Santé

Affaire Vincent Lambert: où est la vérité de l’étrange Dr Eric Kariger?

Le médecin médiatique a publié un livre.

Eric Kariger, en février 2014. REUTERS/Charles Platiau
Eric Kariger, en février 2014. REUTERS/Charles Platiau

Temps de lecture: 3 minutes

La mort. Le 7 janvier 2015, les assassinats à Charlie Hebdo. Ils ont fait oublier l’avant-dernière étape de la tragédie de l’affaire Vincent Lambert: les plaidoiries, au même instant et à Strasbourg, devant les juges de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), des deux parties opposées quant à l’avenir de ce malade tétraplégique dans un état dit «végétatif chronique».

Vincent Lambert, qui n’est en rien en fin de vie doit-il continuer à vivre ou doit-il mourir (comme en a décidé le Conseil d’Etat français) –mourir en associant sédation et privations de nourriture et d’eau? La CEDH ne rendra pas sa décision, ultime, avant de longues semaines.

Une certaine notoriété

Aujourd’hui, c’est une personne centrale de l’affaire Vincent Lambert qui (re)fait parler d’elle. Un médecin sans qui il n’y aurait pas d’affaire. Un médecin qui soulève de nombreux problèmes. Un médecin qui, après avoir gardé le silence dans un premier temps, ne semble avoir de cesse de parler, de se confier, aux médias. Parler de l’affaire qui lui a valu une certaine notoriété. Parler de celui qui lui avait été confié et de ses proches. Parler de lui au travers de Vincent Lambert. Ne plus parvenir à taire ce qu’un médecin, habituellement, tait. Par devoir et par respect.

Soit le Dr Eric Kariger, ancien chef de l’unité de médecine palliative et de soins de support du CHU de Reims. Il publie un livre d’entretien dont la sortie coïncide avec  l’audience de la CEDH[1]. Un livre que Libération n’a, contre toute attente, guère goûté:

«Entre psychologie rudimentaire et révélations impudiques, Eric Kariger, explique sa démarche dans un livre.»

Dans les tourments

Plusieurs titres de la presse d’information générale ont, ces derniers mois, tenté de brosser un portrait de ce médecin «au cœur de la tourmente». Tous ces portraits, ou presque, témoignent d’une forme de malaise, d’une impossibilité à cerner l’homme et ses paradoxes à tiroirs.

Ce catholique pratiquant était membre du Parti chrétien démocrate de Christine Boutin avant de demander à être mis en congé à l’été 2013, pour ne pas «exposer inutilement le mouvement». Au fil des rebondissements ce médecin disait «assumer». Mais assumer quoi? «Mon cadre, moral, pratique et religieux est clair, expliquait-il au Monde. Mon seul juge, c’est ma conscience Comme un plaisir exquis tiré d’une exposition personnelle dans une affaire qui, la loi étant ce qu’elle est, ne peut être que collégialement médicale.

On retrouva bientôt le médecin rémois sous les ors du Conseil d’Etat. Sous les ors et devant les caméras de RMC-BFMTV, justifiant avec d’étranges accents son comportement passé. Comme un malaise diffus, comme un diagnostic impossible à porter.

Intégristes catholiques

Il y avait eu, en mai 2014, un épisode qui nous avait alerté. Puis en juin, nouvelle alerte: le Dr Kariger faisait savoir qu’il avait demandé la protection de Marisol Touraine, ministre de la Santé, contre des «intégristes catholiques». Ce médecin affirmait alors ne plus savoir s’il réussirait à «tenir» face à la pression judiciaire, médiatique et aux menaces dont il disait être l’objet. Il affirmait recevoir des lettres, des courriels insultants ou menaçants. Ces écrits le visaient personnellement mais aussi parfois son équipe ou sa famille. Il dénonçait encore la «démesure» que prenait l’affaire Lambert, disait avoir peur pour sa famille et demandait que les menaces cessent.

En juillet il annonçait quitter l’hôpital public pour le privé. Puis, finalement, en septembre on apprenait qu’il s’était mis en disponibilité de la fonction publique hospitalière, devenant salarié d’un groupe de maisons de retraite «haut de gamme».

Le Pèlerin et Le Point

Aujourd’hui, un livre. La Croix vient d’en parler. De même que Le Pèlerin. Sans oublier Le Parisien. Ou encore Le Point (entretien avec Violaine de Monclos). 

Les mains propres

Libération propose quant à lui une lecture particulière de Ma vérité sur l’affaire Vincent Lambert. Une lecture qui surprendra sans doute, qui choquera peut-être, celles et ceux qui veulent se satisfaire d’une lecture bipolaire de cette affaire particulièrement complexe. Extraits:

«Eric Kariger ne se cache pas. Il a toujours été apprécié des médias pour sa disponibilité. Il aime parler, parfois trop. Et ce livre peut provoquer chez le lecteur un sentiment gênant, lorsqu’il dit ou révèle ce que d’ordinaire un médecin a le devoir de garder. Eric Kariger raconte donc l’arrivée de Vincent dans le service, la présence continuelle et chaleureuse de Rachel, sa femme, l’attitude confuse des parents, très liés aux intégristes.

Il va détailler la vie de Vincent, évoquant même les violences qu’il a subies dans un séminaire d’adolescents, pour s’aventurer ensuite dans des analyses personnelles sur les parents; faute d’avoir défendu leur enfant à ce moment-là, ces derniers se rattraperaient en se battant coûte que coûte pour son maintien en vie.

Qui sait, mais est-ce au médecin de faire de la petite psychologie? (…) Mais voilà, Vincent est toujours étendu, seul, sans lien aucun avec le monde extérieur, isolé sur son lit de douleur. Comment ne pas songer dès lors à l’image de Charles Péguy? “A trop vouloir garder les mains propres, il n’a plus de mains”.»

Est-ce la formule exacte de Charles Péguy? Mais, surtout, de quelles mains parle-t-on?

Article initialement paru dans le blog de Jean-Yves Nau, Journalisme et Santé publique

1 — Ma vérité sur l’affaire Vincent Lambert. Son médecin s’explique Dr Éric Kariger (Philippe Demenet interviewer) Editions Bayard. Retourner à l'article

 

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