Parents & enfants / France

Comment parler des attentats à ses enfants?

Vous avez le droit d'être tristes, et même de pleurer.

Hommage à Charlie Hebdo à Sao Paulo, le 7 janvier 2015 REUTERS/Nacho Doce
Hommage à Charlie Hebdo à Sao Paulo, le 7 janvier 2015 REUTERS/Nacho Doce

Temps de lecture: 4 minutes

A la suite des attentats du 7 janvier, la journaliste Nadia Daam racontait comment elle avait parlé des événements à sa fille. Comment d'autres pouvaient en parler à leurs enfants. Nous le republions à l'issue des attentats de ce 22 mars à Bruxelles. 

Ce soir là, je suis rentrée. Sasha, ma fille, était embêtée parce qu'elle avait perdu son «permis piéton» glané lors d'un cours de sensibilisation routière. Alors, tout à son drame, elle a pas vu tout de suite que sa mère était en miettes. Et puis, elle a levé les yeux, et j'ai chialé comme une merde.

Douze personnes avaient été exécutées et parmi elles, Charb, avec qui je travaillais parfois et à qui on disait, en le voyant se pointer au travail avec ses deux gardes du corps «Fais gaffe! Y a deux mecs qui te suivent» en pensant faire la blague de l'année, en pensant surtout que tout ça n'est qu'une blague.

Alors, à ma fille qui me demande pourquoi je chiale, je réponds «parce que c'était une journée triste. Très triste». Et puis c'est tout, pas la force. Mais je sais bien qu'il faudra en dire plus. Que c'est mon devoir de  mère, de citoyenne, qu'à 8 ans, on peut entendre que des gens se font tuer pour rien. Que demain matin, il me faudra bien dire pourqoi cette journée était si triste. Pourquoi des gens sont morts. Pourquoi on meurt au travail. Pas à la guerre, pas dans un accident de voiture, pas parce qu'on est malade. Au travail, criblé de balles, entre la photocopieuse et la boîte de trombones.

J'ai vu ce genre de tweets, et je me suis dit que c'est vrai ce serait bien, un mode d'emploi. Et j'ai bien quelques idées, un peu de bon sens, j'ai lu quelques trucs sur comment on raconte l'impensable à un gosse. Et puis, au moment de m'y mettre, je sais pas faire. Je sais pas comment dire: «Alors, voilà pourquoi des journalistes, des dessinateurs, des policiers, des gardes du corps sont morts parce qu'ils ont participé, de près ou de loin, à des dessins».

Pourtant, il y a bien une marche à suivre, des écueils à éviter, des mots à choisir. Je veux bien tâcher de tenter d'en dire quelque chose, en sachant que chacun fera et doit en faire ce qu'il veut. On est pas les mêmes, nos gosses ne sont pas les mêmes, on a pas tous le même rapport à «Charlie», à la liberté d'expression, à la mort, à la vérité.

On ne se cache pas pour pleurer

D'abord, et c'est peut-être le plus important: on a le droit de pleurer devant nos gosses. Il y a quelques temps, une pédopsychiatre à qui j'avais demandé comment cacher mes larmes à l’occasion d’un événement malheureux m'avait dit: «On ne se cache pas pour pleurer quand on a des enfants. On pleure, et on explique. Ou même, on n'explique pas tout de suite mais plus tard, et en attendant on dit "Je suis malheureux". Voilà.»

En 2013, la psychologue Nancy S. Buck s’interrogeait:

«Est-ce qu’il serait logique pour un parent de cacher son rire devant ses enfants?»

Non, évidemment. Et il en va de même pour les pleurs. Elle précisait simplement qu’il fallait veiller à ne pas chercher à se faire réconforter par ses enfants, ça n’est pas leur rôle. De veiller aussi à formuler le caractère temporaire de ces pleurs:

«Dites-leur qu’il n’y a rien qu’ils puissent faire ou dire… qu’ils n’ont qu’à attendre un moment, puis lorsque vous aurez mouché votre nez, tout ira mieux.»

Que taire?

Mon Petit quotidien

Expliquer en revanche, toujours, avec des mots simples. Comment expliquer la tuerie de Charlie Hebdo, alors? Que dire? Que taire?

Un numéro de Mon Petit Quotidien a été imprimé spécialement, qui peut aider comme support de discussion, et sur lequel un bandeau a été ajouté: «Adultes, accompagnez les enfants dans la lecture de ce numéro».

Sur Europe 1, le pédopsychiatre Stéphane Clerget fait le point sur ce qu’il ne faut pas dire ni montrer. Les images, d’abord:

«Il faut éviter de leur montrer n’importe quelles images. Parce que les images, pour les jeunes enfants, n’ont pas de caractère informatif. Ca sidère, ca crée beaucoup d‘émotions, mais ça n’informe pas.»

Inutile aussi de les envahir de détails techniques, concrets, de parler du sang, de la douleur, des balles tirées.

Par ailleurs, certains enfants ne manifesteront aucun intérêt pour ce type d’événements, ne poseront aucune question, et c’est leur droit le plus strict. Inutile d’insister ou de les forcer à prendre connaissance de ce qu’ils ne veulent pas savoir. La pédopsychiatre Genevieve Djenati le rappelait au moment de la décapitation d’Hervé Gourdel: satisfaire leur curiosité, oui. Chercher à informer à tout prix, non. Mais il faut veiller à ce que cette insouciance apparente ne soit pas un leurre et distinguer d’éventuels symptômes qui traduiraient une angoisse profonde (cauchemars, pipi au lit, peur de sortir...).

Inutile non plus de s’étendre absolument et de faire durer les explications. A l’époque de la tuerie de Newton, Slate.com s’était demandé comment en parler aux enfants. Le docteur Alan E. Kazdin, interrogé par la journaliste, préconisait de toujours revenir à la normalité:

«Lorsque les parents auront répondu aux questions de leurs enfants, ils devront reprendre les rênes de la conversation et la ramener sur le terrain de la normalité: "Hey, on ne va pas tarder à dîner. Tu viens m'aider à mettre la table?". Si vous respectez les habitudes de tous les jours, vos enfants sauront que leur univers n'est pas menacé.»

Comment décrire le terrorisme?

Le terrorisme peut sembler impossible à expliquer, et encore plus à comprendre quand on est enfant. Comment décrire l’irrationnel? Alors il faut des mots simples, mais pas trop.

Pas de «Ce sont des méchants, et nous sommes les gentils». La notion de méchanceté, pour les enfants, est bien trop vaste. Pour les enfants, le méchant, c’est celui des dessins animés, irréel par définition; on est méchant quand on le prive de dessert ou quand on lui interdit de regarder la télé, la petite copine de l’école est méchante parce qu’elle n'a pas voulu prêter sa gomme. Il va donc falloir trouver d’autres mots.

Ce ne sont pas des fous non plus, la folie est une pathologie. Et comme le disait Patrick Pelloux, «c’est insulter les fous». Dire la vérité, alors. Pourquoi pas en se servant des quelques rares support existants et spécialement dédiés aux enfants. C’est toujours bien d’avoir quelque chose entre les mains, une base, un support, quand on doit raconter ce genre de choses.

Je crois aussi qu’il est important de parler de religion. De dire aux enfants que ces hommes ont tué au nom de leur Dieu, mais qu’ils n’ont rien compris. Que leur Dieu ne leur a jamais demandé de tuer Charb, Cabu et tous les autres. C’est surtout encore plus important si on est soi-même musulman et qu’on élève ses enfants dans la culture musulmane de leur expliquer que ça n’a rien à voir. RIEN.

Stéphane Clerget préconise d’expliquer aux enfants que les auteurs de la tuerie à Charlie Hebdo «ont tué parce qu’ils voulaient que tout le monde pense comme eux». Je crois que c’est la définition la plus simple, la plus juste et la plus audible pour un enfant. Je crois surtout que de toute façon, dorénavant, on fera comme on peut.

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