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Les mères sont-elles vraiment la solution au harcèlement des femmes?

Une publicité met en scène des harceleurs de rue face à... leur mère.

Temps de lecture: 4 minutes

Dans la série des publicités surfant sur le féminisme, la marque new-yorkaise de vêtements et accessoires de boxe et arts martiaux Everlast a réalisé en novembre dernier une publicité intitulée Sílbale a tu madre, «siffle ta mère», depuis repérée par Madmoizelle et Reddit.

L'idée est simple: la coach de volley de l'équipe féminine péruvienne Natalia Malaga, ambassadrice de la marque, repère des hommes adeptes du harcèlement de rue –sifflements de femmes qui passent, remarques sur leur corps, etc– dans Lima et relooke leurs mères pour qu'ils ne les reconnaissent pas. Les mères se baladent, se prennent une remarque par leur fils, et révèlent la supercherie en leur mettant un savon monumental pour leur apprendre à ne pas parler comme ça aux femmes. Le tout, joué par des acteurs et mis en scène comme une caméra cachée, a été réalisé en partenariat avec l'observatoire du harcèlement de rue d'Amérique latine, et s'est basé sur des entretiens réels d'hommes ayant harcelé par erreur une femme de leur famille.

Le résultat est à la fois drôle et efficace: le premier homme dit à sa mère quelque chose du genre «quelles belles fesses», avant de lâcher un très supris «maman?» quand, au lieu de continuer son chemin, elle se retourne et l'interpelle. «C'est vrai ce qu'on m'a dit sur toi, tu dis des trucs dégoûtants aux femmes!». Le jeune se défend, assure que «c'est comme ça qu'on parle à la fac», ce à quoi sa mère lui répond le classique «Je ne t'ai pas élevé comme ça!». «Tu ne t'habilles jamais comme ça! Papa le sait [que tu t'habilles comme ça NDR], lui demande-t-il, avant qu'elle rétorque que les femmes ont le droit de s'habiller exactement comme elles le souhaitent, lui balance deux coups de sac à main et le chope par l'épaule pour rentrer chez eux –et, je présume, continuer de lui apprendre la vie là-bas.

Elle écrit aux mères de ceux qui lui envoient des insultes ou des menaces

La mise en scène d'Everlast rappelle un peu l'initiative –non publicitaire– d'Alanah Pearce, cette journaliste et youtubeuse spécialisée en jeux vidéo dont on vous parlait fin novembre. Comme beaucoup de femmes écrivant sur les ou jouant aux jeux vidéo, elle reçoit régulièrement des insultes sexistes et des menaces de viol. S'étant rendue compte que la plupart de ses harceleurs étaient de jeunes garçons et que «leur répondre de manière rationnelle n'a[vait] pas aidé à résoudre la situation», elle a alors décidé de contacter leurs mères, qu'elle a trouvées facilement grâce aux comptes Facebook des garçons en question.

Comme on peut le lire dans l'échange montré dans le tweet de la journaliste, la mère de l'un des garçons a traité son fils de «petite merde» tout en s'excusant auprès de Pearce et en s'engageant à en parler avec lui. Le garçon en question lui a ensuite écrit une lettre d'excuses, a dit Alanah Pearce à la BBC.

L'idée de la jeune femme était de trouver une façon d'«enseigner à ces jeunes garçons, de manière productive, que se montrer sexiste avec les femmes n'est pas acceptable, même si c'est sur Internet, qu'il s'agit de personnes réelles et qu'il doit y avoir des conséquences tout aussi réelles».

Où sont les pères?

Dans les deux cas, on insiste sur l'importance de l'éducation pour apprendre aux petits garçons à ne pas devenir des hommes qui harcèlent –et on insiste sur la responsabilité des harceleurs, plutôt que de pointer du doigt les victimes comme trop souvent (en disant par exemple aux femmes harcelées dans la rue que cela ne leur serait pas arrivé si elles étaient habillées autrement). 

Mais deux choses m'interpellent: d'abord, pourquoi la mère et pas le père, ou les deux parents? La figure paternelle est autant responsable de l'éducation des enfants que la figure maternelle, et il n'y a pas de raison qu'il incombe à la mère de tenter d'élever son ou ses fils en sortant des schémas sexistes et des injonctions à la virilité. Quand on voit qu'une des réactions du premier homme dans la pub d'Everlast est de dire à sa mère «Est-ce que papa sait que tu t'habilles comme ça?» (la pub étant basée sur des histoires vraies, cette réplique dans le scenario est révélatrice), on voit à quel point le rôle féministe et antisexiste du père est tout aussi crucial.

Ensuite, pour ce qui est de la publicité d'Everlast, si j'adhère totalement au message sur l'éducation comme rempart au sexisme, je suis un peu gênée par le fait qu'elle met en quelque sorte en pratique le refrain du «Imagine si quelqu'un faisait ça à ta mère/ta soeur/ ta femme/ ta fille», qu'on entend souvent dirigé vers les hommes harceleurs. En dehors du contexte d'une agression –dans lequel toute réponse qui peut vous aider est bonne à prendre– le procédé rhétorique a ses limites. 

«C'est la mère de quelqu'un»

Comme l'expliquait Feministing en 2008, dire quelque chose du genre «ça pourrait être ta mère», c'est considérer la femme dans son rapport à l'homme, pas en tant qu'individu propre. Le sexisme n'est pas à éradiquer à cause de ce que le fils, frère, mari ou père d'une femme peut ressentir, mais à cause de ce que ladite femme ressent et subit.

Cela participe de l'objectification des femmes, et donc du sexisme, renchérissait le Huffington Post britannique en 2013:

«C'est parce que la société nous dit que les femmes sont des objets, pas des sujets, que même des hommes bien, quand ils dénoncent les violences faites aux femmes, disent à d'autres hommes d'imaginer qu'elles sont "la femme de quelqu'un, la mère de quelqu'un, la fille de quelqu'un ou la soeur de quelqu'un", sans penser que peut-être, peut-être, une femme est aussi "quelqu'un".»

Une autre blogueuse expliquait la même année sur Thought Catalog que ce procédé rhétorique est réducteur parce qu'il «définit les femmes par leurs relations à d'autres personnes, au lieu de les définir comme des personnes. Ça dit que les femmes sont seulement importantes si elles sont mariées à, ont donné naissance à ou sont les filles d'autres gens». Il est également problématique pour ce qu'il dit des femmes qui ne sont la femme, la mère ou la fille de personne.

Mais peut-être après tout que les gens à l'origine de la publicité d'Everlast s'en rendent compte, puisque la vidéo se conclut sur ce texte:

«Si tu es un harceleur, n'attends pas qu'on te fasse harceler ta mère pour te mettre à respecter les femmes.»

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