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Ukraine, la guerre à l'aveuglette

Un an et 5.000 morts après le début du conflit, les Occidentaux ne savent toujours pas décrypter la tactique russe, tandis que Moscou semble s'être placé dans une impasse.

A Kiev, le 1er février 2015. REUTERS/Valentyn Ogirenko.
A Kiev, le 1er février 2015. REUTERS/Valentyn Ogirenko.

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Cinq mille morts depuis le début des hostilités, deux cents au cours de la semaine dernière et pas de solution en vue: le conflit dans l’est de l’Ukraine ne s’apaise pas et même s’aggrave. Le cessez-le-feu conclu à Minsk en septembre n’a jamais été respecté. De nouveaux pourparlers viennent d’échouer. Soutenus par Moscou, les séparatistes prorusses se sont emparé de l’aéroport de Donetsk, chassant l’armée ukrainienne régulière, et attaquent Marioupol. La prise de ce port sur la mer Noire pourrait leur permettre de créer un corridor jusqu’à la Crimée, annexée par la Russie en mars 2014.

Les Occidentaux sont perplexes: que veut Vladimir Poutine, dont les actes démentent constamment les paroles? Quand François Hollande a fait escale à Moscou en rentrant du Kazakhstan, le président russe lui a dit qu’il ne voulait pas annexer le Donbass. François Hollande l’a cru. A l’occasion, Poutine affirme même qu’il veut respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il nie avoir envoyé ses soldats soutenir les séparatistes et, en Russie, fait taire ceux qui dénoncent le retour des cercueils.

La diplomatie française maintient contre vents et marées «le format Normandie», du nom de la rencontre entre François Hollande, Vladimir Poutine, Angela Merkel et Petro Porochenko, en juin dernier, à l’occasion de l’anniversaire du Débarquement. Les ministres des Affaires étrangères des Quatre se sont récemment réunis à Berlin, où ils sont tombés d’accord sur un arrêt des combats, le retrait des armes lourdes à 15 km de la ligne de front… Le lendemain, les séparatistes attaquaient l’aéroport de Donetsk et deux jours plus tard, bombardaient la population civile de Marioupol. Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, avait-il menti à ses collègues? A-t-il été désavoué par Poutine? La Russie n’a-t-elle aucune influence sur les rebelles?

Un front commun européen fragilisé

Cette perplexité sur les véritables intentions de Poutine entrave la diplomatie européenne. Les vingt-huit membres de l’UE ont, depuis un an, réussi à maintenir leur unité. Ayant exclu toute intervention militaire, ils ont imposé des sanctions qui ont fait plus mal à la Russie qu’ils ne s’y attendaient sans doute eux-mêmes. C’est leur principal moyen d’action, outre l’aide au gouvernement de Kiev, essentiellement économique. Elle ne concerne pas des livraisons d’armes, même si elle inclut du matériel militaire non-létal, et l’intention prêtée aux Etats-Unis de livrer des systèmes d’armes pour renforcer l’armée ukrainienne placerait les Européens dans une situation difficile. Elle apporterait de l’eau au moulin de la propagande russe et renforcerait ceux qui, parmi les Vingt-huit, sont réticents à poursuivre les sanctions.

Or, l’unité des Européens est leur meilleure arme de dissuasion vis-à-vis de Moscou. L’arrivée au pouvoir à Athènes de Syriza a fragilisé le front commun. Toutefois le nouveau ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Kotzias, qui passe pour un suppôt de Poutine, est finalement rentré dans le rang européen.

Reste la question de fond: y a-t-il une politique au-delà des sanctions ? Celles-ci avaient trois objectifs. D’abord, une signification symbolique: montrer que l’annexion, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’un territoire appartenant à un autre Etat était inacceptable. Une fonction punitive: l’annexion de la Crimée par la Russie ne devait pas rester sans conséquences. Une pression diplomatique, enfin: pousser Moscou à trouver un accord avec l’Ukraine sur le sort des régions de l’est.

Les deux premiers objectifs ont été atteints. Pas le troisième. Les sanctions européennes –et américaines– ont aggravé les difficultés économiques de la Russie, nées de la baisse des prix du pétrole et du gaz. L’économie russe est en récession, l’inflation galope, le rouble s’effondre, les banques russes voient fuir les capitaux. La crise a servi de révélateur à la faiblesse structurelle du pays, dont la relative prospérité des dernières années reposait uniquement sur l’exportation des hydrocarbures. La Russie est victime de la «malédiction du pétrole»: le confort de la rente pétrolière a retardé la modernisation et la diversification de l’appareil productif.

Le contrat social passé entre le pouvoir poutinien et les classes moyennes russes –vous vous enrichissez mais vous ne vous occupez pas de politique– est rendu caduc par la crise économique. Il est remplacé par une exaltation nationaliste, nourrie par le spectre de l’encerclement occidental et la défense du «peuple frère» en Ukraine. En élevant en cause sacrée la protection des Russes et des russophones vivant en dehors des frontières de la Russie, Vladimir Poutine s’est mis dans une situation qui rend difficile tout recul. Il ne peut donner l’impression de céder sans risquer de perdre le soutien d’une opinion qui croit, à 80%, la patrie en danger. Loin d’amener à un compromis, les sanctions ont contribué à durcir la position russe. Elles étaient inévitables mais elles n’ont pas atteint leur but.

Poutine ne semble pas avoir choisi

Si l’objectif du président russe est de maintenir la pression sur le gouvernement de Kiev pour empêcher que l’Ukraine ne devienne un Etat stable et moderne tourné vers l’Europe, il dispose de plusieurs moyens. Il peut entretenir un conflit de basse intensité dans l’est du pays, aider les séparatistes à établir une continuité territoriale entre le Donbass et la Crimée, voire à créer un corridor jusqu’à la Transnistrie, cette région de Moldavie contrôlée par les pro-Russes, ou pousser les autorités autoproclamées du Donbass à trouver un modus vivendi avec Kiev. Il ne semble pas avoir choisi. Il continue à entretenir le doute sur sa tactique, contribuant ainsi à a perplexité européenne.

Il n’a pas manifesté un intérêt évident à une solution négociée. Toute initiative interprétée comme un geste d’apaisement a été suivie, depuis un an, par une escalade sur le terrain. La responsable de la politique extérieure européenne commune, Federica Mogherini, a envoyé un signal en direction de Moscou, en janvier, en esquissant les contours d’une coopération future entre l’UE et la Russie en cas de résolution du conflit en Ukraine. Non seulement elle n’a pas eu de réponse de Moscou, mais les Russes n’ont pas dissuadé les séparatistes du Donbass de reprendre l’offensive.

L’aggravation de la situation dans l’est de l’Ukraine place les Européens devant des choix difficiles. Au mois de mars, ils vont devoir renouveler les sanctions. La décision doit être prise à l’unanimité, ce qui promet de longues discussions. Sauf imprévu, il n’est en tous cas pas question de les réduire, a fortiori de les supprimer, comme l’auraient souhaité certains des Vingt-huit.

Faut-il au contraire les aggraver? Si l’escalade militaire se poursuit, ce serait une conclusion logique. Mais une telle décision se heurte à deux obstacles: d’une part, les réticences de ceux qui soit sont sensibles aux arguments de Moscou, soit souffrent des conséquences des sanctions ou des mesures de rétorsion russes. D’autre part, quand les sanctions auront atteint le haut de l’échelle –et elles n’en sont pas loin–, quelle sera l’étape suivante? Pour l’instant, les diplomates européens n’en ont aucune idée, étant entendu que l’option de la livraison d’armes n’est pas envisagée.

Fermeté et dialogue. C’est le résumé de la politique européenne, mis en avant aussi par François Hollande. Force est de constater que ni l’une ni l’autre n’a jusqu’à maintenant donné un résultat.

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