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Janvier 2015 n’a rien à voir avec septembre 2001

Non, «la guerre n'est pas revenue» en France.

La statue de la Liberté et les ruines du World Trade Center, le 12 septembre 2001. REUTERS/Ray Stubblebine
La statue de la Liberté et les ruines du World Trade Center, le 12 septembre 2001. REUTERS/Ray Stubblebine

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L’émotion et le choc provoqués par les attaques et la cavale sanglantes des frères Kouachi et de Amedy Coulibaly ont fait se multiplier les comparaisons avec les attentats du 11 septembre 2001 à New York, Washington et en Pennsylvanie. Des rapprochements que l'on retrouve dans les réseaux sociaux et dans les médias, à l’image de la une du Monde ou de la chronique sur RTL d’Eric Zemmour qui parle du «jour ou la guerre est revenue».

Comparaison n’est pas raison, et en l’occurrence cette dramatisation est absurde. D’abord, par l’ampleur des pertes humaines, même si la comptabilité macabre est toujours gênante. Néanmoins, comparer 2.973 morts à 17 morts, selon le bilan provisoire de l'attaque de Charlie Hebdo et de la double prise d'otages, n’a pas grand sens. Dans le premier cas, il s'agit d'un massacre de masse indiscriminé et dans l'autre d'une terreur ciblée à des ennemis désignés, Charlie Hebdo et des juifs. Il existe des différences tout aussi importantes dans le mode opératoire, le type d’organisations impliquées, les préparations, les motivations, l’origine des terroristes et les conséquences et les traumatismes pour les sociétés frappées…

Sentiment d'invulnérabilité

Le 11 septembre 2001, une organisation terroriste alors puissante et centralisée, al-Qaida, protégée, soutenue et abritée par un Etat, l’Afghanistan, avait été capable d’infiltrer 19 de ses hommes sur le territoire américain, de leur faire détourner simultanément quatre avions de ligne bourrés de kérosène et de faire précipiter ses appareils sur les tours du World Trade Center à New York, sur le Pentagone à Washington DC et sans doute sur un autre objectif dans la capitale fédérale si une révolte des passagers n’avait pas amené le dernier appareil détourné à s’écraser en Pennsylvanie.

Il s’agissait alors d’une véritable déclaration de guerre aux Etats-Unis, au pouvoir politique et militaire de ce qui était alors considéré comme l’hyperpuissance afin de l’effrayer et de lui faire changer de politique au Moyen-Orient. Il s'agissait également de mobiliser et d'enthousiasmer les foules musulmanes. Une opération menée avec minutie pendant des mois, qui avait nécessité une planification longue, des formations particulières pour les pilotes kamikazes et des financements importants. Voilà notamment pourquoi les services de renseignement et de sécurité américains avaient été totalement surpris et impuissants, incapables d’imaginer une telle attaque coordonnée, menée sur leur propre sol. Seul un analyste du FBI (police fédérale) à Phoenix avait entrevu une telle possibilité et s’était fait ridiculiser par ses supérieurs. Le traumatisme avait été d’autant plus grand pour la société américaine qu’elle se considérait, à tort, comme invulnérable, protégée par les océans d’attaques menées sur son sol par des ennemis extérieurs.

Il n’existe aucun sentiment du même ordre en France où, sans remonter à la guerre d’Algérie, il y a eu des vagues successives d’attentats depuis les années 1980. Dans les attaques menées par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, il n’y a en outre  aucune surprise ou «innovation» opérationnelle. Une attaque à l’arme automatique contre Charlie Hebdo fait partie des éventualités terroristes évoquées depuis des années, tout comme la prise d’otages juifs.

Société fragile

Par ailleurs, et même si les informations accessibles aujourd’hui sur les ramifications et les moyens du réseau auquel appartenaient les terroristes abattus Porte de Vincennes et à Dammartin-en-Goële restent parcellaires, il n’y a aucune comparaison avec ce qu’était une organisation comme al-Qaida en septembre 2001.

L’autre différence majeure est qu’il s’agit d’un ennemi intérieur, identifié depuis longtemps et appartenant à une organisation qui a vu le jour en France il y a plus de dix ans. La comparaison semble alors plus pertinente avec les attaques menées le 7 juillet 2005 à Londres, même si les trois explosions simultanées, et une autre une heure plus tard, indiquaient une bien plus grande coordination et planification. Il y avait alors eu 56 morts et les auteurs des attentats suicides étaient quatre musulmans britanniques.

Pour finir, et c’est le point le plus contestable de la comparaison, au-delà du rassemblement instinctif d’une nation dans l’émotion et le patriotisme, les conséquences politiques et sociétales des attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et de celles des 7, 8 et 9 janvier 2015 en France seront très différentes. Les Etats-Unis sont entrés rapidement en guerre en Afghanistan et l’administration Bush a utilisé la menace terroriste pour justifier en mars 2003 l’invasion de l’Irak. Le 11 septembre 2001 et quelques semaines plus tard, les attaques biologiques à l’anthrax, jamais élucidées, ont provoqué une psychose dans le pays qu’a utilisée le gouvernement pour renforcer les moyens humains, financiers et légaux sécuritaires et de surveillance dans des proportions sans précédents pour la démocratie américaine. Le Patriot Act a donné au complexe sécuritaire américain des pouvoirs exorbitants, inconstitutionnels, sans contrôles ou presque et sans opposition dans les premiers temps. C’est évidemment quelque chose auquel il faudra faire attention en France: la raison d’Etat alimentée par la psychose et la peur est toujours dangereuse. Mais les contextes sont tout de même très différents.

Le grand danger pour la France n’est pas celui-là. Il n’est pas non plus celui encouru après le 11 septembre par la société américaine de voir des ennemis à abattre partout dans le monde. Il est uniquement interne. Il est celui de la fracture de sa société, de la volonté et de la capacité des français chrétiens, musulmans, juifs et athées à résister aux tenants du choc des civilisations. Passée l’émotion, ils vont resurgir en force. La guerre n’est pas revenue en France en janvier 2015, mais certains le souhaitent.

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