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Le 11 janvier, des millions de Français ont marché pour défendre la liberté d’expression. Dans un même élan, ils ont agité le drapeau tricolore, chanté la Marseillaise et crié leur attachement aux valeurs de la République.
Ce moment de fraternité, rare dans l’histoire, provoqué par des événements d’une violence physique et symbolique inouïe, ne doit pas cependant faire oublier, qu’auparavant, les relations entre la République –ses institutions comme ses valeurs– et les citoyens étaient en crise et qu’elles le sont toujours.
Les enseignants en font l’amère l’expérience depuis quelques jours: de nombreux jeunes Français, et pas seulement dans les banlieues, ne se sont pas sentis concernés par ces événements. Avant comme après le 11 janvier, l’altérité demeure suspecte, le désir de vivre-ensemble s’estompe et les discours xénophobes prospèrent. Cette défiance, véritable poison quand elle atterrit entre les mains du FN, provient en partie du fait que les citoyens, et notamment les jeunes, abstentionnistes récurrents et fournisseurs de contingents importants de votes d’extrême droite, se sentent tenus à l’écart des décisions collectives.
Restaurer durablement la confiance dans les institutions républicaines et les valeurs qu’elles font vivre passe donc nécessairement par une meilleure éducation à la citoyenneté, par une prise de conscience, dès le plus jeune âge, de la légitimité de la participation de tous à la vie publique. Pour que l’«empowerment», souvent évoqué mais rarement mis en œuvre, réussisse, il faut que les jeunes éloignés du débat et du monde politiques aient la possibilité d’acquérir les connaissances et la culture que d’autres, plus favorisés qu’eux, héritent de leurs parents.
La France doit se doter d’une politique d’éducation à la citoyenneté ambitieuse. Pour donner corps à cette idée, nous versons au débat trois propositions concrètes.
1.Une vraie place pour l'éducation civique
Premièrement, l’enseignement de l’éducation civique doit obtenir un statut à part entière. Il est aujourd’hui souvent dévalorisé, et n’atteint pas son objectif de former les adolescents à la citoyenneté.
Il est dispensé par les professeurs d’histoire-géographie qui y voient parfois des «heures perdues» au détriment de l’enseignement des programmes très denses de leurs disciplines.
Nous plaidons pour que cet enseignement soit sacralisé dans l’emploi du temps des élèves et dispensé par des enseignants volontaires –la citoyenneté n’appartient pas aux seuls historiens–, qui auraient suivi un module de formation spécifique.
Ces nouveaux cours d’éducation civique pourraient s’articuler autour de connaissances théoriques sur les institutions, de bases du droit mais également d’une pratique réellement active et régulière du débat en classe –au-delà d’une simple mention dans les programmes–, afin de former les jeunes citoyens à la prise de parole et à la liberté d’expression.
Les débats en classe pourraient porter sur des questions d’actualité, incitant en cela les élèves à lire régulièrement la presse dans sa diversité. L’Education nationale doit avoir à cœur de développer l’esprit critique des élèves, leur apprenant ainsi à analyser le monde dans son entièreté.
2.De vrais délégués de classe
Deuxièmement, nous proposons de renforcer le rôle des délégués de classe. Tout comme la pratique du débat, l’élection du délégué doit constituer un moment où les jeunes citoyens sont acteurs de la vie institutionnelle de leur classe comme de leur établissement.
Trop souvent expédiée à la fin d’un cours et validant une candidature unique, cette élection ne fait pas l’objet de la solennité et de la pédagogie nécessaires à susciter l’intérêt des élèves. Elle pourrait pourtant devenir un formidable outil d’apprentissage de la citoyenneté.
Après l’élection, tout au long de l’année scolaire et pas seulement lors des trois conseils de classe, le délégué pourrait avoir la possibilité de proposer aux enseignants, après consultation de ses camarades, des changements dans l’organisation de la vie de la classe. Il pourrait aussi être mandaté par ses camarades pour préparer avec l’enseignant les débats organisés en cours d’éducation civique.
3.Des assemblées de jeunes citoyens
Enfin, de la même manière qu’il existe un Parlement des enfants destiné aux élèves de primaire et qui rencontre un fort succès, des assemblées de jeunes citoyens, tirées au sort afin d’éviter toute surreprésentation des jeunes les plus favorisés, pourraient être organisées dans toutes les circonscriptions.
Chaque député serait chargé d’animer, en fin d’année scolaire et en dehors de tout esprit partisan, un débat au cours duquel des jeunes lycéens seraient amenés à faire des propositions de politiques nationales et/ou locales qui pourraient trouver leur place à l’ordre du jour du Parlement.
Reconstruire une citoyenneté active, éclairée, critique: c’est un défi historique que la gauche et les progressistes doivent relever. Les événements tragiques de ce mois de janvier sont l’occasion d’un sursaut.