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Le genre, mise au point

Une introduction accessible et éclairante aux études de genre.

<a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paris_-_La_Manif_pour_Tous_-_20140202_-_8.jpg">Manif pour tous</a> / Peter Potrowl via <a href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.en">WikimediaCC</a>
Manif pour tous / Peter Potrowl via WikimediaCC

Temps de lecture: 5 minutes

Le genre. Théories et controverses

de Laure Bereni et Mathieu Trachman

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Publié dans la nouvelle collection «La Vie des Idées» aux PUF, qui reprend des articles publiés sur la revue en ligne du même nom, l’ouvrage proposé par L. Bereni et M. Trachman, Le genre, théories et controverses, se présente avec l’objectif de «résister [aux] effets de méconnaissance produits par le discours hégémonique sur le genre». Cette ambition implique un double mouvement: d’une part une analyse de ces discours, et d’autre part un effort de présentation de ce que recouvre le domaine des études de genre. Si les auteur-e-s n’affichent clairement aucune prétention à l’exhaustivité, il semble que toute l’originalité et l’efficacité de l’ouvrage résident précisément dans l’articulation de ces deux axes de travail. Le fait de ne pas dissocier les présentations théoriques les plus rigoureuses (des travaux de Joan Scott, d’Ann Fausto-Sterling, de Raewyn Connell, en particulier) d’une présentation analytique des discours publics d’opposition à l’idée même d’usage du concept de genre, traduit presque en actes l’héritage militant et politique des études sur le genre. Loin de l’idée d’un concept académique et hors du monde, il s’agit ici au contraire de démontrer l’intrication qui existe entre des perspectives très théoriques et les effets sociaux qu’elles produisent. Ce qui donne également l’occasion d’approcher en retour l’idée que les discours hégémoniques de contestation du genre participent à informer le champ de recherche des études de genre. Dans ces conditions, l’ouvrage participe à attester du fait que l’institutionnalisation du genre dans la sphère académique n’implique pas automatiquement sa dépolitisation.

La structuration du livre en chapitres reflète la volonté d’articuler des présentations théoriques à une analyse de la réception du concept de genre, dans les sphères publique et académique: trois chapitres sont consacrés aux travaux de différentes théoriciennes (Joan Scott, Ann Fausto-Sterling, et Raewyn Connell), tandis que trois autres portent essentiellement sur la réception et l’institutionnalisation du genre. 

L’avant-propos, rédigé par les deux auteur-e-s de l’ouvrage, présente succinctement les mouvements d’opposition au genre en France depuis les années 2000, en mettant l’accent sur les discours les plus récents, en particulier en lien avec la loi sur le mariage pour tous et l’introduction du genre dans les programmes scolaires. Ces rappels permettent dès lors de mettre en lumière dans quelle mesure ces discours sont marqués par une grande méconnaissance de ce que recouvre le concept de genre. 

De quoi le genre est-il le nom?

A cette présentation rapide des propos des opposants aux études de genre, succède un entretien de L. Bereni, dans lequel elle tente de donner les grandes lignes de ce que peut recouvrir le genre. Elle insiste ce faisant sur le caractère abusif de l’expression «théorie du genre» entendue au singulier, laquelle supposant une homogénéité des études sur le genre. S’en suit alors une présentation très pédagogique des grands axes de ces études: adoption d’une posture constructiviste et relationnelle, prise en considération du rapport de pouvoir entre hommes et femmes ainsi que de la nécessité de penser conjointement les autres rapports de pouvoir (race, classe, sexualité, notamment). M. Trachman, qui réalise l’entretien avec L. Bereni, l’invite à s’exprimer à l’encontre des idées préconçues sur les études de genre que véhiculent les discours des opposants à ces travaux. Elle dément ainsi l’idée d’une simple importation des gender studies américaines, pour insister sur les conditions de cette reprise partielle, dans un contexte français marqué par l’existence de travaux féministes (matérialistes notamment). C’est enfin une question sur les liens entre études sur le genre et militantisme qui permet à L. Bereni d’insister sur le fait que les relations entre cette discipline et des mouvements militants ont toujours été forts, mais pas plus qu’ils ne le sont entre la sociologie et les mouvements sociaux issus de Mai 68, par exemple. Elle propose par ailleurs de nuancer l’idée d’une opposition formelle entre science et militantisme en rappelant le caractère situé de la science et la nécessité de ne pas céder à l’illusion d’une quelconque neutralité scientifique, quelle que soit la discipline. Le caractère pédagogique de ses réponses est particulièrement louable, en particulier sur des questions aussi sujettes à controverse.

Les questions épistémologiques sont également structurantes dans les travaux de J. Scott, lesquels sont présentés par C. Plumauzille. En effet, l’historienne américaine entrevoit les limites d’une analyse marxiste pour rendre compte de la naturalisation des différences entre les hommes et les femmes au cours de l’histoire. S’inscrivant dans un cadre de pensée post-structuraliste, elle propose de «déconstruire les catégories mêmes de d’’homme’ et de ‘femme’» pour penser l’organisation binaire et inégalitaire de la société. C’est à la fin des années 1980 qu’elle mobilise le terme de genre, lequel est entendu comme un système de division et de hiérarchisation des individus. Cette présentation pédagogique des travaux de J. Scott traitant directement du genre est suivie d’une ouverture sur ses travaux les plus récents, lesquels se centrent notamment sur les conditions d’accès à la citoyenneté (dans le cas des femmes, des immigré-e-s et des personnes de confession musulmane en particulier).

Le chapitre rédigé par M. Raz porte lui aussi sur une théoricienne dont les travaux sont structurants dans la conceptualisation du genre: Ann Fausto-Sterling. L’auteure du chapitre explique que pour elle, le fait d’apposer la catégorie homme ou femme à un individu relève d’une opération sociale largement légitimée par la science. C’est notamment en réalisant une histoire du traitement de l’intersexuation qu’elle illustre ce phénomène. M. Raz montre ensuite comment l’américaine, biologiste de formation, cherche du côté de la recherche scientifique sur les hormones les marques de l’influence des enjeux politiques de normalisation des corps sur les découvertes scientifiques.

Reflétant les ouvertures récentes des études de genre, le chapitre rédigé par M. Trachman s’intéresse à la manière dont le concept de genre est de nature à éclairer les rapports et les hiérarchisations entre les hommes; ainsi que réciproquement la manière dont ces questionnements invitent à faire évoluer la conceptualisation du genre. Il propose une recension de l’ouvrage Masculinité. Enjeux sociaux de l’hégémonie de l’australienne Raewyn Connell, paru en anglais en 2005 et traduit en français en 2014. Ce faisant, il expose la manière dont le genre peut être un concept opérant pour une étude interne à une catégorie, laquelle est toujours divisible en sous-catégories: les «vrais hommes» émergeant ici dans les discours et les pratiques comme une sous-catégorie. M. Trachman fait un effort remarquable pour mettre en lumière les apports tout à fait spécifiques des travaux de Connell dans le domaine de la conceptualisation et de l’usage du concept de genre. Il insiste ainsi sur la manière dont l’auteure australienne considère une conception non pas substantive mais relationnelle des masculinités: la masculinité hégémonique qu’elle décrit se définit alors non pas comme un ensemble de pratiques, mais dans sa relation aux autres formes -moins légitimes- de masculinité.

Quelle réception?

L’article proposé par A. Favier se démarque des trois précédents, dans la mesure où il s’intéresse plus à la réception des études de genre qu’à leurs orientations théoriques. Traitant de la réception catholique de ces travaux, il propose d’en faire une histoire culturelle pour montrer qu’elle n’a pas été uniquement négative. Il convient en effet d’observer quelques exemples inédits «d’incorporation du concept de genre» qui «attestent le pluralisme interne, l’adaptabilité et la relative plasticité du catholicisme contemporain». L’auteur rappelle ainsi par exemple l’existence de quelques mouvements catholiques français militant pour l’ouverture du sacerdoce aux femmes. Du côté du Vatican, ces revendications n’ont pas été entendues, même si l’idée d’une égale dignité des femmes et des hommes est défendue à partir du milieu du XXème siècle. Enfin, au cours de la dernière décennie, des formes d’acculturation au concept de genre apparaissent en parallèle des discours majoritaires de condamnation. Bien que marginaux, certains discours intellectuels apparaissent qui proposent d’importer le concept de genre dans la théologie et la morale chrétiennes.

C’est également autour de la question de la réception du concept de genre dans le monde académique autant que dans l’opinion publique que se centre la postface rédigée par Eric Fassin. Reprenant les points principaux de l’ouvrage, il insiste sur l’intensité exceptionnelle de la crispation de certains groupes autour des études de genre et explique que les inquiétudes que génèrent ces travaux sont en partie structurées par les questionnements qu’ils soulèvent à propos des orientations sexuelles et de leurs fondements. 

L’ouvrage est conclu par une rapide présentation de quelques ouvrages centraux dans les études de genre. Cette section incarne le projet fondamentalement pédagogique de l’ouvrage, avec l’idée de favoriser une connaissance théorique des études de genre, laquelle se voit concurrencée par l’ensemble des discours sur ces études qui sont disponibles dans la sphère publique. A la fois accessible et rigoureux, les articles de l’ouvrage rappellent la dimension intrinsèquement politique des études de genre, comme en atteste l’effort réalisé de proposer une sociologie de la réception politique de ces travaux.

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