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L'Europe retrouve le goût de la synthèse, en attendant que la France s'y mette vraiment

Réaménager la dette grecque, laisser la BCE racheter des titres d'Etat, autoriser le dérapage temporaire des déficits: partout, en Europe, la culture du compromis s'installe pour sortir de la crise. La France doit suivre.

L'Assemblée nationale rend hommage aux victimes des attentats du 7 et du 9 janvier, le le 13 janvier 2015. REUTERS/Charles Platiau
L'Assemblée nationale rend hommage aux victimes des attentats du 7 et du 9 janvier, le le 13 janvier 2015. REUTERS/Charles Platiau

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On le voit en Europe, on l'espère en France, l'esprit de compromis prend le dessus. Obligées par l'urgence d'agir devant les faits effroyables, glacées par la peur face à la montée des extrémismes de tous bords, les autorités acceptent ce qu'elles s'interdisaient hier, par inconscience, par idéologie, par petitesse politicienne. Les voilà sensibles aux arguments de leurs oppositions, prêtes à la discussion et, le mot n'est pas si laid, au contraire, à la synthèse. En Europe, trois événements ont signalé cette semaine le changement de ton, sur la Grèce, sur la BCE, sur l'austérité.

Sur la Grèce, on a noté l'interview au quotidien économique allemand Handelsblatt de Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, n'excluant pas un «réaménagement» de la dette grecque, même si c'est «en tout dernier recours». Des déclarations qu'on imagine faites avec l'aval de Francfort. Une dédramatisation bienvenue à la veille d'élections législatives déterminantes à Athènes.

Oui, la Grèce a fait de gros progrès de gestion de son Etat; oui, elle retrouve la croissance; oui, sa dette est énorme et oui, contrairement aux espoirs de la troïka (Union européenne, FMI, BCE), cette dette ne diminue pas du fait de l'austérité mais grossit au contraire. Les discussions sont possibles, sans aucun tabou.

En clair, si le parti d'extrême gauche Syriza gagne le 25 janvier, la porte est laissée ouverte à ses dirigeants, qui ont annoncé vouloir restructurer la dette. Au minimum, des rééchelonnements sont possibles, solution de compromis raisonnable. L'absence de dialogue pourrait pousser Syriza dans le sens d'une sortie, d'un «Grexit», qu'il ne souhaite plus. A l'inverse, la raison force à constater que, quand les taux de la BCE sont à 0,05%, les intérêts sont si faibles que repousser les échéances arrange Athènes sans léser les créanciers.

Deuxième événement, l'avis de l'avocat général de la Cour de justice européenne concernant le rachat de dettes d'Etat, dit «OMT» (opérations monétaires sur titres), par la Banque centrale européenne. Cet avis ne constitue pas le jugement de la Cour, le jugement de la Cour n'est pas lui-même la décision de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, auprès de qui la plainte contre cet OMT a été déposée. L'Allemagne n'a pas encore dit oui à la mise en oeuvre d'une politique monétaire hétérodoxe par la BCE. Mais on en prend le chemin. Le rugueux juridisme germanique est en passe de se polir devant les chiffres de l'économie (l'austérité ne diminue pas les dettes) et devant les menaces politiques (cette austérité provoque une montée des partis anti-Europe).

Rien n'est gagné, le droit reste le droit et la BCE devra jouer finement pour aller beaucoup plus loin que les OMT et aller jusqu'à racheter franchement des dettes d'Etat («quantitative easing») comme elle en a l'intention. Les experts de Francfort ont eu le temps de travailler la façon de passer entre les mailles du filet de Karlsruhe, mais la BCE doit agir, poussée par la croissance qui remonte à peine et la déflation qui pointe. Le tabou de la politique monétaire «à l'allemande» est, dans tous les cas, en train de sauter. L'heure est sur ce chapitre aussi au compromis.

Dernier événement: la nouvelle doctrine budgétaire énoncée par la Commission de Bruxelles. On y verra une finesse toute vaticane: on réaffirme intangibles les règles maastrichiennes du Pacte de stabilité et de croissance, la rigueur est notre salut, mais l'interprétation est quasiment inversée, tous les accommodements avec le ciel sont possibles. Bruxelles se fait Rome, c'est bon signe pour la longévité de l'euro.

L'impératif des réformes structurelles est rappelé en priorité. Mais un autre impératif apparaît, celui d'encourager les investissements en Europe. En conséquence, les contributions des Etats au plan Juncker ne seront pas comptabilisées dans les dettes (afin de les stimuler) et, en sus, il est accepté que certains investissements publics conduisent à des «déviations temporaires» de la trajectoire de rétablissement des comptes publics en cas de récession ou de croissance faiblarde. Une révolution que la France et l'Italie demandaient depuis longtemps.

Enfin, pour tenir mieux compte des situations de chaque pays, la Commission propose de minimiser les efforts budgétaires lorsque l'économie est en bas du cycle. Là encore, c'est une différence majeure avec ce qui s'est fait au début de la crise en 2010 sous la Commission Barroso.

Cette «Europe de la croissance» qui s'installe est une victoire pour Matteo Renzi (l'Italie présidait l'Union au dernier semestre 2014) et pour François Hollande, qui l'avait inscrite dans son programme de candidat. L'Allemagne, malgré ses réticences doctrinales et une opposition antieuropéenne grossissante, est sur le point de se laisser faire: elle accepte les critiques américaines (keynésiennes) sur l'austérité, mais insiste sur les besoins de réformes des pays latins.

Ce qui ramène aux réformes en France. Assistera-t-on dans notre pays aussi à une même victoire de l'esprit de compromis?

La loi dite «Macron», qui propose des changements que la droite n'a tout simplement pas eu le courage de faire, sera-t-elle votée avec le soutien de l'UMP –au moins d'une partie de ses élus? Le débat s'est ouvert à droite. Ce sera un test sous le regard d'une opinion publique qui a pris goût à l'unité nationale après les attentats du 7 et du 9 janvier. La classe politique française est confrontée à des grandes causes, la crise économique comme la «guerre» contre l'islamisme radical, qui devraient la forcer à mettre de côté les petits intérêts. Sa réhabilitation passe par l'esprit de compromis.

Article également publié dans Les Echos

 

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