1.000 milliards. Il jette toutes ses forces pour lutter contre la déflation, pour relancer le crédit (notamment dans les pays en crise), pour gonfler le cours des actions et l'immobilier, et donner aux ménages, comme aux Etats-Unis, un effet d'enrichissement qui les porte à consommer. A nouveau, César Mario utilise le «"je fais tout" ce qui est en mon pouvoir».
L'Amérique est repartie sur une croissance de 3%, mais il n'en sera pas de même en Europe. Le président de la BCE sait que le QE européen aura un impact beaucoup plus limité. L'économiste Martin Feldstein, très réputé professeur à Harvard, explique que quand la Federal Reserve a lancé son QE, les taux d'intérêt étaient à 4%, elle les a fait descendre à 1,50%. En Europe, ils sont déjà à 0,50%, l'effet sur le crédit immobilier sera assez maigre. Reste l'effet sur la Bourse, mais peu de ménages ont des actions, et l'effet sur l'euro, qui peut être non négligeable: il peut baisser jusqu'à la parité avec le dollar, un gros avantage pour les exportateurs européens.
La nouvelle crise grecque est l'épisode n°3 pour César Mario. Les Grecs espéraient une nouvelle facilité hétérodoxe, une petite exception, ils sont éconduits. Après avoir emprunté au maximum les chemins keynésiens, en matière monétaire, la BCE suit en matière budgétaire et «structurelle» l'ordre allemand: à vous, gouvernements, de faire votre travail.
Il refuse de restructurer la dette grecque entre ses mains (ses statuts l'en empêchent), il ne veut pas racheter aux banques grecques des dettes de l'Etat avant qu'Athènes ait signé un nouvel accord global (ce serait financer une gigantesque fuite de capitaux), il dit non à un agrandissement du déficit budgétaire «provisoire», en attendant ce même accord avec les Européens. Autant de décisions rudes, vues d'Athènes, mais pleinement justifiées. César Mario trace la voie la plus saine de sortie de la crise: à chacun son rôle, son travail et ses efforts. Les gouvernements sont renvoyés à leurs responsabilités.
Celui d'Alexis Tsipras en premier: à lui de démontrer qu'il peut, comme il l'a promis, mettre en oeuvre les réformes que ses prédécesseurs ont repoussées. Il obtiendra, en échange, non pas une remise de dettes, mais quelques menues facilités de remboursement supplémentaires. Et il devra s'en expliquer devant son peuple et avouer que la démagogie est aussi un mot grec…
Les autres gouvernements aussi. Madrid a une lecture particulière de la nouvelle crise grecque: si Paris et Rome sont venus en défense de Syriza, c'est que la Grèce, la France et l'Italie sont les trois pays en retard de réformes en Europe. Tous les autres pays ont fait leur travail, ils ne demandent pas de remise de dettes.
Saine vision: la France et l'Italie sont loin d'avoir fait le quart des réformes radicales nécessaires. Bruxelles aussi est interpellée. Comment inventer une politique communautaire de croissance? Le plan Juncker n'est qu'un minuscule début. Les Grecs ne doivent pas ruser et échapper aux règles humaines, européennes, mais, inspirés comme toujours, ils posent une question juste.
Article également publié dans Les Echos