Économie

Avec Philippe Martinez, la CGT tourne la page des patrons pour revenir au militant

Avec ses moustaches de révolutionnaire sud-américain, Philippe Martinez signe le retour d’une ligne dure à la CGT. La fin d’une ouverture vers un syndicalisme plus réformiste qui n’a pas forcément obtenu les résultats espérés?

Philippe Martinez, le 3 février 2015 à l'Elysée. REUTERS/Philippe Wojazer
Philippe Martinez, le 3 février 2015 à l'Elysée. REUTERS/Philippe Wojazer

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Il n’y a pas, à la CGT, qu’une panne de stratégie. La stratégie consiste à choisir un chemin pour atteindre des objectifs. Mais le syndicat sait-il aujourd’hui dans quelle direction il veut aller?

L’éviction de Thierry Lepaon exprime très clairement le malaise qui mine la confédération. Car l’ex-numéro un de la CGT, désavoué à cause de révélations sur son train de vie comme leader syndical, n’est pas coupable d’enrichissement personnel frauduleux. Il a cru, en revanche, pouvoir profiter de l’évolution d’un système interne dans lequel un secrétaire général devenait plus un cadre de l’organisation qu’un militant, avec les avantages matériels associés à une forme d’ascension professionnelle.

Il s’inscrivait ainsi dans le cadre de la stratégie d’ouverture du syndicat, engagée par Louis Viannet et poursuivie par Bernard Thibault qui tint la centrale de 1999 à 2013. Une stratégie vers une forme de syndicalisme plus réformiste que contestataire, qui s’accompagnait d’une réforme des structures pour un mode d’action plus participatif. Avec des avantages pour les cadres… comme dans une entreprise. Pas interdits, mais moralement condamnables dans une démarche strictement militante. Mélange des genres, horreur totale!

A la CGT, la ligne dure de la confédération qui s’est toujours opposée à la mutation vers le réformisme a obtenu la tête de Lepaon qui a crié au complot. Il est vrai que la révolution de palais fut d’une opacité totale pour toute personne étrangère au Comité confédéral national, l’instance suprême du syndicat.

«Pas de cadeau à l’entreprise»

Louis Viannet lui-même, référence morale, a appelé Lepaon à démissionner et pourtant il ne l’a pas accablé: «Loin de moi l’idée de penser que les problèmes sont arrivés avec Thierry Lepaon. A plusieurs reprises, et récemment lors du départ de Bernard Thibault, il est bien apparu des signes qu’un mal-être était déjà présent, dû sans doute au retard pris dans l’évolution de la CGT», avait-il déclaré au journal Le Monde. Mais quelle évolution, précisément?

Exit Lepaon, remplacé par Philippe Martinez, jusqu’à présent secrétaire général de la métallurgie. Derrière des moustaches empruntées au Pablo révolutionnaire des aventures de Tintin (certains y voient aussi le majordome Manolo, censé surveiller Tintin, le professeur Tournesol et le capitaine Haddock avant leur rencontre avec le général Tapioca dans Tintin et les Picaros), on le dit tenant d’une ligne dure et nostalgique de la lutte des classes dans le syndicalisme. Mais aussi, pragmatique et habile. L’une de ses déclarations pour justifier l’opposition à l’assouplissement de la réglementation sur le travail dominical illustre le portrait:

«Pas question de faire des cadeaux à l’entreprise.»

L’argumentation qui ne laisse aucune place à l’évolution sociétale ni à la négociation est un peu courte, comme si une entreprise n’était pas aussi constituée de ses salariés. Elle a toutefois l’avantage de bien camper le nouveau leader dans une réhabilitation de la fracture entre salariés et entreprises, dans une posture historique à la CGT. La ligne contestataire revient en force.

Le symptôme d’un syndicalisme affaibli

Mais le contexte est plus complexe qu’une simple approche binaire qui opposerait un camp radical à une ligne plus réformiste. Il passe d’abord par une désaffection des salariés français pour l’engagement syndical. Le taux de syndicalisation en France, de seulement 8%, s’est effondré des trois quart en un demi-siècle. Les états-majors des centrales ne sont pas parvenus à enrayer le divorce d’avec leurs troupes, comme si l’action des premiers ne correspondait plus à l’aspiration des autres. Comme si la contestation syndicale était déconnectée de la réalité des salariés sur leurs lieux de travail et à leurs attentes.

La CGT regagne un peu de terrain, mais elle ne peut guère compter que sur 700.000 adhérents, un peu moins que les 860.000 de la CFDT (dont les méthodes de comptage sont toutefois plus souples) et plus que les 600.000 de FO. D’autres ont gagné du terrain, comme l’Unsa avec 360.000 adhérents, mais Solidaires stagne à 90.000 alors que la CFTC en compte 140.000 et la CFE-CGC environ 113.000. Des scores qui ne sont pas représentatifs du pouvoir des syndicats en France, et que la réforme de 2008 sur la représentativité syndicale n’a pas permis d’améliorer.

Reste que, même avec la mutation insufflée par Bernard Thibault, la CGT est juste parvenue à stopper la spirale du déclin, pas à l’inverser. Or, pour faire vivre le dialogue social, il est nécessaire de pouvoir compter sur des partenaires sociaux représentatifs. Et responsables. De ce point de vue, les représentants patronaux ne donnent pas plus l’exemple lorsqu’ils refusent le dialogue comme dans le transport routier que les syndicats de salariés lorsqu’ils déclenchent des grèves avant même d’entamer une négociation. On a l’interlocuteur qu’on mérite: les excès d’un côté favorisent le durcissement de l’autre, et vice-versa.

La complexité existe même au sein même des stratégies syndicales. Ainsi, la CGT campe sur des positions inflexibles comme lorsqu’elle refuse de ratifier l’accord national interprofessionnel conclu début 2013 entre le patronat et trois organisations syndicales (CFDT, CFTC, CFE-CGC) et validé par l’Assemblée nationale. Mais cela ne l’empêche pas de signer de plus en plus d’accords (environ un sur deux) dans le cadre des négociations collectives. Comme s’il existait une rupture entre les stratégies confédérales et les aspirations sur le terrain. «La CGT est souvent moins inhibée au niveau du terrain que de la tête», a coutume de déclarer Raymond Soubie, ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy et interlocuteur de longue date des leaders syndicaux.

Enrayer le déclin

Quelle sera, dans ces conditions, la ligne de Philippe Martinez, qui vient du terrain? Ancien de chez Renault où il fut délégué syndical, il a très directement vécu le recul de l’industrie dont la part dans l’économie française a décliné de plus d’un tiers en 25 ans selon un rapport de la Fondation Concorde, et dont la valeur ajoutée représente moins de la moitié de ce que pèse l’industrie allemande dans l’économie outre-Rhin. Quant aux effectifs, ils ont fondu à quelque 3 millions de salariés dans l’industrie d’après l’Insee.

Le seul secteur automobile, qui a perdu 100.000 emplois en dix ans, est une illustration de cette déroute. Or, au cours des sept années passées comme secrétaire général de la fédération de la métallurgie, Philippe Martinez a été directement concerné.

Son expérience peut-elle lui servir pour sortir le syndicalisme des positions figées qui entretiennent la désaffection alors que les emplois qui se créent aujourd’hui surtout dans les services ont besoin d’un cadre de négociation renouvelé? Cherchera-t-il au contraire à durcir le rapport de forces au risque de torpiller le dialogue avec les autres partenaires sociaux et le gouvernement, comme à l’occasion de la conférence sociale de juillet 2014 qui avait été fort mal engagée?

Dans un premier temps, il va devoir apaiser le climat à l’intérieur de la fédération, en constituant une équipe qui rassemble toutes les tendances.  Pour la suite, le dialogue social est un théâtre: la CGT de Martinez va devoir se réinventer, mais ses nouvelles répliques marqueront, à coup sûr, une inflexion radicale. L’enjeu, malgré tout, demeure pour l’emploi celui de la compétitivité.

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