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Le cancer est devenu la première cause de mortalité en France. Mais on vit aussi de plus en plus longtemps avec la maladie, et il arrive même que l'on en guérisse totalement. Sur deux millions de malades du cancer en France, un peu moins de la moitié se trouve en état de chronicité, autrement dit, vit avec un cancer chronique. Ces progrès de la médecine ont profondément changé la donne pour les patients: désormais, ils doivent intégrer la maladie dans leur vie quotidienne et dans leurs projets d'avenir. Mais la société en revanche, tarde à faire sa mue: car elle aussi doit apprendre à vivre avec le cancer... des autres.
Discriminations
Malades et ex-malades restent en effet bien souvent aux marges d'une vie dite «normale»: leur santé est fréquemment durablement affectée, tout comme leurs représentations et, du monde du travail à celui du crédit ou des assurances, les portes ne font en général que s'entrouvrir et avec moult conditions.
Une récente et vaste enquête réalisée par l'Inserm missionnée par l'INCa, intitulée «La vie deux ans après un diagnostic de cancer», témoignait de ces multiples difficultés. Ainsi, alors que 82% des personnes de 18 ans à 57 ans qui viennent de se voir diagnostiquer un cancer sont, au départ, en situation d'emploi, 21,8% ont, deux ans plus tard, perdu l'emploi occupé au moment du diagnostic. Quant au taux d'emploi global, il passe de 82% à 61% deux ans après le diagnostic. De nombreuses personnes interrogées notent également des discriminations perçues dans leur travail.
Le cancer n'est pas non plus sans incidence sur le revenu des personnes, surtout si elles sont seules. Le taux de pauvreté, ainsi, passe de 20% à plus de 25% entre le moment du diagnostic et deux ans plus tard (contre 14% pour la population générale). Et plus les traitements ont été lourds, plus les pertes de revenus le sont aussi.
Si, individuellement, ces difficultés sont bien évidemment très difficiles à vivre, à l'échelle de la société, elles sont totalement absurdes: le cancer, en effet, est désormais une maladie presque banale, au sens où elle touche, à un moment ou à un autre, une large proportion de la population.
«La probabilité d'avoir un cancer est plus élevée que celle d'être cambriolée», me disait un jour Sarah Dauchy, psychiatre et responsable du Disspo (département interdisciplinaire de soins de support aux patients en onco-hématologie) au sein de l'Institut Gustave-Roussy, poursuivant:
«La maladie de la société, c'est de ne pas accepter cette réalité. Pour que notre société continue de fonctionner, il faut pourtant qu'elle apprenne à faire de la place aux malades et ex-malades.»
A quoi rime une société qui n'inclut qu'une proportion de ses membres et ferme les yeux devant ceux qui ne répondent plus aux critères d'hyper-productivité?
Prendre en compte les malades et ex-malades
Le mouvement pour une meilleure inclusion des patients et ex-patients semble cependant en marche. Ces dernières années, des initiatives se sont multipliées pour remettre non pas le cancer, mais ses victimes, au centre de l'attention. Associations comme Vivre avec, fondée par Régine Goinère, sites Internet comme La maison du Cancer, fondée par mes consoeurs Anne-Laurence Fitère et Claire Aubé, services spécialisés comme Juris Santé, dédié à l'accompagnement juridique, administratif et financier des patients, ainsi que de très nombreux autres acteurs.
Le mouvement tend aussi à s'institutionnaliser. Le patient a ainsi été reconnu non pas comme un «expert» comme le souhaitaient certains, mais du moins comme une «ressource» du système de soins dans le Troisième Plan Cancer.
A Villejuif, Giovanna Marsico a pour sa part pris en charge le pôle citoyen de CancerCampus, le projet de biocluster en oncologie porté par l'Institut Gustave-Roussy. Originalité: elle ne vient aucunement du monde médical, puisqu'elle est avocate, et elle collabore, par exemple, avec des sociologues.
La principale réalisation du pôle citoyen est le lancement de la plateforme CancerContribution.
Elle se veut une sorte d'agora, numérique –et dans la vraie vie puisque des rencontres sont régulièrement organisées–, où les acteurs de différentes origines apportent leur vision pour la porter ensuite auprès des décideurs. Les participants peuvent ouvrir des forums, tandis que les initiateurs s’emparent de «dossiers» qui sont ensuite consolidés et transmis aux autorités. Ainsi, un dossier sur Cancer et Travail a été remis en 2012. Le site compte environ 5.000 membres actifs.
«Les chantiers sont nombreux», témoigne-t-elle. Des inégalités de soins aux questions médico-économiques en passant par l'«errance thérapeutique» (le lien parfois défectueux entre médecine de ville et médicine hospitalière par exemple), les sujets sont effectivement foison.
Mais l'un des sujets majeurs que Giovanna Marsico entend porter est celui de l'observance des soins.
«Parfois, les patients doivent, pendant des années, suivre des traitements aux effets secondaires importants, qui peuvent influer leur vie personnelle, sociale ou professionnelle. Or du point de vue de l'assurance maladie par exemple, ne pas bien suivre un traitement constitue un énorme gâchis. Pour les médecins, c'est souvent interprété comme le fait de patients “indiscipinés”. Et, dans certains pays, les “mal observants” font carrément l'objet de discriminations de soins.»
D'où le gros travail que CancerContribution compte réaliser: il s'agira de traiter cette question du point de vue des patients. Pourquoi ne sont-ils pas toujours observants? Comment travailler sur leur motivation et leurs représentations pour les accompagner dans une meilleure observance? Mais comment aussi pousser la recherche vers des traitements plus facilement compatibles avec une vie «normale»? L'inclusion passe en effet, aussi, par la compréhension.